RH en secteur public

«Le mode opératoire de l'armée suisse est basé sur une flexibilité constante»

Niklaus Jäger, colonel de l'Armée suisse, analyse ici les avantages de la pensée militaire dans un monde de plus en plus incertain et où les crises se multiplient.

La multiplication des crises a-t-elle été bénéfique pour les formations en leadership et management de l’Armée suisse?

Niklaus Jäger: Du point de vue de l’Armée suisse, la situation actuelle peut être analysée sous deux angles. Une première lecture est celle d’un monde VUCA (volatil, incertain, complexe et ambigu). Ce concept a été développé après la chute du rideau de fer par une école militaire américaine. Il illustre bien l’évolution actuelle du contexte mondial et économique et donne des clés pour s’y préparer. La deuxième lecture est une approche multi-crises. La pensée militaire et la résolution de problèmes militaires ont toujours abordé les choses de cette manière. Si je résume, l’armée suisse s’est depuis longtemps préoccupée de réduire la complexité, avec une approche multi-focale et flexible des situations. Et pour répondre à votre question, la demande en formations au commandement militaire a toujours été très élevée. La pandémie et la guerre en Ukraine n’ont que renforcé cette demande. Avec notre offre MIKA (1), nous proposons différentes formations, avec des modules standards ou sur mesure.

Est-ce que le management des risques (cyber-attaques, pandémie, risques géopolitiques) est la plus-value du mode opératoire militaire?

Tous les processus militaires de résolution de problèmes et de gestion de crises s’inscrivent dans un contexte de gestion des risques. Nous réfléchissons sans cesse en termes de scénarios alternatifs possibles. Et chaque fois que nous optons pour une variante, nous intégrons les autres options dans notre planification. Nous essayons donc en permanence d’atténuer les risques. Par ailleurs, la conduite militaire s’appuie sur deux dispositifs clés de la gestion des risques: le Business Continuity Management (BCM) et la gestion de crise. Ces trois domaines (gestion de crise, Business Continuity et gestion des risques) doivent être considérés et traités de façon globale, en réseau et de manière constructive. L’interconnexion de ces trois approches est au cœur de notre ADN et de notre approche de la résolution de problèmes.

Voyez-vous des parallèles entre le monde VUCA dans lequel nous vivons et l’univers militaire?

Oui, bien sûr. Comme dit plus haut, le concept VUCA a été inventé par des militaires. Le mode opératoire de l’armée est basé sur cette flexibilité constante. L’autre avantage de notre approche est qu’elle permet de déconstruire une situation globale en différents domaines, ou, si j’utilise le jargon militaire, «en problèmes partiels». Cette approche VUCA implique également un accélérateur principal ou une méga-tendance. Aujourd’hui, cet accélérateur est la numérisation de notre économie. Celle-ci pousse à leurs limites de nombreuses approches, modes de pensée et solutions traditionnelles. L’approche militaire, simplificatrice et réductrice, comporte donc, ici aussi, de nombreux avantages.

Les valeurs d’une entreprise doivent-elles être définies par la direction ou coconstruites par le bas?

Les nouveaux collaborateurs choisissent de rejoindre une entreprise à cause d’un chef inspirant, et rarement à cause de la bonne réputation de la maison. Mais quand ils partent, c’est aussi, dans la plupart des cas, à cause d’un problème de management ou de leadership.

Dans toutes les cultures d’entreprise, l’exemplarité du supérieur hiérarchique est donc centrale. Cela signifie également que les processus de changement doivent être initiés et soutenus par le haut. C’est cette action authentique des dirigeants qui va mettre l’organisation en mouvement. Les collaborateurs suivront et participeront à ce processus de changement s’ils sont convaincus par les actions de leurs dirigeants, et non leurs paroles.

Bref, l’impulsion doit être donnée du haut vers le bas et la mise en œuvre se fait ensuite autant du bas vers le haut que du haut vers le bas.

Est-ce que vos formations recourent à des mises en situation?

En règle générale, nous formons des dirigeants et des conseils d’administration à la mise sur pied d’une cellule de crise et à l’établissement d’une feuille de route pour traverser les turbulences. Nous définissons l’objectif et la chronologie avec eux. Ensuite, nous planifions rétrospectivement le déroulement. La plupart du temps, nous commençons par le processus et utilisons pour cela des scénarios issus d’autres domaines. Dans un premier temps, nous essayons d’éviter que les participants restent dans leur zone de confort afin qu’ils échangent un maximum entre eux. Une fois ce processus de résolution de problèmes maîtrisé, nous développons des scénarios spécifiques à leur domaine d’activité. Le développement des scénarios est tout aussi important que l’exercice de mise en pratique. Ces mises en situation sur mesure sont le point culminant de la formation.

Sur le plan de la communication, la difficulté de l’Armée suisse est qu’elle ne peut pas dévoiler les raisons derrière son besoin de matériel, d’armes ou d’avions par exemple. Voyez-vous des parallèles avec l’économie privée?

Oui. Par définition et pour des raisons stratégiques évidentes, une armée ne peut pas tout dévoiler et tout communiquer. La situation a certes changé depuis la fin de la guerre froide, mais il existe encore des éléments qui doivent être tenus secret. Pour tirer un parallèle avec l’économie privée, l’approche transformationnelle du leadership s’est révélée être la plus prometteuse comme moyen d’aligner tout le monde sur un objectif, une mission ou une performance. Nous nous concentrons sur la vision (le phare), nous donnons des responsabilités, nous sommes toujours exemplaires et nous créons une atmosphère de confiance. Dans de telles conditions, les dirigeants peuvent avancer vers et atteindre un objectif grâce à une tactique de mission (le chemin n’est pas le but) tout en maintenant la confidentialité sur certains aspects.

Formations en leadership

(1) L’Armée suisse propose différentes formations, avec des modules standards ou sur mesure. Vous trouverez plus d’informations sous «Commandement MIKA» sur admin.ch ou en écrivant directement au Colonel Niklaus Jäger niklaus.jaeger@vtg.admin.ch.

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Marc Benninger est le rédacteur en chef de la version française de HR Today depuis 2006.

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