Les archives du monde du travail à Roubaix, une usine à souvenirs
"Je vous demanderai de bien vouloir envoyer 580 francs à M. Reynaldo Hahn", écrit Marcel Proust à sa banque Rothschild en 1906. Il s'agit de l'un des milliers de documents conservés aux archives nationales du monde du travail à Roubaix, dans le nord de la France.
Pour l'heure, "quatre-cinq" érudits fréquentent chaque jour le centre situé au coeur de Roubaix. Photo: Monumentum.fr
(ats afp) Deux tours en briques rouges marquent l'entrée de l'ancienne fabrique de textile Motte-Bossut, fleuron de l'âge industriel du nord du pays, fermée en 1981. Douze ans plus tard, ce "château de l'industrie" est choisi pour héberger les archives du monde du travail. Ce projet a été initié sous la présidence de François Mitterrand.
"Au début des années 80, la France connaît une désindustrialisation extrêmement importante. Les manufactures ferment les unes après les autres. Et la question se pose de la sauvegarde du patrimoine de toutes ces entreprises qui constitue une part de la mémoire du pays", explique la directrice de ces archives, Anne Lebel.
La région est choisie pour les héberger "en raison de son riche passé industriel et de son patrimoine qui marque encore le territoire". Cinq autres centres devaient être créés en France, mais seul celui de Roubaix a finalement ouvert.
Publicités et factures
Archives de la Compagnie générale de Suez, de la Société des mines d'Antiches, de la Compagnie financière ottomane ou de la filature de laine Delmasure: au total, 48 kilomètres de documents provenant de firmes grandes et petites, de syndicats ou d'associations sont méticuleusement classés dans les "magasins" de l'usine.
On y déniche des publicités, règlements intérieurs, factures, contrats, prospectus et photographies, datant parfois de plus de 200 ans. "Un document est intéressant à conserver lorsqu'il nous permet de retracer l'histoire de l'entreprise", commente la directrice.
Parmi les pépites de la collection: le fonds Rothschild, consulté par "de nombreux étrangers", affirme Raphaël Baumard, conservateur du patrimoine. Il comporte notamment une série de correspondances du 19e et 20e siècles avec la clientèle.
"J'ai l'honneur de vous remettre avec la présente un chèque de 27 dollars que je vous prie de vouloir bien encaisser au crédit de mon compte", écrit par exemple à la banque le philosophe Henri Bergson, le 15 mars 1915.
Elargir le public
Les visiteurs sont presque exclusivement des généalogistes, venant notamment consulter les dossiers individuels des mineurs, et des chercheurs. De simples curieux? "Pas encore, mais c'est l'un de nos objectifs, nous voulons élargir notre public", indique la directrice.
"Nous avons des fonds extrêmement riches et variés, mais nous ne sommes pas connus. Nos archives sont sous-exploitées", regrette cette responsable, nommée l'été dernier.
Pour y remédier, l'institut mène une "refonte de son site internet, avec une mise en ligne des documents numérisés permettant à tout le monde d'avoir accès aux fonds". Il développe aussi "un outil de recherche simplifié", détaille Raphaël Baumard.
Pour l'heure, "quatre-cinq" érudits fréquentent chaque jour le centre situé au coeur de Roubaix. A l'image de Selma venue de Paris explorer les archives des chemins de fer de l'Ouest pour sa thèse.
Un corpus "indispensable" qu'elle manie, comme un trésor, dans la très studieuse salle de lecture. Quelque 1400 mètres de la collection sont ainsi dédiés aux compagnies des chemins de fer.
"J'ai pris soixante fois le train n°46 qui passe le matin vers Paris. Soixante fois, ce train est passé avec du retard", peut-on ainsi lire sur une plainte d'un usager à la compagnie de chemin de fer Paris-Strasbourg.
Autre "joyau" des archives: un impressionnant registre comptable de la société de fromage de Roquefort. Avec ses 1500 pages, ses 73 centimètres de hauteur et ses 76 kg, "nous n'avons pas pu le scanner: il aurait brisé la table de numérisation", sourit Raphaël Baumard.