Le monde nous l'envie
Laura Perret Ducommun est responsable de la formation à la Haute école fédérale en formation professionnelle HEFP. Cette institution est au coeur de la formation professionnelle, un des symboles de la réussite économique suisse.
Photo: Pierre-Yves Massot / realeyes.ch pour HR Today
En Suisse, deux tiers des jeunes choisissent la voie de l’apprentissage. Cette formation duale – un système où les jeunes qui sortent de l’école obligatoire à 16 ans poursuivent leur formation en entreprise tout en suivant des cours dans une école professionnelle et des cours interentreprises – est unique au monde. Inscrit dans l’ADN du modèle économique suisse, le système dual est souvent considéré comme un facteur essentiel du faible taux de chômage et de l’intégration rapide de cette main-d’œuvre hautement qualifiée dans l’économie.
Mille-feuille institutionnel
Le rôle de la HEFP dans ce mille-feuille institutionnel dont seuls les Suisses ont le secret? Cette institution a pour mission de former les enseignant·e·s et formateurs·trices en école professionnelle, en entreprises et en cours interentreprises, qui, à leur tour, forment les 72000 nouveaux apprentis·es qui arrivent chaque année dans les organisations privées et publiques du pays (sur un total d’environ 215 000 apprentis·es). Laura Perret Ducommun est, quant à elle, responsable nationale du secteur Formation et membre de la direction. La HEFP est aussi la courroie de transmission entre les associations professionnelles et les organisations du monde du travail – qui expriment leurs besoins en termes de compétences – et les 26 cantons, chargés de former les jeunes dans les écoles professionnelles et supérieures. Pour mieux comprendre l’évolution de la voie duale en Suisse, nous la retrouvons fin mars 2023 dans son bureau du siège national de la HEFP à Zollikofen près de Berne.
Life long learning
Nommée à ce poste en 2020, elle a reçu le mandat de réunir deux secteurs: la formation de base (environ 1850 enseignant·e·s en formation par année) et la formation continue (environ 6000 participant·e·s par année). «Cette reconfiguration reflète l’évolution de notre institution vers une approche de la formation tout au long de la vie (life long learning). Nous souhaitons développer une offre plus personnalisée et plus intégrée pour nos client·e·s, les responsables de la formation professionnelle.»
Elle poursuit: «Avant, ces personnes venaient à la HEFP pour leur formation pédagogique de base puis travaillaient quelques années et revenaient parfois pour compléter leur bagage avec un CAS (Certificate of Advanced Studies). Dans le monde d’aujourd’hui, ces personnes seront amenées à changer de filières ou d’institutions plusieurs fois dans leur vie, en se formant à chaque étape.»
Validation des acquis et perméabilité
La HEFP propose aussi un dispositif de validation des acquis. «Nous souhaitons rendre nos parcours plus flexibles et prendre en compte le bagage de nos participants·es. Notre intention est d’augmenter la perméabilité entre les différentes voies de formation. Il s’agit aussi de favoriser la conciliation travail-famille-formation, notamment avec une offre hybride. Les formateurs·trices disposeront d’un portfolio numérique qui documentera leur parcours et leurs réalisations. Nous développons aussi des plateformes d’innovations régionales, afin de réunir toutes les personnes, toutes les idées et expertises dans le but de mieux répondre aux besoins des clients·es et du marché.»
Structure hybride
Pour réunir les deux secteurs, Laura Perret Ducommun a proposé une structure organisationnelle hybride avec un organigramme classique et une organisation de projet en cercles, sur le modèle de l’holacratie et de la gouvernance cellulaire. Elle explique: «Repenser l’organisation de manière agile permet de responsabiliser les acteurs et de tirer profit de l’intelligence collective, tout en augmentant la motivation intrinsèque des gens.» À noter qu’elle s’est aussi inspirée des principes source de Peter Koenig (lire aussi ici).
Raison d’être évolutive
La raison d’être de la HEFP est évolutive. Fondée en 1972, elle est devenue en 2021 une haute école de la Confédération sur la base de sa propre loi fédérale et a été accréditée l’an dernier en tant que haute école pédagogique dans le cadre du système des hautes écoles suisses. «La reconfiguration que nous mettons en place en faveur de l’apprentissage tout au long de la vie nous permet de tenir compte de l’évolution du contexte (marché du travail, institutions de formation, contexte environnemental et sociétal, ndlr). Sur certains sujets, les enseignants·es en contact direct avec le terrain sont plus compétents·es que nous. Ils ou elles peuvent capter les besoins réels de nos clients·es.»
Funambule
Ce modèle hybride impacte aussi le processus de décisions. «En descendant au plus proche de l’expertise, les décisions sont prises plus rapidement et sont plus en phase avec le contexte.» Ce processus de reconfiguration fut un vrai défi: «J’ai parfois dû être une funambule entre l’organisation permanente hiérarchique et la structure du projet en cercles. Chaque modèle apporte sa plus-value. Car si l’approche bottom-up permet de rester proche du terrain, les supérieures hiérarchiques ont une perspective plus globale, qui enrichit les propositions venues de la base.»
Passerelles
À noter que cette transformation auprès de la HEFP s’inscrit dans un mouvement plus vaste de perméabilité entre les différentes voies d’apprentissages et de formations professionnelles. De nos jours, un jeune qui choisit un apprentissage dispose de passerelles pour changer de métier ou pour poursuivre sa formation avec une maturité professionnelle, une formation professionnelle supérieure ou dans le cadre d’une formation HES. Les apprentis·es peuvent ainsi atteindre le même niveau que des étudiants·es de l’université ou des hautes écoles.
Numérisation
Pour le numérique, il s’agira d’intégrer les nouvelles technologies et d’adapter les contenus aux formats hybrides. «Nous introduisons par exemple le principe de la classe inversée où la matière est apprise par les étudiants·es à la maison de manière autonome. Ils et elles viennent ensuite en cours, en présence ou à distance, pour échanger avec les autres participants·es et les enseignants·es.»
Développement durable
Laura Perret Ducommun est aussi responsable du dossier de la durabilité au sein de la HEFP. «Ces réflexions concernent autant l’efficience énergétique de nos bâtiments que nos prestations: comment intégrer la durabilité dans nos formations.» La HEFP s’est engagée dans le processus Swiss Triple Impact qui permet de prioriser les 17 objectifs de développements durables de l’ONU et d’établir un plan d’action.
Vitrine pour le monde
La HEFP collabore au niveau international avec de nombreux pays, de la Bulgarie en passant par l’Indonésie jusqu’à l’Australie. Tous envient notre système de formation dual. «Ce partenariat entre l’économie, la Confédération et les cantons est au cœur de la tradition suisse du partenariat social. Dans certains métiers de l’artisanat et de la construction, ce système fonctionne depuis plus de 100 ans». Le grand avantage du modèle est d’adapter en permanence les formations aux besoins de l’économie.
Métiers du futur
Laura Perret Ducommun en est convaincue: «Les métiers évoluent vers plus de durabilité (green jobs et économie circulaire), mais aussi vers le numérique, avec les impacts de l’IA, du machine learning et des technologies du Cloud.» Avec son département R & D, la HEFP suit de près les tendances qui peuvent influencer l’évolution de la formation professionnelle et accompagne – avec son Centre pour le développement des métiers – les organisations du monde du travail pour réaliser les réformes et les mettre en place dans les écoles professionnelles, les cours interentreprises ainsi que les entreprises formatrices. «Les adaptations régulières des dispositifs de formation permettent de disposer du personnel qualifié recherché par l’économie et de préparer les jeunes aux défis de demain», conclut-elle.
De Bucarest à Neuchâtel
Née à Bucarest pendant la dictature communiste de Ceausescu, Laura Perret Ducommun arrive en Suisse à 9 ans, quand sa famille se réfugie à Neuchâtel en 1985. Son père est informaticien, sa mère architecte. Elle apprend le français à l’école et devient une «addict de la formation». Après une maturité scientifique, elle poursuit avec des études en informatique et un doctorat en linguistique informatique (sur les moteurs de recherche) à l’Université de Neuchâtel. Commence ensuite une carrière professionnelle impressionnante, entrecoupée de nouvelles formations.
Elle est d’abord cheffe de projet d’informatique scolaire pour le Canton de Neuchâtel, puis secrétaire générale adjointe de la Conférence universitaire de Suisse occidentale (CUSO). Après un Master en administration publique, elle est nommée responsable de la Formation professionnelle supérieure au sein de l’actuel Secrétariat d’État à la formation, à la recherche et à l’innovation (SEFRI).
Un diplôme fédéral de superviseur-coach en poche, elle devient première secrétaire adjointe et secrétaire politique à l’Union syndicale suisse (USS). Mère de deux enfants (9 et 11 ans), elle sera aussi rédactrice spécialisée (pour le magazine Panorama) et femme politique (membre du législatif communal puis cantonal) et présidente des femmes socialistes neuchâteloises. Son fil rouge? «Contribuer à l’éducation et à l’égalité des chances dans la société.»
Bio-express
2005 Doctorat ès sciences en informatiques
2010 Master of public administration (MPA)
2017 Diplôme fédéral de superviseur-coach
2020 EMBA
2020 Responsable nationale du secteur Formation à la HEFP