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Le marketing RH, comment gagner la confiance et le soutien des décideurs

Dans un livre qui vient de paraître, le DRH Serge Panczuk et le chercheur Sébastien Point proposent une méthode pour mieux positionner les RH dans les organisations. Calquée sur les thèses du pape du marketing Philip Kotler, la méthode introduit la segmentation des employés, le sur-mesure des prestations RH et le soin à apporter aux canaux de distribution.

Prouver la valeur ajoutée d’une bonne politique RH a toujours été le talon d’Achille de la Fonction ressources humaines. Le manque d’indicateurs crédibles aux yeux des décideurs en est une des raisons principales. Lors d’une récente conférence de la Société romande de coaching sur le gouvernement RH, plusieurs participants ont regretté cette faible mise en valeur de l’action des DRH dans les comités de direction. Qui considèrent encore trop souvent les ressources humaines comme un centre de coût. Cette situation s’explique en partie par la difficulté des DRH à convaincre les décideurs par le verbe. Mais pas uniquement. Dans un livre qui vient de sortir*, Serge Panczuk, DRH chez Edwards Lifesciences et le professeur d’Université Sébastien Point, proposent de revoir la fonction RH de fond en comble afin d’augmenter sa visibilité. Plus qu’un glissement sémantique, la méthode devrait aider les RH à mieux se positionner dans les organisations. Interview. 

En quoi votre méthode va-t-elle offrir aux DRH des outils pour convaincre la direction générale?

Serge Panczuk: Nous proposons aux ressources humaines de parler le langage du business. Utiliser des outils que maîtrisent un directeur marketing, un directeur des ventes ou un directeur des achats. De leur parler de segmentation, de positionnement, du prix d’une prestation, de leur montrer qu’un prix varie en fonction d’un type de produit. Cela paraît complètement évident mais on n’aborde pas les ressources humaines de cette manière aujourd’hui. Nous proposons une analyse et un discours basés sur des outils business et non sur des outils RH.

Vous insistez sur la notion de prix d’une prestation RH, en postulant que cette façon de parler va augmenter le pouvoir des RH. Qu’entendez-vous par là ?

Nous vivons dans un environnement économique purement transactionnel. On vend et on achète partout. De ce point de vue, on peut dire que recruter quelqu’un c’est négocier et acheter de la compétence et du talent. À condition de clairement identifier cette prestation en termes de valeur. Car une prestation qui n’a pas de valeur est difficilement reconnaissable ou identifiable dans une organisation. Quand on adopte une vraie stratégie de prix par rapport à une prestation RH, on adopte une stratégie de négociation. Quel est mon retour sur investissement? Quelle est ma marge de négociation? Aujourd’hui on parle beaucoup de budget RH et non de prix de prestations RH. Là encore, parler de budget, c’est parler de coût. Parler de prix, c’est mettre en place une notion de négociation. Le prix intègre la notion de transaction pour dire: il y a ce que je demande et ce que je propose. Cela peut paraître purement sémantique mais c’est ce type de discussion qui donne du pouvoir. 

Le marketing RH est souvent compris comme étant une affaire de communication. Vous allez beaucoup plus loin…

J’ai enseigné le marketing et quand je demandais aux étudiants ce qu’ils voulaient faire plus tard, ils disaient tous vouloir entrer dans la pub. Parce que c’était la partie visible et la partie sexy du marketing. Mais dans le fond, le marketing est bien plus global que la pub. Pour faire du marketing il faut commencer par comprendre son marché. Savoir à qui je parle. Savoir ce qu’attend mon client. Savoir ce qu’il est prêt à me donner. Savoir s’il est intéressant pour moi en termes de développement financier. Savoir quel type de produit il attend. Pas forcément le beau produit sorti de ma recherche et développement mais celui qu’il va utiliser. Et enfin communiquer. La communication n’est donc que la fin d’un processus complexe. 

Clarifiez-nous ce que vous entendez par client. C’est un terme encore flou dans la tête de nombreux RH…

La première chose est de bien les identifier. Les clients sont nombreux. La direction générale, le Management, les managers, l’ensemble des employés, les syndicats, les partenaires sociaux et éventuellement des organismes extérieurs. Trop souvent, dans la logique RH, on va considérer que tous les clients sont les mêmes, de poids équivalent, de visibilité équivalente et de traitement équivalent. Ce n’est pas le cas. Il existe plusieurs types de produits en ressources humaines. Le haut de gamme, le grand public, le sur-mesure... Suivant le type de produit, la clientèle sera différente, tout comme les modes de commercialisation, de ventes et de communication.

Vous critiquez les processus RH trop lourds et peu en phase avec les attentes des clients…

Le monde est fait de belles entreprises avec des magnifiques produits qui ont fait faillite. Les RH se sont construits au fil des années sur la direction du personnel et la gestion de processus de base. Ils ont essayé et probablement réussi à se donner une expertise technique. Mais le problème de cette image technique c’est de s’enfermer dans le beau produit. Pas le produit utile, pas le produit dont à besoin le client. Je cite l’exemple des systèmes de compétences. J’ai connu des modèles de quinze compétences divisées en niveaux par fonctions et par rôles. Techniquemetn magnifique mais inutilisé sur le terrain. Pourquoi? Parce que l’organisation n’avait pas la maturité pour intégrer un système aussi complexe. Vendre c‘est aussi être en phase avec les cycles de développement de son client.

Vous proposez de segmenter la population en entreprise. Avec plusieurs découpages possibles. N’y a-t-il pas un risque de favoriser les talents motivés au détriment des indifférents moins talentueux ?

Il ne faut pas se leurrer, cette segmentation existe déjà aujourd’hui. Le problème c’est qu’elle n’est pas évoquée de cette façon. Nous avons simplement donné un nom à ces pratiques. Donc oui on fait de la segmentation et oui il y a aujourd’hui des prestations RH à forte valeur ajoutée comme il y en a à moindre valeur ajoutée. L’intérêt de la segmentation est de les identifier et de les traiter à niveau de qualité égal. Nous ne disons pas qu’il y a des citoyens de premières et de deuxième classe. Au contraire, en connaissant mieux son client, on va être capable de répondre au mieux à ses attentes. Ce que l’on propose dans la segmentation, c’est d’anticiper un peu mieux. Ce n’est pas de la différence qualitative. On pourrait même imaginer à l’avenir de réorganiser nos fonctions RH par clients et non plus par produits. 

Une fois les segments définis, il faut ensuite adapter les prestations RH. Là vous proposez aux RH de favoriser l’efficacité à l’excellence technique et de développer un esprit commercial...

Oui. Aujourd’hui, le métier de base d’une fonction RH c’est de développer, vendre, influencer et négocier. 

Mais est-ce vraiment le cas sur le terrain…

Aujourd’hui on recrute beaucoup de responsables RH sur l’excellence technique. Nous ne le nions pas mais nous disons simplement que dans une logique de marketing interne il faut savoir défendre son pouvoir, négocier au mieux ses budgets et ses ressources. Le message est le suivante n’est pas le beau produit qui va vous faire gagner cette bataille. C’est votre capacité à convaincre, votre capacité à comprendre le client, c’est votre capacité à le séduire et à gérer des conflits avec vos clients. Ce sont ces compétences-là qui sont au cœur de la fonction RH. 

Une fois une prestation RH en main, il faut le distribuer…

Oui. C’est en fonction de la segmentation que l’on va choisir le meilleur réseau de distribution. Il y a plusieurs modèles possibles. Le canal direct s’appelle aujourd’hui le e-RH. Le collaborateur utilise le système Internet ou Intranet pour accéder directement à une prestation. Il y a aussi des prestations très pointues pour des populations très ciblées. Prenons le cas des programmes de coaching pour dirigeants. Mieux qu’Internet, il faudra leur trouver un système de distribution plus exclusif, probablement plus face à face et certainement plus cher. Ce qui nous ramène au débat sur le prix. Il existe des systèmes de distribution qui peuvent s’apparenter à des produits de luxe sur des populations très ciblées avec des communications qui se font via le PDG de l’entreprise. De l’autre côté, on a des prestations grand public distribuées par Intranet. Mais l’idée de fond c’est de dire que le système de distribution est stratégique dans le sens qu’il doit s’adapter au type de produit. Ce n’est donc pas le même pour tous. 
Le deuxième élément concerne le management. Comment va-t-on impliquer un manager pour qu’il assure le relais d’une prestation RH ? Certaines entreprises réfléchissent aujourd’hui à donner des stock-options ou des primes exceptionnelles. Animer un réseau de distribution c’est mettre en balance une prestation (l’accès à des clients) avec un coût (de la reconnaissance, de la visibilité ou de la promotion).

 

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Marc Benninger est le rédacteur en chef de la version française de HR Today depuis 2006.

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