Selon les travaux de Diane Gabrielle Tremblay, plus de 22 pour cent des télétravailleurs se plaignent d’avoir davantage de responsabilités familiales en raison de leur situation profes- sionnelle. «Les proches ne comprennent pas toujours les limites de la personne et se permettent d’exprimer des demandes qu’ils n’oseraient pas formuler si elle ne travaillait pas à la maison», affirme-t-elle. Le bilan est donc nuancé: le télétravail permet de mieux concilier emploi et vie professionnelle, mais il peut tout aussi bien générer un conflit à ce niveau. L’isolement social est un autre danger «sérieux», selon Daniel Schlachter. «Ce problème n’est pas insurmontable si, une fois de plus, on arrive à s’organiser.»
Trop d’isolement peut nuire à la relation de travail
Directrice de la politique du personnel des CFF, Eveline Mürner se dit parfaitement consciente de ces risques. Quelque 10 pour cent des 28 000 employés de la régie sont des télétravailleurs. L’option est généralement envisagée sur demande de l’employé, plus rarement sur proposition de sa hiérarchie. La règle, c’est un jour de «home office» par semaine: «Avec cette formule, nous avons les avantages du travail à domi-cile sans les inconvénients. Les collaborateurs sont plus motivés, plus productifs, plus flexibles dans l’organisation de leurs journées. Mais ils ne perdent pas le contact avec leurs collègues. Lorsque le télétravailleur est trop isolé, le lien qu’il entretient avec son employeur risque de se transformer en un rapport prestataire-client, ce que nous ne voulons pas.»
Pour éviter de faire de mauvaises expériences, les CFF examinent toujours au préalable si l’emploi et la situation personnelle du collaborateur s’y prêtent, si l’idée est bien acceptée dans le team, si l’intéressé est habitué à travailler seul et si par conséquent il en connaît les avantages et les inconvénients, etc. Enfin, tous les deux ans, un sondage est effectué pour s’assurer que les choses se passent bien.
Le télétravail: ils témoignent
«Les cinq premières années ont été extrêmement pénibles. J’habitais dans un studio. J’avais l’impression d’être en prison, car je passais le plus clair de mon temps dans cette pièce. Si je tournais la tête à gauche, j’étais au travail, si je tournais la tête à droite, j’étais à la maison. J’aimais bien l’idée de pouvoir travailler quand je voulais, y compris la nuit en cas d’insomnie, mais je me suis vite rendu compte que ça avait quelque chose de déstructurant, socialement parlant. Aujourd’hui, j’ai un espace de vie beaucoup plus grand, je ne vois plus que les avantages du télétravail.»
Eliane, 45 ans.
«Comme principal avantage, je citerais l’indépendance. Tu peux choisir la façon dont tu vas t’organiser. Il y a aussi les économies sur les trajets. Si tu t’y prends bien, tu as nettement plus de temps pour toi. De plus, tu es préservé des conflits de travail. Côté inconvénients, je dirais qu’il faut avoir beaucoup de discipline pour éviter que la vie privée ne déborde trop sur la vie professionnelle – et réciproquement. Surtout si l’on a des enfants à la maison. Il y a aussi des clients qui ne connaissent pas mes jours de travail, et qui m’appellent durant mes congés. Au final, tu es toujours un peu en train de travailler.»
Michel, 36 ans
«Pour moi, l’un des aspects les plus positifs c’est qu’on n’a plus besoin de se déplacer pour aller travailler: selon où tu habites, c’est quelque chose qui compte. J’apprécie aussi la flexibilité du travail à domicile. Je peux profiter des pauses pour mettre une lessive en route et je suis davantage disponible pour mes enfants. Quand ils étaient petits, j’avais une baby-sitter parce que je ne pouvais pas les avoir à mes côtés et travailler en même temps. Sur le plan juridique, il y a une marche à suivre prédéfinie, ce n’est donc pas bien compliqué. Non, l’inconvénient c’est l’isolement social, qui pèse plus lourd avec le temps. Aujourd’hui, j’aurais assez envie de réintégrer une structure, pour bénéficier de synergies.»
Laurence, 40 ans.