Le temps d’essai, une occasion galvaudée
C’est le parent pauvre du processus de recrutement: le temps d’essai est souvent sous-exploité par les responsables RH pour favoriser l’intégration des nouveaux collaborateurs.
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Curieusement, il est beaucoup plus facile de trouver des informations juridiques sur le temps d’essai, que des conseils pratiques quant à la façon de l’utiliser pour favoriser l’intégration des nouveaux collaborateurs. Or, le but de cette période probatoire est justement de permettre aux deux parties de s’apprivoiser l’une l’autre. Interrogés pour les besoins de cette enquête, plusieurs experts, psychologues ou professeurs de management affirment que cette phase clé est insuffisamment mise à profit par les RH. «De nombreuses entreprises pensent qu’elles font du bon travail pour intégrer les nouveaux cadres, alors que ce n’est pas le cas», déclare ainsi Michael D. Watkins, professeur de leadership et de changement organisationnel à l’IMD business school de Lausanne, interrogé par mail.
Intégration sur le tas
Un mythe circule dans le monde du recrutement: une fois qu’on a trouvé le bon candidat, le plus dur a été fait. L’attention des RH se focalise sur le processus de sélection. Entretiens croisés, mises en situation, assessment center, tests de personnalité... rien ne paraît superfétatoire pour dénicher la perle rare. Pourtant, une fois unis par les liens du contrat de travail, l’employeur et l’employé vont encore devoir apprendre à vivre ensemble... «Et c’est le plus dur, parce que c’est un processus qui prend du temps», affirme Joanna Bessero, professeur au Centre romand de promotion du management (CRPM), à Lausanne. «Trop souvent, les entreprises ne consacrent que très peu de temps à l’intégration des collaborateurs. La majorité veulent aller trop vite, l’objectif étant de les rendre rapidement opérationnels. L’intégration se fait donc sur le tas, les informations sont données à la volée et l’initiation aux outils informatiques de l’entreprise est limitée», constate Didier Caveng, professeur à l’Ecole de Management et de Communication, à Genève. «D’ailleurs, lors des entretiens de recrutement, les candidats demandent de plus en plus souvent quel sera leur plan de formation», précise Joanna Bessero.
Divers sondages menés conjointement par les cabinets Genesis Advisers et Egon Zehnder en 2015 et 2016 montrent que peu d’entreprises parviennent à aider les nouveaux cadres à s’intégrer. Environ 65% des entreprises n’ont pas de processus d’intégration déterminé. Un mois après la prise de poste, 58% des cadres fraîchement engagés n’ont toujours pas bénéficié d’une discussion formelle avec le supérieur hiérarchique ou un responsable RH. Et c’est encore le cas pour 33% d’entre eux à la fin du temps d’essai. Certains rapportent qu’ils ont attendu une bonne quinzaine de jours pour obtenir un bureau, un ordinateur et même un téléphone... Selon un autre sondage, effectué par l’Association française pour l’emploi des cadres (Apec), plus de la moitié des nouvelles recrues sont accompagnées par un supérieur pendant leur temps d’essai, mais cet accompagnement n’inclut un entretien avec un membre de la DRH que pour 23% d’entre eux.
S’inspirer de l’expérience client
Que faire? Plusieurs experts pensent qu’il conviendrait de s’inspirer de l’expérience client pour envisager le temps d’essai comme une étape clé de la fidélisation des collaborateurs. Au lieu de formaliser ou de standardiser la phase d’accueil, il vaudrait donc mieux l’individualiser pour permettre aux intéressés de construire, à partir d’un cursus obligatoire commun, leur propre programme d’intégration. Pour le psychologue et chercheur bâlois Niklas Baer, spécialisé dans les questions d’intégration et de maintien en emploi, il est important que le nouveau collaborateur se sente le bienvenu. «Je pense que nous devrions le traiter comme une personne en lui donnant un feedback authentique.» C’est tout l’enjeu du temps d’essai, selon Joanna Bessero: «Il s’agit de créer des liens de confiance. S’il n’y a pas de confiance, il devient difficile de s’exprimer franchement. Ce qui est déjà compliqué pendant la période d’essai, parce que le nouveau collaborateur a tendance à craindre d’être observé et jugé.»
Significativement, un sondage réalisé en 2013 par le cabinet Egon Zehnder sur plus de 500 cadres expérimentés indique que les problèmes d’ajustement et l’incapacité à établir de bonnes relations sont les causes principales des ruptures de contrat pendant ou après le temps d’essai. Selon Michael D. Watkins, «les directions RH ne comprennent pas que ce qu’elles font aujourd’hui ne suffit pas. Celles qui ne soutiennent pas explicitement leurs nouveaux collaborateurs les mettent sur la voie de l’échec. Trouver comment fonctionner dans un nouveau système sans appui, c’est comme tenter de naviguer dans le brouillard sans GPS.» Joanna Bessero constate d’ailleurs que de plus en plus d’entreprises sollicitent un soutien ou un coaching externe pendant cette phase charnière. Depuis sa première édition en 2012, le best-seller de Michael D. Watkins «90 jours pour réussir sa prise de poste» a grandement contribué à populariser une nouvelle expression: l’accompagnement des «managers en transition». C’est même devenu, dans certaines entreprises nord-américaines, une fonction comme une autre...
Welcome Day + feedback après 2 mois
Comment les choses se passent-elles concrètement en Suisse? Six entreprises ont accepté de témoigner. «Chez Axa Winterthur, l’onboarding commence avant l’entrée en service du nouveau collaborateur, dit Adrian Frei, responsable du recrutement. Les futurs supérieurs hiérarchiques reçoivent bien à l’avance un modèle de programme d’introduction et une checklist des démarches à effectuer pour l’accueillir (création d’un code d’accès, libération du poste de travail, désignation d’un mentor, etc.). Le jour J, un «Welcome Day» est organisé pour lui donner des informations essentielles sur l’entreprise; il fera la connaissance de plusieurs cadres et d’un membre du directoire. Environ deux mois plus tard, un entretien aura lieu avec le service Recruiting pour faire le point.» Le feedback des intéressés est positif: «De manière générale, nous perdons très peu de collaborateurs pendant la période d’essai.»
La Bâloise connaît également une Journée de bienvenue, témoigne la porte-parole Nicole Schmidt. «Le nouvel arrivant reçoit des informations essentielles sur l’entreprise et on lui remet un plan d’initiation. Dans le courant des premières semaines, un entretien a lieu avec le HR Business Partner. Pendant toute cette phase d’initiation, nous nous appuyons sur un système de parrainage. Une personne de contact est chargée d’assister de façon informelle le nouveau collaborateur; cette possibilité lui permet d’aborder à temps ses sujets de préoccupation. D’après notre expérience, il est utile d’établir le contact avec le nouveau collaborateur avant son arrivée, par exemple en l’invitant aux team events ou aux réunions. Nous avons très peu de sorties pendant le temps d’essai et, globalement, peu de licenciements au cours des deux premières années.»
Chez easyJet, la première étape de l’onboarding consiste à fournir au nouveau venu des informations de base sur l’entreprise, «pour l’aider à comprendre notre modèle opérationnel», indique Sarah Jackson, HR and Administration Manager. Formation et coaching jalonneront les trois mois d’essai des pilotes et des membres de l’équipage de cabine. «Leur formation se poursuit une fois qu’ils commencent à voler; un feedback leur est donné après chaque vol pour qu’ils puissent évaluer eux-mêmes leurs performances. Enfin, un comité culturel interne et financé par easyJet organise des événements pour le personnel, afin de favoriser les contacts en dehors du travail. Notre modèle de recrutement fonctionne très bien.» Pour Claudia Coustel, Head of Global Human Resources chez Oettinger Davidoff à Bâle, l’intégration des nouveaux collaborateurs nécessite une «bonne préparation». Toutes les démarches administratives doivent être effectuées avant leur entrée en fonction. Le premier jour, ils sont accueillis par les Ressources Humaines. Une réunion d’information s’ensuit, durant laquelle les éventuelles questions administratives restées en suspens sont réglées. Puis, ils se voient remettre un badge d’accès et un «manuel de l’employé», avant de suivre une visite guidée. Pendant ce temps-là, un bouquet de fleurs et une carte personnalisée sont déposées sur leur bureau. Le chef de service les accompagne à leur place de travail, les présente à l’équipe puis invite tout le monde à partager un repas. Le programme d’intégration comprend une rencontre avec tous les chefs de service et les partenaires stratégiques. Pour améliorer le système, il nous faudrait encore désigner une personne de référence pour les accompagner tout au long de la période d’essai.»
Un parrain ou une marraine
Chez Helsana, accueillir un collaborateur commence par l’envoi préalable d’une carte généralement signée par toute l’équipe. Martial Messeiller, responsable Public Affairs Suisse romande, poursuit: «Un responsable et un parrain – ou une marraine – assument un rôle de formateur. Accessoirement, les cours et les formations internes permettent au nouvel arrivant de créer un réseau de connaissances. Des entretiens avec le responsable et le formateur sont régulièrement menés jusqu’à la fin de la période d’essai, qui est ponctuée par un rapport. Les remarques du principal intéressé sont recueillies via un questionnaire électronique. Les retours sont globalement très positifs. Idéalement, nous pourrions introduire, en plus, un entretien avec les RH après quatre à six semaines. Aussi, il me semble que les responsables pourraient parfois mieux définir leurs attentes face au nouveau collaborateur.»
«Chez Coop, nous avons depuis quelques années un concept d’accueil comprenant des échéances – le premier jour, la première semaine, le premier mois, etc., indique Andrea Bergmann, porte-parole. En plus, le nouveau collaborateur est invité à passer une journée dans l’un de nos centres de formation pour une présentation de l’entreprise. D’après notre expérience, le premier jour est déterminant: chaque personne qui débute est motivée à 100%, alors, il faut veiller à maintenir ce taux ensuite.» Comme le dit anonymement un cadre RH: «On ne peut pas motiver les nouveaux collaborateurs. En revanche, on peut tout à fait les démotiver...».