Egalité au travail

Les inégalités de genre ne disparaîtront pas de sitôt

Après quatre ans de travaux, le Fonds national suisse de la recherche scientifique a publié ses recommandations pour améliorer l’égalité hommes femmes en entreprise.

Ça commence à l’école enfantine et se poursuit jusqu’au bout de la vie. Les efforts qu’il va falloir encore accomplir pour que l’égalité hommes femmes soit enfin respectée en entreprise seront de longue durée. C’est ce qui ressort du rapport de synthèse du programme PNR 60 sur l’égalité entre hommes et femmes en Suisse, publié cet été. En tout, 21 projets de recherche ont été menés pour tenter de mettre à jour les cloisons invisibles qui barrent encore la route à cet objectif d’égalité, inscrit dans la Constitution suisse depuis 1981. La découverte majeure de ce rapport de 64 pages est que beaucoup reste à faire. On retient aussi que les enjeux sont interconnectés et nécessitent donc des actions à plusieurs niveaux.
 
Concrètement, les discriminations subies par les femmes trouvent une de leurs racines au début de la vie, dans la cellule familiale, où les stéréotypes sur les rôles attendus des garçons et des filles sont encore fortement ancrés dans les pratiques. A l’école enfantine par exemple, les chercheurs conseillent aux enseignants de mélanger les coins «jeux pour filles» et «jeux pour garçons». Il faudrait aussi engager plus de maîtres d’école enfantine mâles. Arrivées à la fin de leurs parcours scolaire obligatoire, les jeunes filles subissent une nouvelle fois la pression des attentes sociales. Les chercheurs ont montré Les inégalités de genre ne disparaîtront pas de sitôt par exemple qu’entre 13 et 15 ans, les filles optent pour des professions où le temps partiel est coutumier, car elles anticipent la prise en charge du travail familial qui est encore très majoritairement porté par les femmes. Cette étude sur le choix des professions «atypiques» en termes de genre a aussi montré que ce sont surtout les garçons (64 pour cent) qui ont une vision conformiste de leur avenir professionnel. A contrario, 19 pour cent des filles aspirent à des professions «atypiques» alors que les garçons ne sont que 7 pour cent à oser s’imaginer dans une profession dite «féminine», selon les résultats d’une recherche menée par la sociologue Lavinia Gianettoni de l’Université de Lausanne. A noter aussi que le rôle des orienteurs professionnels et des instituteurs/-trices mériterait d’être revu à l’aune de ces résultats.
 

Temps partiel et double discrimination à cause du «care»

Une fois les portes de l’entreprise franchie, les discriminations se poursuivent. Et elles sont déjà largement connues. Les femmes optent plus souvent pour des métiers à temps partiel, car les tâches «care» (accompagnement des enfants, des personnes malades ou des personnes en fin de vie) sont aussi très majoritairement assumées par elles. Sur ce sujet, les chercheurs recommandent de mieux tenir compte du poids économique de ces tâches «care», qui ne sont en principe pas rémunérées. Ce qui discrimine doublement les femmes car ces travaux ne sont pas pris en compte dans la constitution de leurs avoirs de deuxième pilier. Les femmes (plus que les hommes) risquent donc se retrouver dans une situation de précarité au moment de l’âge de la retraite.
 
La discrimination est aussi salariale. Les chiffres sont connus: en moyenne, une femme gagne 18 pour cent de moins qu’un homme, à tâches et à compétences égales. Les freins à cette égalité salariale sont multiples. Les patrons d’entreprise renoncent souvent à évaluer leur politique salariale (notamment avec l’outil gratuit de la Confédération, logib.ch) car ils craignent de devoir débourser d’importantes sommes d’argent pour réduire les éventuels écarts salariaux découverts. Mais les femmes sont aussi en cause. Elles négocient mal leurs salaires à l’entrée. Elles sont aussi moins sûres d’elles au moment de postuler pour des postes de cadre, ce qui freine leur progression dans l’entreprise. Cela dit, le rôle des stéréotypes sexuels, fortement teintés de «virilité», est encore fortement perceptible dans les cultures d’entreprise, notent les chercheurs.
 

L’exemplarité des comités de direction est encore faible

Les comités de direction, encore très majoritairement formés d’hommes, devraient pourtant montrer la voie. Ils devraient par exemple accorder plus de temps partiels aux jeunes cadres mâles, qui souhaitent souvent s’occuper de leurs enfants mais n’osent pas le demander à cause de la pression sociale. «Une culture du travail basée sur le temps partiel devrait par exemple bannir les séances de travail en fin de journée ou les mercredi après-midi», note Françoise Piron, fondatrice de l’association Pacte à Lausanne (lire aussi le débat ci-contre). Les chercheurs du PNR 60 conseillent quant à eux «une culture d’entreprise ouverte, où les employeurs peuvent développer des modèles individuels, axés sur la liberté de choix, en matière de planification familiale et de modèles de temps de travail». Et il y a aussi un chapitre sur le harcèlement sexuel, qui participe aussi à ces inégalités. Au delà des chartes d’entreprise et des déclarations de bonnes intentions, les chercheurs conseillent «des équipes mixtes et un climat de travail marqué par le respect mutuel». Les scientifiques constatent aussi que les programmes de formation continue s’adressent rarement aux femmes qui reviennent d’une longue pause maternité (qui peut durer 10 ans parfois).
 

Fiscalité et structures de garde extrascolaires

La conciliation des différentes sphères de vie est un autre gros chantier à venir. Ici aussi, la vision doit être globale. Le rapport signale par exemple que «les enfants et les autres bénéficiaires de soins n’ont jusqu’ici guère voix au chapitre dans le discours politique». Ailleurs, les chercheurs écrivent que les pratiques fiscales cantonales incitent parfois les femmes à renoncer à un emploi rémunéré, puisque le coût fiscal de ce deuxième salaire est souvent beaucoup trop lourd. L’autre sujet qui chauffe les esprits en Suisse touche aux frais de prise en charge des enfants et au manque de places d’accueil en crèche. Pour mémoire, l’article constitutionnel sur la famille (qui aurait obligé les cantons à développer une offre appropriée de structures de jour extrafamiliales et parascolaires) a été rejeté par les cantons au printemps 2013 (13 non sur 23) alors que la population avait dit oui (à 54,3 pour cent). Bref, les structures d’accueil extrafamiliales devront être remises sur la table pour aller de l’avant, estiment les chercheurs. Et une fois de plus, l’enjeu doit être appréhendé dans sa globalité. Car les chercheurs ont montré que pour palier à ce manque de structures extrafamiliales, les Suisses font appel à des travailleuses, souvent étrangères, mal rémunérées (parfois même non déclarées), pour s’occuper de ces tâches de «care».
 
Le dernier chantier qui reste à ouvrir concerne justement ce segment de population qui souffre le plus des inégalités de chance dans notre pays. Les personnes à faible revenu, sans emploi, les mères seules ou les étrangers dont les diplômes et les compétences ne sont pas reconnus en Suisse. Ils sont très souvent les grands oubliés de ces trains de mesures qui visent à établir plus d’égalité de chance. Les chercheurs recommandent de renforcer leur protection sociale, de les prendre en compte dans les programmes de formation continue et surtout de les payer correctement, quand ils décrochent un emploi. Les efforts à fournir devront donc toucher tout le cycle de la vie, de la naissance jusqu’à la mort, mais aussi toutes les couches sociales.
 

Un débat et des pistes

Le Fonds national suisse de la recherche scientifique a organisé une série de conférences- débats afin de confronter les recommandations des chercheurs aux praticiens du terrain. HR Today a animé le débat de Lausanne, le 20 octobre 2014, en présence d’une cinquantaine de participants. Après leurs exposés, les sociologues René Levy, Lavinia Gianettoni et Nicky Le Feuvre (tous de l’Université de Lausanne) ont été rejoints sur scène par le conseiller national Stéphane Rossini (PS) et la créatrice de l’association Pacte Françoise Piron.

S’il faut retenir quelques idées de ces échanges, la première est que les femmes et les seniors ne doivent pas être les variables d’ajustement financier des entreprises, qui s’inquiètent soudainement d’une prochaine pénurie de main-d’oeuvre, notamment à la suite de la votation du 9 février 2014 sur l’immigration de masse. En clair, l’égalité des chances ne doit pas être une rustine pour combler une baisse conjoncturelle, mais plutôt une politique de long terme. Les institutions doivent également changer, ont relevé plusieurs participants. «L’école, les pouvoirs publiques et la Confédération bétonnent les inégalités», a regretté un membre du public.

Stéphane Rossini a pointé du doigt la lenteur du processus politique, une situation causée par le fédéralisme et les chapelles idéologiques, a-t-il regretté. Voici enfin quelques pistes pour sortir de ces impasses:

  • Le management doit montrer l’exemple sur le temps partiel et la conciliation des sphères de vie.
  • Avant de demander de pouvoir réduire son temps de travail, il vaut mieux préparer un argumentaire solide.
  • Il faudrait se battre pour un vrai congé parental, par exemple de 6 mois pour la mère et de 6 mois pour le père.
  • Regardons du côté des pays nordiques, où les infrastructures extrascolaires sont beaucoup plus développées (le modèle Anderson).
  • Flexibiliser les horaires dans les entreprises (biffer les séances stratégiques en fin de journée ou les mercredi après-midi) et dans les écoles (possibilités de rester à l’école pendant les heures de bureau).

 

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Marc Benninger est le rédacteur en chef de la version française de HR Today depuis 2006.

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