L’enregistrement des heures, un modèle du passé?
Sans présence physique sur le lieu de travail, l’exigence de contrôle des heures perd de son importance. Or la gestion du temps de travail sur le mode de la confiance n’est pas encore une norme.
(Photo: iStockphoto)
Renoncer à enregistrer les heures travaillées? Le projet du nouvel article 73a de l’Ordonnance 1 relative à la loi sur le travail (LTr) réalisé par le Secrétariat d’Etat à l’économie (SECO) et dont la mise en consultation vient de s’achever au 30 novembre 2012, ne suscite pas l’enthousiasme sur le marché du travail. Sa réalisation avait déjà entraîné des débats animés, notamment au sein de la Commission fédérale du travail. Les syndicats estiment que la mesure est défavorable aux employés qui risquent de travailler gratuitement, avec en sus plus de stress. Pour leur part, les patrons estiment que les changements sont nécessaires pour accompagner la flexibilisation du travail, mais ils ne sont pas per-suadés non plus du bien fondé du projet. Retour sur cette nouvelle disposition de la loi sur le travail.
Moins de 4 pour cent des salariés concernés
Pour commencer, le projet définit une certaine catégorie de collaborateurs pouvant renoncer à enregistrer les heures, soit ceux dont le revenu annuel brut dépasse 175 000 francs et ceux autorisés à signer selon le registre du commerce. «Selon un rapport sur les horaires de travail flexible en Suisse, un quart des employés très qualifiés ou cadres dirigeants ne saisit pas leur temps de travail, contre 11 pour cent des subordonnés. Nous avons décidé de définir un groupe res-treint et facile à délimiter. Concrètement, la mesure concerne moins de 4 pour cent des salariés en Suisse», relève Marie Avet, porte-parole du Seco. Ce dernier justifie encore son choix en expliquant qu’il s’agit d’une catégorie d’employés qui peuvent répartir leur temps de travail librement et qui savent se défendre si leurs heures de travail excèdent les limites. «Selon la situation, la personne peut aussi recevoir en contrepartie plus de salaire ou des jours de vacances supplémentaires. De telles modalités doivent cependant être réglées de manière individuelle et ne font pas objet de la révision d’ordonnance prévu», met en avant Marie Avet.
Formellement, le Seco prévoit que la renonciation à l’enregistrement du temps de travail est convenue par écrit entre l’employeur et l’employé. Avec en corollaire le fait qu’elle peut être révoquée pour la fin d’une année en cours. Pour rappel, l’article 46 de la LTr oblige un employeur à tenir un registre avec les horaires, la durée du travail et les pauses. Les dispositions réglant le temps de travail demeurent pleinement applicables aux collaborateurs concernés par cette révision qui ne modifie que les modalités d’enregistrement.
Pragmatisme patronal et grogne syndicale
Le patronat regrette que les mesures du Seco ne correspondent pas au marché du travail. Il prône de restaurer un modèle de confiance. «Nous estimons qu’il n’y a pas de besoin de changer la loi sur le travail. Mais il faut plus mettre l’accent dans la pratique sur les accords entre employeur et employé. Il existe par exemple des contrats collectifs stipulant ce qui se passe avec les heures supplémentaires», explique Hans-Ulrich Bigler, directeur de l’USAM, l’Union Suisse des arts et métiers. Une autre idée serait d’attribuer une fonction d’Ombudsman dans chaque entreprise pour offrir une possibilité de discuter en cas de pro-blèmes liés aux temps de travail.
Sans surprise, les syndicats sont très clairs: la proposition du SECO nuit à la protection des collaborateurs, car ils estiment que la loi sur le travail n’est plus respectée. Selon eux, le risque est de forcer un individu à travailler de manière gratuite, sans compensation. L’Union Syndicale suisse (USS) explique que près de 17 pour cent des employés sont privés du droit de comptabiliser leurs heures, selon l’étude sur les horaires de travail flexible du Seco, et qu’il s’agit d’une perte pour eux, car ils ne peuvent attester ainsi de leurs heures supplémentaires. «C’est correct. Il est donc important qu’ils consentent à un tel modèle en toute connaissance de cause et qu’il existe une possibilité de révoquer le consentement», confirme la représentante du Seco.
Par ailleurs, l’étude précédemment men- tionnée alimente le propos des syndicats. Elle montre notamment que la satisfaction des travailleurs à l’égard de leur régime de temps de travail est dans l’ensemble plus forte parmi les travailleurs flexibles. Autre fait marquant, on observe que les personnes qui travaillent sans compter leurs heures ne font pas leur pause et travaillent pendant leur temps libre et leurs vacances. De même lorsqu’elles sont malades. Or, le respect des congés est une condition primordiale pour la santé d’un collaborateur.
Eclairages
Unia réagit
Le syndicat UNIA est très clair, il ne veut pas toucher à l’Ordonnance 1 relative à la loi sur le travail et juge nécessaire les mesures de contrôle du temps de travail. La limite de salaire ne leur convient pas non plus. Elle devrait être plus élevée et avoisiner en tout cas les 200 000 francs de salaire annuel pour exprimer un bon degré d’autonomie de l’employé. «Nous sommes critiques sur le projet du Seco, car le travail sans contrôle entraîne souvent un excédent de travail qui dépasse le cadre du contrat passé entre employeur et employé. D’autant plus qu’il existe déjà de très fortes pressions sur le marché de l’emploi dans certaines branches», explique Hansueli Scheidegger de chez Unia. De plus, le syndicaliste explique qu’enregistrer son temps de travail évite que les collaborateurs ne soient pas rémunérés pour du travail effectif. Travail flexible ou non, les solutions et les technologies existent pour le comptabiliser le temps de travail, pour savoir quand une personne commence et quand elle termine ses tâches. «L’employé, même en télétravail, peut écrire ses heures. Avec le risque cependant que le travail prenne le pied sur son temps libre», explique Hansueli Scheidegger.
Les chiffres en Suisse
61 pour cent des travailleurs ont des horaires flexibles
17 pour cent des travailleurs travaillent sans décompte ni saisie des heures (dont 26 pour cent chez les cadres et personnes très qualifiées et 11 pour cent chez les employés subalternes peu ou moyennement qualifiés).