Le syndrome des bâtiments malsains est en hausse
Toujours plus de travailleurs se plaignent de maux imputables à la pollution de l'air à l'intérieur des bâtiments. Le confinement n'arrange rien.
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Après la fièvre du samedi soir, voici la migraine du lundi matin. Elle surprend les honnêtes travailleurs dès qu’ils entrent dans leur espace de travail. Le «syndrome des bâtiments malsains» (SBM) regroupe une variété de signes physiques (maux de tête, conjonctivites, sécheresse de la peau, fatigue chronique, asthme, etc.) imputables à un environnement délétère. En fonction des bâtiments, l’air peut être jusqu’à cent fois plus toxique à l’intérieur que dehors, selon l’Office fédéral de la santé publique (OFSP).
Les mesures de cantonnement à domicile et les quarantaines pourraient ainsi avoir conduit à une exacerbation de la problématique du SBM, écrit Reza Fouladi-Fard, chercheur à l’Université des sciences médicales de Téhéran, dans une lettre à l’éditeur publiée l’année dernière par la revue Indoor and Build Environment. Des recherches récentes pointent en effet l’existence d’un lien entre la pollution de l’air à l’intérieur des bâtiments et la prévalence de la COVID-19, affirme-t-il.
Le SBM est l’un des problèmes de santé du travail les plus fréquents, en constante augmentation depuis les années 70, d’après la revue scientifique La Presse médicale. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) parle d’une hausse «significative, voire inquiétante» du nombre de plaintes. «Nous n’avons pas de statistiques, mais nous pensons que le phénomène est en progression», indique l’Office fédéral de la santé publique (OFSP). Rien qu’aux États-Unis, les pertes de productivité représenteraient entre 20 à 70 milliards de dollars par année, selon un article publié au mois de janvier sur la plateforme Breezo-Meter, qui regroupe des scientifiques et des spécialistes de la protection de la qualité de l’air.
Enveloppe trop étanche
Cause essentielle du syndrome: des immeubles trop étanches dont les fenêtres ne s’ouvrent pas, construits en grand nombre durant la crise du pétrole. Les résultats de différentes enquêtes suggèrent que 30% des bâtiments modernes présentent des problèmes de dégradation de la qualité de l’air ambiant, précise l’OFSP. L’OMS confirme que le tableau clinique est directement corrélé aux «bureaux modernes caractérisés par la présence de fenêtres qui ne peuvent pas s’ouvrir». Entre 25 et 30% des personnes travaillant dans ce type d’espaces seraient touchés. «On a compris aujourd’hui qu’en rendant l’enveloppe trop étanche, on commettait une erreur», déclare-t-on à l’inspection du travail du canton de Fribourg.
«Les systèmes de ventilation et de conditionnement d’air, qui devaient en principe procurer un air de qualité, font de moins en moins d’adeptes parmi les occupants. Ils ont été conçus sans tenir suffisamment compte des risques de développement de micro-organismes et du danger que ces derniers peuvent représenter pour la santé», lit-on dans un rapport de l’Ecole nationale française de la santé publique (ENSP), à Rennes.
Les origines du SBM conservent cependant une part de mystère. On a effectivement remarqué qu’il existait une association très forte entre le SBM et le sentiment d’être soumis à des conditions de travail contraignantes ou de ne pas recevoir assez de soutien de l’encadrement. L’ENSP a constaté que tous les cas étudiés avaient été précédés d’un événement «significatif», comme un changement de direction ou un décès dans l’entourage du collaborateur concerné.
Ainsi, le SBM pourrait être «un moyen de défense utilisé inconsciemment par l’individu en butte à des difficultés psychologiques pour attribuer son mal-être à une pollution de son environnement, afin de sauvegarder son équilibre mental». Il existerait des irréductibles, environ 5% des travailleurs, qui ne se sentiraient jamais bien nulle part. Les chercheurs ont également relevé une «contagiosité bien connue des symptômes» qui peut donner lieu, dans les cas extrêmes, à une forme d’hystérie collective.
Démangeaisons et vertiges
Mais si le côté psychologique joue vraisemblablement un rôle, il ne peut pas expliquer à lui tout seul le phénomène. Celui-ci était inconnu jusqu’au début des années 1980. Or, la décennie 1960 et 1970 a été marquée par la modernisation des bureaux: installation massive de systèmes d’air conditionné, de moquettes synthétiques et de nouveaux appareils tels que photocopieuses, ordinateurs et imprimantes. Les travailleurs commencent à se plaindre de maux bénins, mais perturbants: démangeaisons, éruptions cutanées, vertiges, etc.
En 1983, l’OMS définit le SBM «une combinaison de symptômes atypiques incluant céphalées, fatigue, irritation des yeux et des narines, sécheresse de la peau, troubles de concentration chez les personnes travaillant dans des lieux confinés». Il s’agit d’un diagnostic par exclusion, selon la journaliste et présentatrice Isabelle Moncada, qui a mené l’enquête pour son émission 36.9°. Car nous n’avons pas affaire à une entité médicale au sens strict, mais plutôt à un ensemble de symptômes atypiques présents chez une personne, sans signes pathologiques clairs.
Il y a quelques années, les locaux de la Télévision suisse romande (TSR) ont fait l’objet d’une analyse de la qualité de l’air, suite à diverses plaintes de collaborateurs adressées à la direction qui avait décidé d’équiper la nouvelle Tour de fenêtres verrouillées. Une employée s’était ouvertement plainte: «En théorie, on pouvait régler manuellement la température entre 18 et 25 degrés. Foutaise! On n’arrivait jamais au-dessous de 21° C, mais on montait allégrement à 30-35° C en été, quand le soleil cognait contre les baies vitrées. Inutile de dire que si une personne toussait ou éternuait, toutes les autres risquaient de se taper un rhume les jours suivants.» «Si vous ouvrez les fenêtres, vous faites tout simplement entrer de l’air chaud», avait répondu Georges Vichet, collaborateur du secteur santé et sécurité de la TSR.
Inspection du travail
Rappelons que l’ordonnance 3 relative à la loi sur le travail (LTr) contraint l’employeur à prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir la santé physique et psychique de son personnel; l’inspection cantonale du travail peut donc intervenir en cas de suspicion de SBM. Par ailleurs, la Confédération s’est vu confier depuis l’an 2000 la double tâche d’informer la population sur les polluants à l’intérieur des bâtiments et d’émettre des recommandations pour améliorer la qualité de l’air dans les locaux.
En cas d’apparition de symptômes caractéristiques chez les collaborateurs, l’OFSP conseille de s’adresser au gérant, au propriétaire des locaux, à un cabinet d’ingénieurs ou encore au Secrétariat d’État à l’économie (Seco). La solution peut s’avérer beaucoup plus simple qu’on ne l’imagine: ainsi que l’ont démontré des études menées par la Nasa aux États-Unis, les plantes vertes font merveille. Il peut suffire d’en placer une par 10m2 de surface pour assainir l’atmosphère! La qualité de l’air s’améliore «considérablement» au bout de six semaines. Les chercheurs recommandent en particulier les plantes à larges feuilles, type ficus ou philodendron.