Tous uniques mais égaux

Le management intergénérationnel malmené par les stéréotypes

Les stéréotypes générationnels sont si bien acceptés dans notre société qu’ils ont été largement diffusés à travers les médias. Certaines entreprises ont même intégré ces stéréotypes dans leurs pratiques, notamment en matière de compensation ou de talent management.

Historiquement, on sait pourtant que le traitement différencié des personnes sur la base de stéréotypes groupaux tend à être illégal, injuste et contreproductif. Dès lors, il convient de s’interroger sur la légitimité du phénomène générationnel.

Les stéréotypes générationnels supposent que des millions d’individus à travers le monde partagent des traits de personnalité, des qualités ou des valeurs simplement parce qu’ils sont nés durant une période de temps définie de manière subjective. Or, il existe peu de résultats scientifiques solides qui soutiennent l’existence de différences générationnelles ou de théories qui permettraient d’expliquer pourquoi ces différences devraient être observées. (1)

Méthodologiquement, une des principales difficultés qui apparaît dans l’étude des différences générationnelles est de distinguer les effets de l’âge, de la période historique et de la cohorte, car ces facteurs sont fortement corrélés. Les recherches qui sont parvenues à adresser cette difficulté de manière adéquate montrent que les différences générationnelles au travail sont faibles et inconsistantes. C’est en tout cas la conclusion d’une méta-analyse basée sur 20 études incluant près de 20’000 personnes. (2)

De plus, les différences générationnelles observées dans ces études ne s’expliquent pas nécessairement par le fait d’être né dans une période temporelle définie non seulement de façon arbitraire mais aussi dans un contexte historique américain. Conceptuellement, il existe de nombreuses théories alternatives qui offrent des explications plus crédibles. On peut citer l’influence des caractéristiques individuelles, de la période historique à laquelle la récolte des données a eu lieu, ou encore les changements développementaux qui s’opèrent chez chaque individu à travers le temps.

Sur la base de ces considérations, il serait préférable de ne pas accorder plus de légitimité aux stéréotypes générationnels actuels qu’à ceux véhiculés par le passé. Après tout, la description de la jeunesse faite par le poète Hésiode au 8ème siècle avant J.-C. ressemble à bien des égards à celle des Millennials. Ainsi, les entreprises qui persistent à utiliser des stéréotypes comme fondements de pratiques organisationnelles devraient prendre le temps de bien mesurer les risques encourus.

La clé du management intergénérationnel ne consiste pas à utiliser la génération des employés comme raccourci décisionnel. Au contraire, il est recommandé d’avoir recours à une stratégie basée sur des preuves. Cela signifie qu’il faut se focaliser, par exemple, sur des différences réelles découlant de mesures valides de caractéristiques individuelles qui ont un impact significatif sur des variables clé comme la performance, la satisfaction, ou la rétention. Une analyse des besoins des collaborateurs sur la base de ces mesures permettra de définir des interventions bénéfiques à la fois pour le personnel et pour l’entreprise.

(1) Costanza, D. P., & Finkelstein, L. M. (2015). Generationally based differences in the workplace: Is there a there there? Industrial and Organizational Psychology: Perspectives on Science and Practice, 8, 308–323.

(2) Costanza, D. P., Fraser, R. L., Badger, J. M., Severt, J. B., & Gade, P. A. (2012). Generational differences in work-related variables: A meta-analysis. Journal of Business Psychology, 27 ,375–394. doi:10.1007/s10869-012-9259-4

commenter 0 commentaires HR Cosmos
SB

Après avoir réalisé une thèse de doctorat liée à la discrimination au travail, Steve Binggeli a travaillé plus de six ans dans les bureaux de l’égalité de la Confédération et du canton de Vaud. Aujourd'hui, il est membre du Comité de Direction du Service du Personnel de la Ville de Lausanne, responsable de la rémunération et de l’analytique RH. Il préside aussi le conseil de la fondation Pacte qui a pour mission de promouvoir l’égalité des chances et la mixité en entreprise

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