Immigrés de seconde génération

Le nouveau visage des discriminations

Les Français et les Allemands, nouvelles têtes de Turc des Suisses? Des recherches récentes suggèrent qu’ils sont effectivement pris pour cible sur leur lieu de travail. 

Les discriminations sur le lieu de travail ont changé de visage: elles sont plus insidieuses que par le passé et visent de nouvelles cibles – en l’occurrence, les Français et les Allemands. Des travaux effectués à la Faculté des hautes études commerciales de l’Université de Lausanne (UNIL) suggèrent en effet que les Français et les Alle­mands sont davantage victimes de paroles condescendantes ou d’attitudes déplacées que les autres groupes de travailleurs immigrés. Les cher­cheurs utilisent le terme «incivilités». 
 
Ces discriminations ordinaires et apparem­ment bénignes touchent particulièrement les frontaliers, qui étaient 298’000 en Suisse au deu­xième semestre 2015 (chiffre en hausse de 3,4% sur une année). Parmi eux, les Français et les Allemands sont les plus représentés (156’000 et 60’000 respectivement). En 2014 déjà, leur nombre était en augmentation de quelques pour­ cents par rapport à l’année précédente. 
 

Des discriminations plus subtiles et plus pernicieuses


Flashback. Les premiers travailleurs étrangers arrivés en masse en Suisse venaient d’Europe du Sud. Comme ils n’étaient pas très qualifiés, voire pas du tout, ils étaient parfois attaqués de façon grossière sur leurs compétences professionnelles. Avec la globalisation et la libre circulation des personnes, de nouveaux groupes d’immigrés ont fait leur apparition, dont passablement de Fran­çais et d’Allemands. Ils présentent généralement pour particularité d’être hautement qualifiés. De ce fait, ils occupent souvent des postes à respon­sabilités et même parfois de meilleurs postes que les Suisses. Enfin, comme ils parlent l’une des langues officielles, leurs capacités d’intégration et leurs compétences ne peuvent pas être remises en question. En revanche, ils sont souvent perçus par les Suisses «comme une menace sur le mar­ché de l’emploi», selon Steve Binggeli, assistant diplômé à l’UNIL et co-­auteur de l’étude*. 
 
En France, le sociologue François Dubet observe également l’apparition de nouvelles formes plus subtiles de discriminations. Il cons­tate ainsi que les immigrés de la seconde généra­tion se sentent davantage stigmatisés que leurs parents. Pourtant, la société «discrimine pro­bablement beaucoup moins qu’autrefois», car les normes sociales et juridiques ont évolué en faveur de la protection des minorités. D’où vient ce paradoxe? Tandis que les premiers immigrés subissaient les discriminations avec une sorte de résignation, leur descendance ne trouve plus du tout «normal» de ne pas être traité sur pied d’égalité avec les Suisses, d’après Rosita Fibbi, privat-­docent et chargée de cours à la Faculté des sciences sociales et politiques de l’UNIL. 
 

La Suisse romande, un cas à part 

Le cas des Suisses romands est particulier, voire unique. Ils sont doublement minorisés: par les Français et par les Suisses alémaniques. De ce fait, ils peuvent nourrir des sentiments ambiva­lents vis­-à-­vis des Français, qu’ils admirent et détestent cordialement tout à la fois. Des travaux effectués en Belgique en 2010 avaient déjà per­mis d’observer une semblable ambiguïté chez une minorité linguistique. Et sur le plan juridique, les incivilités subies par les Français et les Alle­mands tombent dans un no man’s land: vers qui se plaindre lorsque personne ne leur adresse la parole à la cafétéria? «Cette question ne suscite que peu d’intérêt en Suisse. Il n’existe ni législa­tion spécifique, ni institution chargée de les porter devant les tribunaux», déclare Steve Binggeli.
 
* Selective incivility: immigrant groups experience subtle workplace discrimination at different rates, Cultural Diversity & Ethnic Minority Psychology, Franciska Krings, Claire Johnston, Steve Binggeli, Christian Maggiori.
 

 

Les discriminations peuvent-elles se mesurer?
La politique migratoire de la Suisse s’est longtemps appuyée sur l’idée – illusoire – que les travailleurs étrangers ne resteraient pas longtemps. Et finalement, aucun effort d’intégration n’a été consenti à leur égard, selon Yves Flückiger, professeur au Département d’économie politique et Observatoire Universitaire de l’emploi.
 
Aujourd’hui, la différence salaire médiane par rapport aux Suisses serait de 13% dans le secteur privé genevois. S’il est très difficile de déterminer dans quelle mesure cet écart est dû à des inégalités de traitement, il semblerait que la part «inexplicable» soit de 0,6% pour les détenteurs d’un permis C.

 

commenter 0 commentaires HR Cosmos

Typographe de premier métier, Francesca Sacco a publié son premier article à l’âge de 16 ans pour consacrer toute sa vie au journalisme. Elle obtient son titre professionnel en 1992, après une formation à l’Agence télégraphique suisse, à Berne. Depuis, elle travaille en indépendante pour une dizaine de journaux en Suisse, en France et en Belgique, avec une prédilection pour l’enquête.

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