Le pratico-pratique
DRH du CHUV depuis 8 ans (13’000 collaborateurs), Antonio Racciatti est parvenu à durer dans le milieu hospitalier romand réputé difficile pour la fonction RH. En pleine deuxième vague, il tire un premier bilan.
Photo: Pierre-Yves Massot / realeyes.ch pour HR Today
Il a un côté terrien, enrobé de charme latin avec une capacité à vous convaincre du bon sens de ses actions. En d’autres termes: habile négociateur, bon vendeur et authentique. Voici Antonio Racciatti. Il dirige les ressources humaines du plus gros employeur du canton de Vaud depuis 2012 (Centre Hospitalier Universitaire Vaudois).
Une performance en soi si l’on pense au taux de rotation élevé de cette fonction dans les autres centres hospitaliers de Suisse romande. Nous le retrouvons en pleine deuxième vague, un matin de décembre 2020, dans les nouveaux locaux de la DRH du CHUV sur les hauts de Lausanne. La situation est tendue.
Une fois assis, il enlève son masque et raconte: «Depuis le début de cette crise, nous avons engagé 150 personnes, fait appel à l’armée et à la protection civile. Nous avons doublé la capacité des soins intensifs et malgré tous ces efforts, nous sommes toujours en flux tendu. D’un point de vue technique et logistique, nous tenons le coup, mais la lassitude s’est progressivement installée auprès du personnel soignant. La fatigue est générale, mentale et physique.» Lors de l’entretien, Noël est devant nous et Antonio Racciatti craint une troisième vague après les fêtes.
«Notre personnel doit pouvoir se reposer. Tout le monde est à bout de souffle, j’espère que la population saura rester sage et respecter les consignes des autorités.» Lui-même a posté début décembre un appel à la prudence sur Facebook. Il souligne aussi les efforts fournis par son équipe: «Avec les années, j’ai pu m’entourer d’experts remarquables dans leur domaine. C’est donc collectivement et en équipe que nous gérons cette période difficile.» À 53 ans, ajoute-t-il en souriant, «mon égo n’a plus besoin d’être nourri en permanence, c’est mon équipe qui compte avant tout». Après huit ans dans l’institution, nous lui proposons donc de tirer son premier bilan.
L’homme aux 200 projets
Depuis qu’il a remplacé l’ancien DRH Emmanuel Masson, lui et son équipe ont mené à bien plus de 200 actions et projets RH. S’il fallait en citer trois? «La digitalisation des outils RH est sans doute le premier. À ce jour, environ 50% du travail est fait: paie, recrutement, gestion des données collaborateurs, tableaux de bord et automatisation de certains processus.» Pour la paie, il s’appuie sur son Directeur adjoint, Jean-Pierre Klay, et l’outil PeopleSoft d’Oracle. «L’opération a été d’une énorme complexité. Il faut vous imaginer 13’000 salaires, des barèmes et des conventions collectives différentes. Grâce à son expertise et celle de ses équipes, le changement du moteur de paie a été un succès absolu, sans un jour, ni un franc de retard.»
Puis il faut parler du programme de développement des cadres. «Sous la houlette de Murielle Udry, Directrice adjointe en charge du développement des cadres et de Serge Gallant, Directeur du Centre des Formations, nous avons mis en place le MicroMBA avec le concours de Raphaël H. Cohen. À ce jour, nous avons formé plus de 200 managers. Notre dispositif concerne aussi les managers de proximité et se veut cohérent avec le développement en cours d’un programme de gestion de la relève.»
Il a également réussi à boucler la réforme du règlement des médecins cadres ainsi qu’une refonte de la convention collective des médecins assistants et chefs de clinique. Il avoue apprécier particulièrement les négociations avec les partenaires sociaux. «Je suis un pacificateur et un solutionneur. J’écoute et je tente de responsabiliser les parties. Les revendications sont parfois légitimes, mais très difficiles à mettre en place selon les modalités et les envies exprimées par les différentes parties. Il faut donc trouver des solutions justes et efficaces. C’est ce que j’aime faire».
Il cite enfin les chantiers mis en place pour «tordre le bras à l’absentéisme»: «Nous avons mis en œuvre une vraie gestion de la santé, reconnue en 2019 par le label Friendly Workspace, et lancé le projet EOS (établissement orienté santé) de management des absences.»
Repositionnement
Antonio Racciatti a également renforcé le positionnement de la fonction RH dans l’organisation. De la direction administrative à laquelle ils étaient rattachés, les responsable RH de département sont désormais intégrés dans chaque direction de département. «Je leur ai donné leur autonomie. Ce mouvement a été accompagné par une redéfinition du périmètre de responsabilités de chaque manager RH et d’un plan de formation adapté. Celui-ci sera finalisé en 2021. Ce collectif de professionnels, mené par Eric Monnard, est de très haute qualité.»
Déjà longuement cité dans HR Today, l’Unité d’organisation et d’amélioration continue (OrAC) porte aussi sa patte. Cette équipe d’ingénieurs, gravitant autour de Pierre-André Conus, a contribué à plusieurs innovations organisationnelles ces dernières années (un processus de pré-facturation ambulatoire; la réorganisation des desks d’accueil ou la simulation du flux des patients en chirurgie cardiaque pour optimiser leur prise en charge).
Antonio Racciatti: «L’unité OrAC a été renforcée dans sa dotation et sa zone d’influence. Les demandes viennent de partout et nous sommes un peu victimes de notre succès». À noter qu’OrAC a créé en 2020, en collaboration avec ESOPE (la Cellule Enquêtes de satisfaction et d’opinion des patient·e·s et des employé·e·s d’unisanté) un outil pour mesurer l’expérience collaborateurs de différents processus et ainsi évaluer au fil de l’eau les effets du management sur les équipes. L’outil sera lancé officiellement début 2021.
Courroie de transmission
Son rôle à lui est d’être la courroie de transmission entre la direction du CHUV, les directions des départements, les cadres, les partenaires sociaux, les autorités politiques et l’ensemble du personnel. Une posture difficile à tenir? «Non, pas du tout. J’ai des échanges réguliers avec l’ensemble de ces acteurs. Mon rôle est de permettre que les objectifs de développement de notre institution, notamment définis dans notre plan stratégique, puissent être atteints, tout en assurant que nos collaborateurs-trices puissent y contribuer dans les meilleures conditions. Ma force est de cumuler une expertise technique RH, une vision stratégique, une bonne maîtrise de la gestion du changement et une connaissance fine des enjeux organisationnels». On sent ici l’habile négociateur. Dans ses mots, il a «rendu à la fonction RH ses lettres de noblesse».
Il poursuit: «J’ai un rôle pivot et une vision transversale de l’institution. Chaque fois qu’un nouveau projet est lancé, qu’il soit financier, clinique ou humain, les aspects RH doivent être pris en compte». Il avait déjà mis en place un modèle semblable au groupe Bobst, où il a été DRH entre 2006 et 2012. On lui demande si les méthodes du privé s’adaptent bien au service public? «Dans le privé, les gains de productivités permettaient d’augmenter les marges alors qu’ici au CHUV, ils sont réinvestis pour augmenter notre capacité et la qualité de la prise en charge des patients et dans le renforcement des compétences de nos collaborateurs-trices».
Trop de mails et trop de séances
Sa difficulté se situe plutôt au niveau de la charge de travail, sourit-il. Connu pour ses reports fréquents de séances de travail, il admet la critique et assure avoir corrigé le tir. «Aujourd’hui, je respecte 85% de mon agenda. Je participe à une quarantaine de séances par semaine et reçois une centaine de mails par jour. J’ai renforcé mon staff d’assistantes pour m’aider dans la gestion de mes différentes obligations.»
Il avoue aussi avoir parfois «trop d’idées et ne pas savoir dire non» ce qui l’a obligé à mieux clarifier ses priorités. «J’ai également instauré des rituels quotidiens». Certains appels téléphoniques se font le matin tôt, au volant de sa Ford Mustang, et sur la route du retour, entre 19h00 et 20h00.
Homme d’action plutôt que de théories, il a le contact facile et préfère une discussion à bâtons rompus qu’un mémorandum de trois pages: «Je suis quelqu’un de dialogue, un médiateur qui anticipe les problèmes et qui sait réunir les gens autour d’une idée, je suis un pratico-pratique. Et j’aime aussi innover, ce qui implique parfois de prendre des risques.» Sa plus grande fierté est sans doute la culture de bienveillance qu’il essaie d’implémenter au CHUV. «Les gens peuvent ne pas être d’accord entre eux, mais cela se discute dans le respect. Avoir des idées différentes est une richesse en soi et permet l’innovation. Cela doit se faire sans entrer en conflit.»
Avec la Direction Générale et la Direction de la Communication, il a mis en place une charte (dont le titre est «La relation à l’autre, une priorité pour tous») qui détaille les comportements attendus. «L’idée était aussi de sécuriser les conditions de travail. Les collaborateurs savent que nous y sommes attentifs et se sentent en confiance», assure-t-il.
Débrouillard et travailleur
Lui a construit sa base de sécurité au bord du lac Léman à Vevey, où il est né, second d’une fratrie de trois. Originaire des Abruzzes en Italie, son père est serrurier-soudeur, arrivé en Suisse durant les années 1960. Le père travaille notamment à la fonderie Von Roll à Soleure. C’est là qu’il rencontre son épouse, coiffeuse de formation, originaire de Séville dans le sud de l’Espagne, où «elle crevait de faim». Les deux amoureux s’installent à Vevey et fondent une famille.
Après une enfance simple et heureuse, le petit Antonio réussit bien à l’école. Il entre au gymnase à Burier en latin-anglais, rate son bac et démarre un apprentissage de laborant en chimie. Il reprend sa maturité en cours du soir, réussit, et s’inscrit à Sciences Po à l’Université de Lausanne. Débrouillard, vif et travailleur, il est engagé après ses études à l’Office régional de placement (ORP) de Vevey par Françoise Pache. Elle lui confie la fusion des ORP de Vevey et de Montreux.
Commence ensuite sa carrière dans les RH. Après une première mission dans l’État-major du département de la sécurité du Conseiller d’État Jean-Claude Mermoud, il est nommé DRH adjoint au CHUV sous l’ère Masson. Il bifurque ensuite vers le privé au groupe Bobst à Mex (canton de Vaud). Ces allers-retours entre le privé et le public lui conviennent plutôt bien, confie-t-il: «Je compte bien faire une dernière pige dans le privé avant la fin de ma carrière».
Bio express
- 1994: Licence en Sciences Politiques, Université de Lausanne
- 1996: Chef de l'ORP Riviera (Montreux-Vevey)
- 2001: Responsable RH au département environnement et sécurité à l'État de Vaud
- 2005: Directeur RH adjoint au CHUV
- 2006: DRH de Bobst SA
- 2012: DRH du CHUV