Conseils pratiques

«Le psychologue du travail n’est pas un thérapeute»

Secrétaire générale de l’association PSY4WORK.CH, qui regroupe les psychologues du travail de Suisse, Anny Wahlen revient ici sur les malentendus qui entachent son métier.

La situation conjoncturelle se durcit en Suisse, ce qui détériore aussi les rapports de travail. Comment réagit le psychologue du travail devant cette situation?
Anny Wahlen: C’est vrai, l’économie se durcit, à cause no­tamment des pressions externes. Notre approche sera d’éva­luer chaque situation sous différents angles. Pour simplifier, nous en retiendrons quatre: l’organisation en tant que conte­nant, l’équipe, l’individu et les tâches. Quel que soit le thème, le psychologue du travail va observer ce qui fonctionne ou dysfonctionne dans ce système. Ensuite, nous mettrons en place des stratégies à tous ces niveaux. De la prévention au niveau de l’individu, sous forme de coaching ou de formation. Nous proposerons aussi d’accompagner les équipes et les managers. Enfin, nous travaillons sur les processus et les inter­ actions entre tous ces éléments.

Pourquoi cette approche multidimensionnelle?
La pensée dominante estime que plus on rigidifie le sys­tème, en ajoutant des processus et des procédures, plus les choses vont rouler dans le bon sens. Or ce n’est pas le cas. Notre expérience montre qu’il faut au contraire amener plus de dialogue, plus d’autonomie et donc plus de choix dans les postures de leadership. Nous essayons donc de sensibiliser les entreprises à ces dynamiques. Cette approche nous différencie par ailleurs de la psychologie thérapeutique. Nous essayons d’être un lien entre l’individu, son travail et son contexte, par le biais des connaissances et pratiques scientifiques reconnues de la psychologie. Notre rôle est d’apporter un équilibre entre la logique financière et la logique humaine. Les êtres humains ne sont pas des machines. Peu importe le nombre de processus, on ne pourra jamais uniformiser les comportements. Nous essayons plutôt de tirer profit des différences et d’ouvrir l’hori­zon des possibles. La rigidité crispe les organisations et génère plus de problèmes qu’elle n’en résout.

Dans quelles situations fait-on le plus souvent appel à un psychologue du travail?
Nos missions partent le plus souvent d’une demande précise. Ces demandes sont fréquemment le signe d’un dysfonc­tionnement plus profond. Notre rôle est de défricher le terrain pour comprendre l’origine du problème. Typiquement: plu­ sieurs burn­out dans une organisation. Au lieu de traiter les burn­out individuellement, nous essayons de comprendre les interactions entre ces symptômes et le contexte organisation­nel dans lequel ils apparaissent, puis nous développons des solutions axées sur la prévention, l’action et le suivi. C’est sans doute aussi ce qui nous distingue des consultants classiques, qui répondent à une demande précise.

La psychologie du travail est parfois critiquée pour son approche «Bisounours» du monde du travail. Que répondez-vous?

Si le psychologue se focalise sur l’individu et sa manière d’appréhender le travail, cela pourra en effet être perçu comme une action alibi. Et certaines entreprises le souhaitent, car il n’est pas facile de remettre en cause le système. C’est la diffé­rence entre le psychothérapeute, qui s’occupe de la souffrance des individus, et le psychologue du travail, qui va se focaliser sur le contexte organisationnel, l’individu et son travail. Nous ne sommes donc pas des thérapeutes. Notre objectif est aussi de conserver l’équilibre des forces dans l’organisation. Nous essayons de responsabiliser chaque acteur et de leur montrer les interactions du système. Ce qui ne nous empêche pas d’agir avec beaucoup de compassion et de bienveillance. Mais nous essayons de sortir les individus d’une posture de victime et de leur montrer qu’ils sont partie prenante des situations. Ils tiennent un rôle dans l’organisation et participent donc eux­-aussi à ces dynamiques. Ce n’est pas toujours facile à entendre.

Les DRH sont partagés sur la limite à ne pas franchir quand on essaie d’aider un individu en difficulté. Où poseriez-vous cette limite?

Oui, cette question mérite effectivement d’être clarifiée. La souffrance d’un collaborateur, peu importe la problématique, aura des conséquences sur son travail. Le DRH devra donc tenter de ré­ soudre le problème. Après une première évalua­tion de la situation, si le DRH constate que l’ori­gine de la souffrance est privée, il doit la prendre en compte, mais pas la prendre en charge. Prendre en compte cela veut par exemple dire: mettre à disposition des ressources et des solu­tions existantes tout en laissant au collaborateur la responsabilité sur les actions à mettre en œuvre. En revanche, si le DRH constate que l’ori­gine du problème est professionnelle, c’est de sa responsabilité de prendre des mesures. Le rôle du psychologue du travail est d’aider le DRH à clari­fier ce qui sera de la responsabilité du collaborateur ou de l’entreprise.

L’association PSY4WORK.CH, qui avait été créée en 1994 sous le nom de APSYTRA, vient d’être relancée. Qu’est-ce qui a changé depuis?
Dans les années 1990, la conjoncture allait bien, les départements RH avaient de l’argent et pouvaient engager des consultants pour traiter leurs problèmes. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Les moyens sont devenus limités, les rapports de travail se sont durcis et nous assistons à l’ex­plosion des fameux risques psychosociaux au travail. Repositionner notre association est une manière de promouvoir le métier et de le démar­quer des autres spécialités de la psychologie et de montrer sa plus­-value.

Quelles sont les exigences pour devenir membre?
Nos membres doivent disposer d’un Master en psychologie du travail de l’Université de Neu­châtel, ou alors d’un Master en psychologie d’une autre université, agrémenté de trois ans d’expérience professionnelle en organisation. Parmi nos 70 membres, la moitié travaille en entreprise. L’autre moitié est composée d’indé­pendants. Notre plateforme les présente par spécialisation et permet aussi d’approcher un psychologue du travail en emploi, dans un sec­teur d’activité proche, afin de réseauter et d’échanger sur des sujets ressentis comme sen­sibles.

L’intervenante

Anny Wahlen est la secrétaire générale de PSY4WORK.CH, l’Association Suisse des psychologues du travail et des organisations (www.psy4work.ch). Titulaire d’un Master en psychologie du travail, elle est consultante RH indépendante. Contact: anny.wahlen@psy4work.ch

 

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Marc Benninger est le rédacteur en chef de la version française de HR Today depuis 2006.

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