Le temps consacré aux changements de vêtements doit-il être payé?
Un collaborateur qui doit se changer sur la place de travail avant sa prise de fonction peut-il exiger que ce temps de préparation soit rémunéré? Bien que le droit du travail règle cette question, elle fait souvent l’objet d’interprétations contradictoires, surtout du côté des employés.
Anja Buser
Récemment, j’étais dans un restaurant italien avec des amis. Un des mes collègues est arrivé en retard, décontracté, en disant: «Toutes mes excuses, je suis encore passé chez moi pour me changer après le travail. Je me sens beaucoup mieux sans mon costume-cravate.» À table, la discussion s’est enflammée: faut-il rémunérer ce temps dédié au changement d’habits. Le droit du travail est très clair sur ce point: la réponse est non!
Mais dans une de ses brochures, le Seco précise que ce temps doit être rémunéré si l’habillement fait partie du processus de travail et si le collaborateur peut se changer sur place. Ce qui n’est de toute évidence pas le cas de mon ami. Ses vêtements décontractés n’ont aucune fonction protectrice et il peut très bien se changer à la maison. La situation est semblable dans d’autres branches: la restauration, le commerce de détail ou l’aviation par exemple.
La question se pose également dans le domaine de la santé et elle renvoie à une autre réflexion: comment définir le temps de travail? Si je réfléchis à un projet en cours sous la douche le matin, est-ce du temps de travail? Le soir, quand je parle de ma journée avec mon/ma partenaire, mes amis ou ma famille, est-ce du temps de travail? Et comment qualifier une pause cigarette?
À l’inverse, quand je résous un problème personnel pendant que je suis au bureau, dois-je déduire ce temps des heures travaillées? En fin de compte, toutes ces réflexions posent la question de la place que nous accordons réellement aux collaborateurs dans l’organisation et de la conception que nous avons de leur valeur ajoutée en entreprise. Les collaborateurs sont-ils vraiment plus heureux s’ils sont payés pour se changer? Quels sont les vrais enjeux qui se jouent derrière cette question et comment y répondre aux mieux? S’agit-il d’un manque de reconnaissance ou d’une injustice salariale? Au lieu de régler cette question devant un tribunal, nous devrions utiliser notre énergie pour saisir le pourquoi réel de cette demande.
Marc Prinz
La question du dédommagement de ce temps utilisé pour se changer se pose uniquement si l’employé est tenu de porter des vêtements spécifiques pour effectuer son travail, notamment pour des questions d’hygiène. Si c’est le cas, ce temps doit être rémunéré. Et uniquement si ce temps est considéré comme faisant partie intégrante du temps de travail et non s’il est rémunéré ou compensé de manière différente. Mais comment définir le temps de travail avec précision?
Selon l’art. 13 al. 1 de l’Ordonnance 1 relative à la loi sur le travail, la définition est la suivante: «Est réputé durée du travail au sens de la loi le temps pendant lequel le travailleur doit se tenir à la disposition de l’employeur; le temps qu’il consacre au trajet pour se rendre sur son lieu de travail et en revenir n’est pas réputé durée du travail.» Par conséquent, ce temps comprend aussi celui utilisé pour se changer sur la place de travail. Cette disposition n’est en revanche pas toujours appliquée par certains employeurs du secteur privé. Dans certains cas, il existe d’autres dispositions contractuelles qui définissent le temps de travail, inspirées du Droit du personnel ou de règlements internes. Par ailleurs, même si le temps du changement de vêtements est considéré comme faisant partie du temps de travail, il ne donne pas forcément droit à une rémunération en espèces.
D’une part, cette compensation peut déjà être incluse dans le salaire, via un règlement annexe ou un amendement au contrat de travail conforme au droit. D’autre part, l’employeur pourrait compenser ce temps ailleurs, en acceptant par exemple que les pauses soient rémunérées. La rémunération de ce temps consacré au changement de vêtements ne peut donc pas se régler de manière unique pour tout le monde. Les entreprises concernées par ce sujet devraient par contre la traiter dans un règlement interne et l’indiquer dans le contrat de travail et le règlement du personnel. Dans le cas contraire, elles courent le risque que certains collaborateurs exigent des compléments de salaire.
Florian Schrodt
Je l’avoue: je ne me suis jamais vraiment préoccupé de cette question des vêtements professionnels et du temps de travail. Ma contribution ne va donc pas clore les débats. Je m’en tiendrais plutôt au conseil de ma mère: «Celui qui observe une situation par le trou de la serrure, ne verra pas l’entier du problème.» Plus sérieusement, la première fois que j’ai été confronté à cette question, ce fut lors de mon arrivée aux VBZ. Dans les transports publics, l’uniforme joue un rôle important. Je l’ai tout de suite remarqué en arrivant.
En ce sens, les collaborateurs sont vraiment des ambassadeurs de notre entreprise. Il s’agit donc de bien le montrer lorsque nous sommes en service. Mais il y a aussi d’autres uniformes, notamment dans nos ateliers qui permettent de répondre aux normes de sécurité. Ces vêtements sont fonctionnels certes, mais ils participent aussi à l’esprit d’équipe. À mon avis, ces habits jouent donc un rôle important en termes de culture d’entreprise. L’habit créé l’identité et offre la protection. Mais est-ce suffisant de simplement le dire?
Une rapide recherche sur Internet révèle les nombreux alinéas du droit du travail consacrés à ce sujet. Mais cette recherche montre avant tout que toutes les questions émanent des collaborateurs. Et ces questions méritent des réponses. Je vois là un rôle à jouer pour la fonction RH. Car les règles du vivre-ensemble en organisation se résument plus que jamais en une seule question: «Pourquoi?» Nous avons donc besoin de règles, de réponses et d’explications. Avant d’en venir au sujet du jour, permettez-moi de définir ce qu’est une règle. «Ce qui est imposé ou adopté comme ligne directrice de conduite; une formule qui indique ce qui doit être fait dans un cas déterminé.» Ce qui ressort de cette définition est qu’une règle n’a rien d’arbitraire.
De plus, une règle permet de rassembler plusieurs intérêts divergents. Ainsi, le règlement devient la pierre angulaire sur laquelle on construit une organisation. Que la fonction RH l’ait décrétée ne suffit pas. Le règlement doit faire grandir une culture d’entreprise. Le manager RH ne devrait pas, par conséquent, se voir uniquement comme celui qui fixe et qui protège la règle, mais aussi comme celui qui façonne une culture. Ainsi, la fonction RH devient un acteur central de l’organisation, qui favorise la transparence, la participation, l’identification et le développement.