Portrait

Le seigneur des audits

Connu comme le loup blanc dans la communauté RH de Suisse romande, le consultant Angelo Vicario a établi son entreprise dans les trois régions linguistiques du pays en misant sur le climat social.

C’est souvent à table devant une assiette et un bon millésime que tout commence avec Angelo Vicario. Ce rituel est devenu sa carte de visite. Avant d’entamer une relation d’affaires, il aime discuter à bâtons rompus avec ses interlocuteurs. Et nombreux sont les managers, syndics ou directeurs de PME qui ont décidé de lui faire confiance en sortant de table. Sa technique de vente? «Je ne suis pas un vendeur. Ce sont la qualité du lien, la confiance et le partage qui m’intéressent...», coupe-t-il, assis dans un fauteuil au neuvième étage de la tour Edipresse de Lausanne. C’est dans ces locaux, avec vue époustouflante sur le lac Léman, qu’il a installé les quartiers généraux de son entreprise de conseils, Vicario Consulting SA. Parti de rien, avec une licence en psychologie et quelques années d’expérience dans la formation d’adultes, Angelo Vicario est devenu une figure du climat social en organisation. Sa société emploie aujourd’hui 40 personnes, avec des locaux à Genève, Neuchâtel, Martigny, Berne, Zurich et Lugano.

Charme latin

Il se définit comme un entrepreneur passionné et fier de ses racines napolitaines. Très bon dans le relationnel, il n’est pas moins dur en affaires. Gros travailleur, souvent le premier à arriver au bureau le matin, il exige de son équipe un dévouement sans faille. En 2003, il propose à sa collaboratrice Ursula Gut-Sulzer de devenir son associée. Entre-temps, cette ancienne journaliste du St-Galler Tagblatt – un temps correspondante romande du Tages Anzeiger – est devenue son alter ego. Elle est la gestionnaire rigoureuse, dédiée au marché suisse alémanique, alors que lui est l’intuitif qui sent les affaires, prend des risques et n’hésite pas à recourir à son charme latin pour convaincre un client. Ensemble, ils ont construit un petit empire.

Ils ont bâti leur édifice en devenant experts dans la gestion du harcèlement moral et sexuel à l’époque où personne n’osait évoquer ces sujets en public. Angelo Vicario se souvient: «Il y a vingt ans, parler du stress en entreprise était encore tabou. Je me souviens d’une administration cantonale vaudoise qui nous avait demandé d’intervenir tout en nous interdisant d’utiliser le mot stress. De peur que la simple évocation du problème allait contaminer les équipes (sourire). Les mentalités ont bien changé depuis.» Aujourd’hui, la santé au travail est devenue un enjeu majeur. Le coût d’un turnover élevé et l’importance d’avoir une bonne réputation sur le marché du travail ont conduit les entreprises à investir dans les relations humaines. Angelo Vicario: «De nos jours, en cas de harcèlement, les collaborateurs connaissent leurs droits et n’hésitent plus à dénoncer un comportement toxique. La transparence a aussi joué un rôle dans ce changement des mentalités. Grâce aux réseaux sociaux, un employeur qui ne s’occupe pas de l’atmosphère de travail risque d’être lynché sur la place publique.»

Diversification

D’abord spécialisée dans le climat social, Vicario Consulting a depuis diversifié ses domaines d’intervention en incluant la gestion de la relève et l’accompagnement du changement. «Alors que les assessments et les outils d’aide à la décision étaient réservés aux cadres supérieurs, ils sont désormais déployés à tous les niveaux et dans tous les milieux professionnels. Pourquoi? Car les dirigeants se sont rendus compte que la dimension humaine d’un service fait la différence sur un marché de plus en plus concurrentiel. L’intelligence émotionnelle est devenue aussi importante que le quotient intellectuel», résume Angelo Vicario. Pareil avec l’accompagnement au changement. Il raconte: «Les dirigeants ont saisi que pour réussir un changement, il faut l’accompagner. Je me souviens par exemple d’une société qui avait beaucoup investi dans son infrastructure informatique pour diminuer la consommation de papier. Mais comme ils n’avaient donné aucun sens à un tel changement, les dépenses en papier avaient plutôt augmenté (sourire).»

Afin d’être en mesure de réaliser ces différents types d’interventions, Angelo Vicario s’est progressivement entouré de juristes, d’économistes et de praticiens RH. Contrairement à de nombreux cabinets de conseils, il a misé sur le salariat. Seuls 20% de ses consultants travaillent sur mandat. «Cela implique des charges fixes élevées. Nous sommes donc constamment sous pression. En échange, nous pouvons compter sur des consultants engagés et fidèles. De plus, cette stabilité dans nos effectifs est très appréciée par nos clients.»

L’autre choix stratégique fut de s’établir dans toutes les régions linguistiques du pays. Là-aussi, Angelo Vicario prend des risques. A Lugano par exemple, l’affaire a failli tourner au fiasco. «En 2009, nous venions d’engager Fiorenzo Bettoni (consultant et assesseur, ndlr) et d’investir dans des magnifiques locaux au World Trade Center près de l’aéroport de Lugano quand un gros client s’est désisté au dernier moment. Cette affaire a failli couler toute l’entreprise. Mais dix ans plus tard, ce pari s’est avéré payant», raconte-t-il.

Emotif et réservé

Derrière ces succès se cache pourtant un homme émotif et réservé. Angelo Vicario est originaire de Campanie, une région aride et sans perspectives économiques de l’arrière-pays napolitain. Ses parents viennent s’installer à Lausanne au début des années 1960, à la recherche d’un avenir meilleur.

Travaillant les deux à 100%, ils placent le petit Angelo dans la famille de sa tante à Milan. Il revient à Lausanne à dix ans et commence ainsi tout en bas de l’échelle sociale, parlant peu de français et ne maîtrisant pas les codes. Travailleur et optimiste (résilient dirait-on aujourd’hui), il surmonte les obstacles et décroche sa maturité en 1987.

Il décide d’étudier la sociologie et la psychologie à l’Université de Lausanne. Après sa licence et un premier essai professionnel au sein de l’Office pour l’assurance invalidité pour le canton de Vaud, il se dirige vers la psychothérapie et décroche son autorisation de pratiquer (FSP) en 1996. Cette envie de s’occuper des autres lui est venue durant ses études: «J’ai été très marqué par le livre de Carl Rogers, Le développement de la personne. Ce bouquin m’a bouleversé et j’ai eu envie de consacrer ma vie à l’être humain.»

Le démarrage de son activité de thérapeute est difficile. Il se retrouve seul dans un cabinet sur les hauts de Lausanne. L’ennui s’installe. Déjà entrepreneur dans l’âme, il accepte une proposition de ses amis Daniel Christen, Raphaël et Pascal Gay et devient psychothérapeute dans un cabinet médical et formateur d’adultes. «Ces missions étaient relativement bien payées, mais surtout j’ai découvert qu’un formateur est un levier puissant pour améliorer le climat de travail dans l’entreprise. Coup de chance de la vie, c’est aussi à ce moment-là que les premières études ont été publiées sur le harcèlement psychologique.»

Expert malgré lui

Angelo Vicario se plonge dans le sujet et devient – un peu malgré lui – l’expert suisse romand du climat social. Plusieurs administrations cantonales lui demandent d’intervenir. Il se souvient: «Les mandats sont devenus de plus en plus importants. J’ai même été invité par l’Organisation mondiale de la santé pour donner une conférence sur le harcèlement moral en traduction simultanée. J’avais à peine trente ans et je me suis retrouvé sur le devant de la scène», sourit-il.

En 1999, le travail coule à flot et il décide donc de créer son entreprise. A la recherche de locaux, il voit une annonce pour des bureaux dans la tour Edipresse et tombe amoureux de la vue. En 2006, il co-rédige un manuel détaillant les enjeux du harcèlement en milieu professionnel*.

Progressivement, son affaire monte en puissance. L’équipe qui l’entoure s’étoffe et il commence à étendre son réseau à travers la Suisse romande. La concurrence augmente elle aussi. «Au début, j’étais quasiment le seul à proposer des audits et du conseil en climat social. Aujourd’hui, les sociétés de conseils en ressources humaines poussent comme des champignons.» Le développement de ses activités dans toute la Suisse répond en partie à ce besoin de se démarquer. Aujourd’hui, il est devenu un chef d’entreprise respecté. Mais avec le succès sont venus aussi les pressions et les soucis. Il nous confie avoir parfois des nuits blanches et subir un certain isolement. Il s’est donc entouré d’une équipe de fidèles lieutenants. Et ne rate jamais une occasion de tailler une bavette et déguster un bon nectar.

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Marc Benninger est le rédacteur en chef de la version française de HR Today depuis 2006.

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