Droit et travail

Le Tribunal fédéral se prononce sur la «rémunération convenable»

Un travailleur peut-il réclamer un salaire supérieur au montant convenu avec son employeur? En principe non, mais il y a de nombreuses exceptions. Un arrêt récent du Tribunal fédéral portant sur la notion de «rémunération convenable» pour les salariés rémunérés par des provisions nous donne l’occasion de faire le point.

Selon le principe de la liberté contractuelle, les parties peuvent fixer librement le montant du salaire. Elles sont alors tenues de respecter scrupuleusement ce qui a été convenu: l’employeur ne doit pas payer moins; le travailleur ne peut pas exiger plus.

Contrairement au régime juridique pratiqué dans d’autres pays européens, comme la France qui applique le Smic («salaire minimum interprofessionnel de croissance»), il n’existe pas à l’heure actuelle en Suisse un salaire horaire minimum en dessous duquel aucun travailleur ne peut être payé. Mais la situation pourrait changer puisque l’Union syndicale suisse a déposé une initiative fédérale en vue de l’introduction d’un salaire minimum légal au niveau fédéral. Affaire à suivre donc.

Notons encore que lorsque le montant du salaire n’a pas été déterminé par les parties, et en l’absence d’un contrat-type ou d’une convention collective applicable, la loi prévoit qu’il faut se référer au «salaire usuel». Il s’agit du salaire payé dans la même entreprise, pour une activité correspondante, et en tenant compte des circonstances personnelles de l’employé.

Exceptions

Le principe de la liberté contractuelle comporte de nombreuses exceptions. Selon l’article 322 al. 1 du Code des obligations, l’employeur paie au travailleur le salaire «fixé par un contrat-type de travail ou par une convention collective». Ainsi, lorsqu’une relation de travail est soumise à leur champ d’application, la rémunération minimale prévue dans ces textes doit être respectée par l’employeur même si les parties ont convenu d’un salaire inférieur. Par exemple, le contrat-type fédéral pour les travailleurs de l’économie domestique impose un salaire minimum brut, sans les suppléments pour vacances et jours fériés payés, de 18.20 frs. par heure pour un employé non qualifié, et de 22 frs. par heure pour un employé avec CFC. Autre exemple: la convention collective nationale de travail pour les hôtels, restaurants et cafés prévoit des salaires mensuels bruts minimaux allant de CHF 3400.– pour les collaborateurs sans apprentissage à CHF 4800.– pour les collaborateurs ayant réussi un examen professionnel fédéral.

Il existe également des prescriptions de droit public qui ont un effet sur le montant du salaire. La loi fédérale sur l’égalité prévoit, par exemple, qu’il est interdit de discriminer les travailleurs en raison du sexe, notamment en ce qui concerne la rémunération. La loi concrétise le principe prévu dans la Constitution fédérale selon lequel: «L’homme et la femme ont droit à un salaire égal pour un travail de valeur égale » (art. 8 al. 3 Cst.). La loi fédérale sur les mesures d’accompagnement applicables aux travailleurs détachés règle quant à elle les conditions minimales de salaire applicables aux travailleurs détachés pendant une période limitée en Suisse par un employeur ayant son domicile ou son siège à l’étranger. Il s’agit de lutter ici contre la sous-enchère salariale. Enfin, la loi fédérale sur le service de l’emploi et la location de services stipule que lorsqu’une entreprise utilisatrice est soumise à une convention collective de travail étendue, l’agence temporaire doit appliquer au travailleur intérimaire les dispositions de la convention qui concernent le salaire.

Droit à une rémunération convenable?

Il n’existe pas en Suisse un droit général du travailleur à une rémunération convenable. Dans un arrêt récent daté du 2 mai 2013, le Tribunal fédéral a toutefois eu l’occasion de préciser le régime légal applicable aux travailleurs payés de manière exclusive ou prépondérante par des provisions (cause 4A_8/2013). Il s’agissait d’un travailleur engagé en qualité de «conseiller économique» à plein temps, moyennant un salaire fixé exclusivement selon un système d’avances (provisions) sur les affaires conclues. Dans les
faits, l’employé avait perçu un salaire mensuel net moyen de CHF 2074.– pour une activité à plein temps et sans qu’il n’ait été établi que les prestations qu’il avait fournies étaient insuffisantes.

Saisie d’un litige entre les parties, la Cour cantonale a considéré que le salaire net versé au travailleur ne constituait pas une rémunération convenable et que la somme brute supplémentaire de CHF 42 000.– que l’employé réclamait, laquelle représentait CHF 1800.– de plus par mois durant les rapports de travail, était admissible dès l’instant où le salaire adapté (se montant à CHF 3874.–) était encore inférieur à la rémunération moyenne calculée par l’Office fédéral de la statistique.

Le Tribunal fédéral, devant lequel l’affaire a été portée en dernière instance, a confirmé le raisonnement de la Cour cantonale et en a tiré une règle générale: tous les travailleurs payés de manière exclusive ou prépondérante par des provisions ont droit, au même titre que les voyageurs de commerce qui bénéficient d’une protection spéciale dans le Code des obligations (cf. art. 349a al. 2 CO), à une rémunération convenable, «afin d’éviter que l’employeur n’exploite le travailleur en lui faisant miroiter la perception de provisions irréalistes». Selon le Tribunal fédéral, on doit considérer qu’une provision est convenable si elle assure au travailleur «un gain qui lui permette de vivre décemment, compte tenu de son engagement au travail (Arbeitseinsatz), de sa formation, de ses années de service, de son âge et de ses obligations sociales ainsi que de l’usage de la branche».

Bases légales

Article 322 alinéa premier du Code des obligations
«L’employeur paie au travailleur le salaire convenu, usuel ou fixé par un contrat-type de travail ou par une convention collective.»

Article 349a alinéa deuxième du Code des obligations
«Un accord écrit prévoyant que le salaire constitue exclusivement ou principalement en une provision n’est valable que si cette dernière constitue une rémunération convenable des services du voyageur de commerce.»

Référence

Nouveau commentaire du contrat de travail

Edité par les professeurs Jean-Philippe Dunand et Pascal Mahon (Université de Neuchâtel), ce nouveau commentaire rédigé par 22 spécialistes suisses romands, actifs dans la pratique et l’enseignement, vise à faciliter la compréhension et l’application des dispositions du Code des obligations sur le contrat de travail. Toutes les questions importantes y sont traitées: salaire, certificat de travail, droit aux vacances, résiliation du contrat, mobbing, convention collective, contrat-type, etc.

 

Etude de cas

Age, motivation et rendement

Jugement du Tribunal fédéral du 13 février 2013

L’affaire:
Justin (prénom fictif) est engagé en avril 1998 en qualité d’agent d’exploitation par Cerise SA (nom fictif). Après 12 ans d’activité, Cerise SA résilie le 13 janvier pour le 30 avril 2011 le contrat de travail de Justin, âgé de 64 ans; il forme opposition au congé. Les évaluations de Justin jusqu’en 2010 retiennent une moyenne de 3 qui correspond aux attentes de l’employeur. En fixant les objectifs 2011, quelque deux mois avant le licenciement, Cerise SA indique à Justin qu’elle a besoin de lui et qu’il ne faut pas décrocher, si bien qu’il ne pouvait objectivement pas en déduire un risque de licenciement. Les offres que Justin établissait l’étaient aussi bien et aussi vite que celles de son collègue nettement plus jeune et particulièrement performant. Le rendement de Justin était cependant inférieur d’environ 1/5ème.

Le jugement:
Bien que souffrant d’un manque de motivation, Justin fournissait comme par le passé un travail correspondant aux attentes de Cerise SA, c’est-à-dire, satisfaisant. Par ailleurs, les prestations de Justin ne se seraient pas dégradées entre la dernière évaluation et son licenciement; Justin n’a jamais été mis en demeure de s’améliorer, et enfin Cerise SA n’a pas cherché une solution moins incisive que le licenciement. Par jugement du 13 février 2013, le Tribunal Fédéral a rejeté le recours de Cerise SA et a donc confirmé le jugement entrepris condamnant cette dernière à verser à Justin une indemnité égale à 4 mois de salaire, soit CHF 31 590.–, à des frais judiciaires de CHF 2000.– et à une indemnité de dépens de CHF 2500.–

Conseils:
Il est dans le cours ordinaire de la vie qu’un collaborateur à une année de la retraite puisse être moins motivé qu’un jeune; cela ne dispense pas l’employeur d’avoir des égards envers un collaborateur depuis longtemps à son service tant qu’il accomplit son travail de manière objectivement satisfaisante.

Il ne convient pas d’instaurer une «prime à la nonchalance», mais d’une part d’avoir des égards accrus à l’égard d’un collaborateur proche de l’âge de la retraite justifiant d’une certaine ancienneté et, d’autre part de tolérer dans une certaine mesure un manque de motivation et une baisse de productivité.

Si l’employeur juge que la situation n’est plus acceptable, il doit respecter certaines règles pour limiter ses risques. Avant de licencier un collaborateur pour prestations insuffisantes, il doit chercher une solution moins radicale et avertir clairement le collaborateur du risque de licenciement qu’il court s’il n’améliore pas ses performances.

L’employeur bien inspiré respectera cette procédure qui prend certes du temps, mais qui est indispensable s’il entend limiter ses risques.

Par Pierre Matille, avocat à Auvernier/pmatile@cje.ch/www.cje.ch
 

 

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Jean-Philippe Dunand est avocat, docteur en droit et professeur de droit du travail à la Faculté de droit de l’Université de Neuchâtel. Il est également co-directeur du Centre d’étude des relations de travail. cf. www.unine.ch/cert
 
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