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Le pénible déficit d’image des ressources humaines suisses

Malgré leur ambition affichée d’être des partenaires stratégiques des entreprises, les départements RH cherchent toujours cette reconnaissance. Contrairement à d’autres spécialistes, ils n’ont pas encore connu leur heure de gloire. L’amélioration de la formation est une des clés pour sortir de l’impasse.

Les départements ressources humaines souffrent-ils d’un déficit d’image? Depuis que les GRH sont intégrés aux directions générales dans de nombreuses sociétés, on suppose évidemment le contraire: les ressources humaines exercent un rôle stratégique comme les autres départements représentés à la direction.

Pourtant, dans de nombreux cas, rien n’est moins sûr. Beaucoup d’entreprises ont définitivement compris que l’apport d’un service ressources humaines dépasse la seule administration des salaires. Mais lorsqu’on interroge des GRH sur leurs principaux défis, nombreux sont ceux qui mettent en tête la nécessité de faire reconnaître leur rôle stratégique dans l’entreprise. Preuve qu’il n’est pas acquis.

«Les ressources humaines manquent encore de visibilité», constate ainsi Andrée Suzan qui vient de prendre le poste de DRH Europe chez Logitech (voir aussi en p. 11). La collaboratrice RH d’une administration qui préfère garder l’anonymat résume le sentiment particulier qui règne dans son service: «Nous passons beaucoup de temps à nous interroger sur notre rôle et à nous plaindre de ne pas être assez entendus.»

Vu sous l’angle de la direction, le même problème peut être décrit d’une autre manière: l’avis du GRH compte-t-il autant que celui du directeur financier ou que celui du directeur des ventes? A mot couvert ou tout à fait ouvertement parfois, les directeurs d’entreprises laissent entendre que les ressources humaines ne doivent surtout pas se mêler de l’opérationnel et des enjeux stratégiques.

Parmi les collaborateurs non RH des entreprises, l’interrogation a aussi court, sous une forme encore différente: les ressources humaines ont-elles un réel pouvoir décisionnel ou ne jouent-elles qu’un rôle d’exécutant des basses œuvres dans les moments difficiles pour le personnel? Les ressources humaines ne sont-elles que les bras armés des autres départements lorsqu’il s’agit de restructurer, de licencier ou de faire passer les messages stratégiques de la direction, surtout lorsqu’ils sont impopulaires? A la décharge des départements RH, il faut d’emblée remarquer qu’on ne leur a pas souvent donné l’occasion de mener des plans à long terme ces dernières années. Leur richesse propre, le personnel, a souvent été dissipée au gré des réductions de coûts. Ils ont très souvent dû exécuter les décisions stratégiques, plus qu’ils ne les ont influencées.

Quelle est la perception du service RH dans l’économie? Dave Ulrich, consultant américain et auteur de plusieurs best-sellers sur des thèmes ressources humaines, analysait la perception des RH dans l’entreprise dans un récent article publié dans la version alémanique d’HR Today (n°3/2006): «Je divise cette perception schématiquement selon le modèle 20-60-20. Environ 20 pour cent perçoivent les RH comme des exécutants administratifs. Pour forcer le trait, ce sont les champions du règlement et de la paperasse. Pour un autre 20 pour cent, les RH ont une image très positive. Ils sont considérés comme des vrais partenaires dans la planification et la réalisation du succès de l’entreprise. Les 60 pour cent restants se situent entre ces deux pôles.»

Analysant les raisons de cette image différenciée, il poursuit: «Cette perception a plusieurs explications. La compréhension de l’apport RH à l’entreprise découle très souvent des attentes des directions envers leur département ressources humaines. Des dirigeants, qui n’ont pas compris à quel point les GRH peuvent contribuer à leur entreprise, ont une image dépassée de la fonction. D’un autre côté, les GRH sans expérience quant à l’application de stratégies sur le terrain participent également à cette image faussée.»

Une telle perception n’est certainement pas souhaitable pour les ressources humaines. Les GRH doivent encore clairement asseoir leur position de meneurs dans le monde de l’entreprise pour devenir des partenaires à part entière des décisions stratégiques.
Dans sa recension d’un livre récemment paru (voir en page 13), Bernard Radon, coach en entreprises et grand connaisseur des ressorts des ressources humaines, affiche sa conviction sur le rôle que doivent prendre les GRH: «Fou du roi, le DRH, tout sauf cela. Un stratège au même titre que le CEO dont il est le représentant du capital humain, au cœur des enjeux de demain.»

Pour lui, si les GRH revendiquent encore leur place stratégique, c’est entre autres – encore une fois à leur décharge – parce qu’historiquement, ils n’ont jamais été les leaders de l’entreprise: «Les GRH attendent toujours leur jour de gloire. Les départements de production l’ont eu lorsqu’il fallait produire des biens indifférenciés en grande quantité. Puis ce fut le tour des gens du marketing dans la période des trente glorieuses. Aujourd’hui, lorsqu’il faut gérer parcimonieusement, les financiers détiennent les rênes de l’entreprise. Demain, lorsqu’il y aura pénurie de main d’œuvre, du fait du vieillissement de la population, les GRH auront leur tour. Encore faudra-t-il être prêt.»

Au passif du bilan. Production, vente, finance, tout cela se chiffre assez aisément. Il sera toujours plus dur de chiffrer les performances des ressources humaines. A cet égard, le potentiel des tableaux de bord RH reste souvent mal interprété. Bernard Radon constate aussi cette attitude: «Les GRH veulent faire du mimétisme. Ils tentent de se justifier financièrement: mais que peut-on chiffrer? Ils se posent la fausse question.»

Pour définir ce rôle, Bernard Radon cite l’une de ses collègues, Viveca Hortling, consultante en ressources humaines: «Il faudra bientôt que les directeurs RH deviennent des CHO – Chief human resources officer –, c’est-à-dire des dirigeants qui prennent leur place à la direction générale avec une vraie vision stratégique.»

Mais les ressources humaines ne sont pas seules responsables de leur situation. Les directions générales mésestiment très souvent leur rôle. Une situation que Stéphane Garelli, directeur de l’International Institute for Management Development, montrait du doigt dans un récent interview avec PME Magazine. A la question: les ressources humaines ne sont-elles pas sacrifiées au nom du capital, Garelli répond: «Ce ne de-vrait absolument pas être le cas. Les ressources humaines sont aussi à la base de toute croissance. Les bonnes entreprises comprennent cela. Même s’il y a une sorte d’ambivalence au niveau comptable: les compétences ne figurent nulle part dans le bilan des sociétés. Elles font partie des intangibles, plus encore que les marques ou les technologies. Et dans le compte d’exploitation, le personnel figure du côté des charges, qu’on cherche continuellement à réduire, et non du côté des actifs. Alors qu’il représente le bien le plus précieux!»

Faire sa place. Si beaucoup d’éléments semblent s’opposer à la reconnaissance des GRH comme partenaires stratégiques, on ne peut pas en imputer les raisons qu’à des facteurs extérieurs.

On remarquait au début de cet article que certains GRH assurent devoir commencer par faire leur place pour être entendus. Ce qui supopose que celle-ci n’est pas établie dans la culture de l’entreprise.

«C’est tout de même assez étonnant, constate Bernard Radon, on parle de ressources humaines depuis septante ans, le délai pour se faire reconnaître est un peu long. Je ne comprends pas toujours que les responsables ressources humaines se demandent encore quelle est leur place.» Pour lui, outre le fait que les RH n’ont jamais encore endossé un rôle de leader, deux autres raisons permettent de comprendre que les RH revendiquent toujours leur place: «Longtemps, aller travailler dans un service RH était une voie de garage.» Il rejoint par cette réflexion une image largement répandue dans le monde de l’entreprise. C’est bien sûr un cliché, mais on est en  droit d’affirmer qu’il est encore vrai pour une partie des collaborateurs de services RH.

Ce n’est pas seulement un signe d’incapacité à exercer une autre fonction, c’est aussi le constat qu’il y a peu de spécialistes à proprement parler en ressources humaines. Bernard Radon met encore le doigt sur ce point: «En Suisse, les GRH ont encore trop souvent une formation de chef de personnel. La Suisse n’est pas en avance avec la formation spécifique ressources humaines. La formation est souvent très scolaire: paie, fiches horaires, cahier des charges et éventuellement formation.»

C’est certainement dans l’amélioration de la formation que réside une des clés pour que les GRH deviennent vraiment des partenaires stratégiques de l’entreprise, en prenant conscience des enjeux capitaux du… capital humain. Mais pour qu’ils prennent cette place, ils sont en droit d’attendre d’être mieux considérés par leurs collègues de direction, car comme le constatait récemment le cabinet de conseil en management Human Asset, les responsabilités assumées, l’autonomie et le pouvoir de décision sont les trois premiers facteurs de motivation d’un cadre. Il n’est pas certain que les GRH d’aujourd’hui se sentent parfaitement autonomes.

Il reste donc du chemin à parcourir avant que les GRH réalisent les prévisions de Dave Ulrich, lâchées dans l’article mentionné plus haut: «Aujourd’hui, les dirigeants de grandes entreprises reconnaissent de mieux en mieux la valeur des forces humaines de leur entreprise. Ils savent qu’une bonne gestion du personnel permet d’augmenter les parts de marché, d’appliquer une stratégie et d’atteindre les objectifs.»

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