Les intermittents du marché du travail
«Viens ici, fous le camp!», dit Louis de Funès à son chien dans le film «Ni vu ni connu». Cette réplique pourrait sonner familière aux oreilles du personnel qui est régulièrement engagé puis licencié au gré des nécessités de l’entreprise.
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Le phénomène des licenciements-réengagements a été décrit en Suisse par Reto Föllmi, professeur au département de l’économie de l’Université de Saint-Gall. Le principe est simple: certains employeurs recrutent, puis congédient des collaborateurs en fonction du volume de travail. Ils engagent à tour de bras en période de surcharge et licencient dans les périodes creuses. Cette pratique est surtout observée dans l’hôtellerie, l’industrie manufacturière, le commerce, la réparation de véhicules motorisés et le monde des arts et des spectacles.
Tous secteurs confondus, 14% des périodes de chômage aboutissent à un rappel par l’employeur initial. Mais il existe des disparités à l’intérieur du pays. Le taux de rappel atteint 20% en Suisse romande, selon les recherches de Reto Föllmi. À Genève, il peut aller jusqu’à 10%, tandis qu’il ne dépasse pas 5% dans les cantons de Zoug et de Zurich. En comparaison, l’Allemagne affiche une moyenne de 12%.
Des entreprises qui exploitent les failles
Le procédé n’est pas illégal en soi. Toutefois, les chiffres relativement élevés de la Suisse laissent supposer qu’il pourrait s’agir d’une stratégie délibérée de certains employeurs pour pondérer les fluctuations des commandes ou compenser un manque de travail dû à de mauvaises conditions météorologiques. En agissant de la sorte, ils font payer à l’assurance-chômage le poids financier d’une sous-utilisation temporaire de leurs effectifs. Il s’ensuit un préjudice pour les autres contribuables, car ces entreprises sont en quelque sorte «subventionnées» par celles qui offrent des emplois stables.
Plusieurs secteurs économiques apparaissent comme les grands perdants: l’éducation et l’enseignement, la production et la distribution d’eau et d’énergie, et enfin, la santé et l’action sociale. Ils sont qualifiés de «financeurs du système» par Reto Föllmi. Fait déroutant, certaines branches qui affichent des taux élevés de rappel (comme la manufacture) ne sont pas économiquement fragiles, selon l’Union syndicale suisse (USS).
Autre problème : les travailleurs concernés ne sont pas motivés à rechercher très activement un nouvel emploi quand ils sont licenciés, puisqu’ils savent que leur patron est susceptible de les rappeler pour ainsi dire à tout moment. Le Secrétariat d’État à l’économie (SECO) a du reste formulé l’hypothèse d’une exploitation de l’assurance-chômage.
Vers un changement législatif?
Le fait est qu’il existe d’autres moyens de surfer sur l’alternance des pics et des creux, comme l’annualisation des heures de travail et le chômage à temps partiel. Sur le plan politique, une solution serait de s’inspirer du principe du pollueur-payeur pour adapter les cotisations de l’assurance-chômage à chaque secteur économique, en fonction du taux de rappel spécifique. Ainsi, chaque branche supporterait ses propres coûts. Cette idée est déjà appliquée aux États-Unis, mais elle se heurte à de vives réticences en Suisse, notamment parce qu’il est extrêmement difficile d’identifier les profiteurs, au dire même de l’Union syndicale suisse (USS).
À noter que la pratique des licenciements-réengagement aurait été étudiée pour la première fois dans les années 1980 aux États-Unis, puis au cours de cette dernière décennie en Suisse, sous la direction de Reto Föllmi. La situation aurait d’ailleurs finalement assez peu évolué, indique le chercheur.