Droit du travail

Les obligations de l'employeur en cas de harcèlement au travail

L'employeur ne peut pas se contenter de réagir lorsqu'un problème de harcèlement lui est rapporté. Il a l'obligation de prévenir les atteintes. Tour d'horizon de ses obligations et conséquences en cas de négligence. 

L’art. 328 CO, l’art. 4 LEg et l’art. 6 LTr, entre autres dispositions légales, obligent l’employeur à assurer à ses collaborateurs un cadre de travail exempt d’atteinte à leur personnalité. L’employeur ne peut donc pas se contenter de réagir lorsqu’un problème lui est rapporté, mais il a l’obligation de prévenir les atteintes. En effet, le collaborateur peut dénoncer son employeur à l’autorité cantonale, laquelle mènera une enquête sur les mesures de protection de la santé psychique du personnel mises en place pour déterminer si elles sont suffisantes. Dans ce cadre, le TF a posé, il y a plus de 10 ans déjà, que chaque employeur doit prendre les mesures de prévention correspondant aux standards reconnus, vérifier leur application et donner des directives en ce sens au besoin, même dans une petite structure (1).

La nécessité de directives et de mesures de l’employeur

Sur la base de son devoir de réglementer l’exécution du travail, l’employeur ne peut donc pas faire l’économie de directives dans lesquelles il énoncera que l’entreprise n’accepte aucune forme de harcèlement et indiquera qui les personnes se sentant harcelées peuvent contacter, à ses frais. Le règlement mentionnera les sanctions encourues par les personnes harceleuses, étant précisé qu’elles devront respecter la proportionnalité, et les mesures immédiates qui peuvent être prises pour protéger la partie plaignante. Le nom et les coordonnées de la personne désignée pour entendre les plaignants sera mis en évidence, son rôle (personne de confiance, médiatrice, relais pour les RH...) sera également précisé, tout comme la problématique de la confidentialité. On ne peut que recommander le recours à une personne tout à fait externe à l’entreprise, sachant qu’il est plus aisé pour les collaborateurs de lui faire confiance, a fortiori si leur image a déjà été dégradée en interne.

Dans le cadre des règles qu’il est amené à prendre, l’employeur sera bien inspiré d’insérer des exemples de comportements non admissibles, tant de la part des individus qui harcèlent que de l’entourage professionnel de la personne harcelée: la bonne information doit en effet être accessible à toutes et à tous.

Enfin, la jurisprudence fédérale a rappelé que les outils mis en place par l’employeur doivent être connus des collaborateurs, aisément utilisables et mentionner clairement le harcèlement visé (psychologique et/ou sexuel) dans leurs champs d’application (2). Pour satisfaire à ces exigences, l’employeur doit donc rappeler périodiquement l’interdiction du harcèlement et le dispositif qu’il a mis en place afin de prévenir et enrayer le phénomène.

Dans les mesures attendues de l’employeur figure en bonne place la décision de confier à un tiers, différent de la personne de confiance, compétent, neutre et impartial, la mise en œuvre d’une enquête interne permettant d’entendre les collaborateurs et d’établir les faits de manière objective. Sur cette base, l’employeur sera plus à l’aise pour décider d’éventuelles sanctions et prendre des mesures pour prévenir d’autres cas de harcèlement.

Les conséquences possibles pour l’employeur négligent

En principe, l’employeur qui a pris les mesures préventives adéquates et n’est pas au courant du harcèlement, ou n’est pas censé l’être, échappe à sa responsabilité, notamment financière; tel ne sera toutefois pas le cas lorsque la personne qui harcèle est un organe ou un cadre supérieur, voire la personne physique à la tête de l’entreprise. Lorsque les choses commencent à se savoir, l’employeur est censé agir rapidement pour satisfaire à son obligation de protection. Dans les autres cas, si le harcèlement est suffisamment discret pour avoir échappé aux radars, les obligations de l’employeur nécessitent une plainte, même non formelle, de la victime qui n’a toutefois pas à déterminer ce qui doit être fait.

Un des gros challenges est la situation de la personne harcelée qui confie certains faits aux RH, mais ne le fait que sous condition de confidentialité. Selon l’importance des éléments transmis, le devoir de loyauté des RH envers l’employeur devrait l’emporter sur le respect de la confidentialité promise, si la situation engendre la responsabilité de l’employeur.

En effet, l’employeur dont un collaborateur est harcelé sera presque fatalement confronté à un arrêt de travail à un moment donné. Selon les conclusions du médecin conseil de l’assurance perte de gain, l’incapacité sera totale ou limitée à la place de travail. Si ce dernier cas paraît a priori favorable à l’employeur car il peut licencier son collaborateur, en mesure de travailler ailleurs, la situation n’est pourtant pas idéale. En effet, la personne licenciée tentera souvent de prétendre que son incapacité de retourner au travail est due à l’absence de mesures de protection efficaces de l’employeur; si elle parvient à rendre très vraisemblable la responsabilité de l’entreprise, sur la base d’un faisceau d’indices convergents, elle mettra en cause la responsabilité de l’entreprise, qui devra passer à la caisse et payer, sous une forme ou une autre, le délai de congé et une indemnité pour harcèlement. Si le collaborateur a été déclaré totalement incapable de travailler, l’employeur ne pourra mettre fin aux rapports de travail qu’après la fin du délai de protection (3), qui peut parfois s’étendre à toute la durée d’indemnisation par l’assurance perte de gain (4); toutefois, selon l’art. 14 al. 1 LCA5 l’assurance n’est pas liée si le sinistre a été causé intentionnellement par le preneur ou l’ayant droit. La compagnie risque ainsi de considérer que l’employeur est le responsable de l’état de situation du collaborateur et réclamer le remboursement des prestations versées. De plus, ce dernier aura beau jeu de se fonder sur la position de l’assurance pour faire valoir la responsabilité de l’employeur pour le harcèlement dont il a été l’objet, et l’illicéité de l’absence de protection à son égard entraînera une obligation de réparation du dommage tant financier (indemnisation des coûts médicaux non remboursés) que moral. On rappelle pour le surplus les dispositions sur la subrogation de l’assureur social (6).

Et par rapport au harceleur?

Il faut ici mettre en garde les employeurs: toute constatation de harcèlement ne permet pas de licencier sans autre la personne qui est un auteur, a fortiori si ce licenciement intervient avec effet immédiat. La sanction doit toujours être proportionnée à la faute et l’employeur ne peut congédier une personne dont l’implication est moindre notamment pour protéger le réel responsable. Au surplus, le renvoi d’un collaborateur n’excuse pas l’employeur qui n’a pas pris au moment opportun les mesures préventives et correctives nécessaires.

Conclusions

L’expérience d’enquêtrice de la soussignée lui a permis de constater que de nombreux employés victimes de harcèlement sur le lieu de travail ne le signalent pas, essentiellement parce qu’ils pensent manquer de soutien, craignent des représailles ou croient que ce qu’ils ont vécu ne justifie pas une dénonciation. C’est dire non seulement que la personne harcelée n’est plus à même de comprendre la gravité de ce qui lui est arrivé, mais encore combien les problèmes de harcèlement peuvent prospérer dans les ambiances de travail où ne règne pas la confiance entre collègues et supérieurs, voire même au sein des collaborateurs.

Le harcèlement engendre fréquemment des arrêts de travail sur ordre médical, et parfois la mise à pied de celui qui est désigné comme le responsable: le travail se répartit sur moins de collaborateurs, la surcharge guette, l’inquiétude s’installe parmi ceux qui ont soutenu l’un ou l’autre camp, voire ceux qui auraient dû intervenir. Le cercle vicieux s’est mis en rotation, l’employeur sera perdant dans tous les cas. Seule une intervention rapide et en phase avec la politique du personnel dont l’employeur se targue permettra d’enrayer la machine, souvent avec l’aide de professionnels du domaine.

(1) TF 2C_462/2011 du 9 mai 2012.

(2) TF 4A_283/2022 du 15 mars 2023.

(3) En se fondant sur le fait que le collaborateur est toujours malade, et non parce qu’il aurait mal travaillé avant son arrêt maladie: les mauvaises prestations seront mises en lien avec le harcèlement et l’employeur est déchu du droit de s’en prévaloir puisqu’il n’a pas agi de manière à empêcher ce harcèlement.

(4) Certaines CCT, notamment dans le bâtiment, contiennent ce type de réglementation.

(5) Loi sur le contrat d’assurance du 2 avril 1908, révisée de manière importante avec effet au 1er janvier 2022, RS 221.229.1.

(6) La subrogation est le transfert de plein droit de l’intégralité des droits de la personne lésée au débiteur de prestations. Dans la subrogation légale selon l’art. 72 al. 1 LPGA (Loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales du 6 octobre 2000, RS 830.1), les prétentions de la personne assurée et de ses survivants passent, au moment de l’événement dommageable, aux assurances sociales jusqu’à concurrence du montant des prestations légales; cf également art. 34b LPP.

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CS

Christine Sattiva est avocate au cabinet Sattiva – Gétaz Kunz à Cully. Elle est spécialiste FSA en droit du travail, vice-présidente du tribunal des prud’hommes de l’administration cantonale, chargée de cours à l’UNIL. Lien: avocates-lavaux.ch

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