Dossier HRM

«Le partenariat stratégique RH ne se décrète pas. Il se conquiert»

Le consultant Daniel Held vient de publier aux éditions jobindex media sa (éditeur de HR Today) un Dossier HRM sur le partenariat stratégique RH. Il évoque ici les grandes lignes de sa thèse et explique pourquoi la fonction RH «n’en finit pas de s’interroger sur sa valeur ajoutée».

Daniel Held, vous venez de publier un Dossier HRM sur le partenariat stratégique des responsables RH. Ce sujet a été abondamment traité ces dix dernières années. Ce qui donne l'impression que les RH ont beaucoup de peine à réussir ce partenariat stratégique. Confirmez-vous cette analyse?

Effectivement, on a beaucoup parlé de partenariat stratégique ces dernières années, attribué des titres de business partners à tout vent, acquis des systèmes de gestion RH modernes et fait évoluer ses processus. Mais je constate aussi que, dans la plupart des organisations, au fond pas grand’chose n’a changé. Même si les RH siègent au comité de Direction, ils ne sont encore que très rarement invités à participer aux réelles réflexions et décisions stratégiques, en y apportant une valeur ajoutée décisive. Ils ne sont donc guère devenus un partenaire incontournable pour améliorer la performance de l’organisation. En revanche, ils demeurent essentiels pour la mise en œuvre des changements, lorsqu’il s’agit d’assumer les décisions prises et de résoudre les problèmes et conflits associés, situations de plus en plus fréquentes dans un contexte d’incertitude et d’instabilité. Mais pas pour anticiper ces situations, ce qui serait le rôle du partenariat stratégique.

On assiste ces temps à une remise en question profonde de la fonction RH, notamment dans l'édition d'octobre de HR Today, que révèlent ces interrogations?

Ce phénomène n’est pas nouveau, et je le connais depuis que je suis entré dans la fonction il y a 25 ans... Ces interrogations sont logiquement la conséquence de ce que je viens d’exprimer. La fonction RH, restant fondamentalement dans son schéma, n’en finit pas de s’interroger sur sa valeur ajoutée, son positionnement, son existence. Cette fonction est certes la plus difficile à assumer pleinement dans une organisation, au vu des multiples parties prenantes qu’elle doit satisfaire. Mais le DRH est aussi le champion pour se poser en permanence les questions existentielles plutôt que d’explorer des pistes nouvelles pour changer la donne. Ce que je démontre dans mon ouvrage, c’est que le partenariat stratégique est non seulement possible, mais qu’il est indispensable. Il implique de prendre les choses vraiment en mains et de modifier son approche et sa posture. Sinon, ce terrain de jeu sera occupé par d’autres, et ce sera bien la mort des DRH que certains ont annoncé dans votre journal.

Dans votre troisième chapitre, vous montrez l'évolution du modèle de Dave Ulrich. En quoi Dave Ulrich a-t-il revu son fameux modèle de 1997?

Dave Ulrich a marqué son temps. En lançant l’idée des différents rôles de la fonction et en la positionnant sur le terrain stratégique. Son modèle a plu par sa simplicité et a fait bouger les choses. Mais plus au niveau des structures, des processus et des systèmes d’information RH que dans la posture. Parce qu’Ulrich a omis largement la logique des acteurs multiples, entre lesquels il s’agit de se positionner. Dans son ouvrage de 2010 (version française), il a corrigé quelques erreurs majeures: celle d’avoir séparé partenaire stratégique (rôle technocratique) de l’agent de changement (rôle relationnel); celle d’avoir omis toute la question du développement du capital humain; et celle de n’avoir pas mis en évidence le leadership RH. Ces évolutions étaient indispensables, bien qu’insuffisantes – la logique des acteurs n’est pas encore pleinement présente. Le problème, c’est que personne ou presque n’en tient compte, et que l’on continue d’appliquer son premier modèle et d’en reproduire les limites, ce qui finalement nous éloigne du partenariat stratégique plus qu’il ne nous en rapproche.

Vous insistez sur la posture dans le cadre du partenariat. Qu'entendez-vous par là?

Ce que je constate, c’est que l’on a changé les termes, fait évoluer les processus, outils et stratégies, mais que les individus n’ont pas réellement changé de comportement, d’attitude et de manière de voir les choses (ce que j’appelle la posture). Or le partenariat ne se décrète pas. Il se conquiert. Il s’agit donc de comprendre comment, en tant que RH, on contribue à la manière dont le choses se passent aujourd’hui, et de ce qui devrait se passer différemment pour que l’on soit dans une dynamique de partenariat. Le changement doit donc commencer par soi. La notion de posture rend compte de l’importance décisive de ce changement. Il ne faut donc pas attendre que la Direction change ou nous demande de changer. Il est d’ailleurs probable que cette demande existe, mais que notre propre manière de fonctionner nous conduise à rester dans notre rôle actuel. C’est notre posture qui doit induire le changement chez l’autre.

Qu'est-ce que cela implique concrètement de changer sa posture?

Cela implique d’abord de s’approprier pleinement une vision commune de la réussite humaine de l’organisation. Et de devenir un acteur clé de cette vision, en entrant sur le terrain du business sans prendre la place de celui-ci. Il s’agit donc d’être crédible sur ce terrain-là (expérience business). Il s’agit ensuite de développer son propre ancrage et son leadership, en tant que source d’influence et d’énergie, pour initier et accompagner les changements indispensables. Il s’agit aussi de bien maîtriser la manière de faire sortir ses partenaires de leur zone de confort, sans risquer de les bloquer, pour que de nouvelles formes de collaboration deviennent possibles. Il s’agit enfin de dépasser ses propres schémas comportementaux limitants, notamment le plus courant qui consiste à résoudre encore et toujours les problèmes humains de l’organisation que d’autres ont créé, sans parvenir à agir sur les origines de ces dysfonctionnements.

Quels seront les défis les plus difficiles à surmonter pour les DRH de Suisse Romande?

Le principal obstacle à la réalisation de ce partenariat se trouve dans les équipes RH, pas à la Direction. Le changement de posture n’est guère préparé. On constate notamment que, à quelques exceptions près, les formations RH, pourtant de plus en plus nombreuses, ne traitent que les questions métiers, pas du tout ce qui est à mon sens le vrai terrain de jeu du partenariat stratégique: le leadership, la mise en œuvre de changements, l’agilité organisationnelle, la capacité d’innovation ou de maîtriser ses coûts avec une dynamique humaine adaptée. Elles ne traitent pas non plus, au-delà de la théorie d’Ulrich, de la posture du partenaire. On part donc de loin. Il y a donc un réel défi à faire évoluer les compétences, la crédibilité, les modes d’intervention et la posture. Mais ce défi nous semble réaliste si on accepte de prendre le problème par le bon bout, en prenant conscience de sa propre responsabilité dans la non-existence du partenariat et en décidant d’y remédier. J’essaie de proposer des pistes concrètes et puissantes pour permettre d’y parvenir.

Daniel Held

Daniel Held est Dr Sc. Econ., Directeur PI Management et Concepteur Career4Life®. Son dossier HRM sur le partenariat stratégique peut être commandé ici.

 

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Marc Benninger est le rédacteur en chef de la version française de HR Today depuis 2006.

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