Les obligations de l'employeur en cas de télétravail
Notion relativement peu connue du monde du travail jusqu'à la fin de la précédente décennie, le télétravail a pris son envol lors de la pandémie de Covid-19, de manière extrêmement rapide et brutale. Cette situation constituait une circonstance d'exception, puisque même la constitution fédérale était mise entre parenthèse dans un certain nombre de ces dispositions: la présente contribution ne traitera dès lors pas des obligations de l'employeur dans ce type de cas exceptionnels.

Photo: Bruno Cervera / Unsplash
Étymologiquement, télétravailler signifie travailler loin des locaux de son employeur et le télétravail constitue dès lors une manière d’exercer une activité professionnelle en dehors des locaux de l’entreprise. En principe, les obligations des parties sont les mêmes que celles du travail en présentiel, mais certaines questions se posent en termes un peu différents.
Le télétravail se distingue du contrat de travail à domicile, réglementé comme tel, pour des activités souvent très peu qualifiées et rémunérées à la pièce. À l’inverse, le télétravail se conçoit pour des activités souvent dépendantes de l’informatique et s’adresse ainsi plutôt à une main-d’œuvre relativement qualifiée.
1. Le télétravail, un droit du collaborateur?
Contrairement à ce que certains pensent, le télétravail n’est pas un droit garanti par le code des obligations aux collaborateurs; l’employeur n’a donc aucune obligation de l’accepter. Il le fera parfois pour des raisons de marque employeur ou de concurrence. De manière générale, il serait bon que le télétravail soit encadré par un règlement, ce qui permet de garantir une certaine égalité de traitement (même si on pourrait peut-être imaginer de réserver le télétravail aux seules mères, pour aller dans le sens d’une mesure positive de l’art. 3 al. 3 LEg), et fasse l’objet d’une convention spéciale entre les parties. Pour le collaborateur, il faut donc obtenir le droit de télétravailler, à des conditions négociées qu’il devra respecter.
2. Le télétravail, un droit de l’employeur?
Dans la mesure où l’employeur est en droit de donner des directives à ses collaborateurs, il lui est loisible de décider où ses employés effectueront leur travail; cependant, si le lieu de travail est bien spécifié dans le contrat, et selon l’importance du télétravail, il sera parfois nécessaire de procéder à un congé, modification qui ne saurait entrer en vigueur avant l’expiration du délai de préavis. L’employeur peut souhaiter imposer le télétravail pour diminuer ses coûts directs de locaux et charges associées. Il devra toutefois prendre en compte l’impact de la mesure, qui est une sorte d’isolement social, sur les personnes concernées. Dans la mesure où c’est lui qui décide d’avoir recours à ce mode de travailler, ses obligations sont plus importantes, en particulier en matière de frais, que s’il se borne à accepter la demande de télétravail présentée par un collaborateur.
3. Le télétravail est-il admis ailleurs qu’au domicile du collaborateur?
La terminologie française définit le télétravail comme celui qui s’exerce à distance; les expressions de «Home office» ou «work at home» sont plus limitatives et donnent à penser que le collaborateur est chez lui. L’employeur doit pouvoir imposer à celui qui télétravaille d’être toujours atteignable, que ce soit par téléphone ou pour une visioconférence impromptue, mais le télétravail peut s’effectuer depuis divers lieux s’ils présentent les mêmes caractéristiques que le domicile, en matière de sécurité et de confidentialité notamment; ce sera souvent le cas des espaces de coworking. Si l’employeur impose le télétravail, il lui incombera de trouver un lieu adéquat pour son collaborateur qui ne peut télétravailler depuis chez lui et de compter comme période de travail l’éventuel temps de déplacement supplémentaire. Le télétravail ne pourra en revanche pas s’exercer dans un chalet d’alpage mal connecté à internet, ni dans une colocation dans laquelle le collaborateur ne dispose pas de son propre espace.
4. Les obligations en matière de protection des données en cas de télétravail
Il incombe à l’employeur de s’assurer de la protection des données traitées par ses collaborateurs, présents ou à distance, en particulier lorsqu’il s’agit des personnes œuvrant au sein des ressources humaines. Il faut ainsi remettre un ordinateur portable dédié à l’entreprise à ceux qui travaillent à distance et disposer de connexions sécurisées. Il est conseillé d’insister auprès des personnes en télétravail pour qu’elles respectent très strictement la confidentialité, qui est une obligation générale découlant des relations de travail. L’employeur peut venir inspecter le local destiné au télétravail, moyennant information préalable au collaborateur; il lui est loisible de demander des photos des installations et d’exiger que le collaborateur atteste du respect de l’obligation de protection des données par ses soins. De son côté, il doit se garder de surveiller ses employés grâce aux outils informatiques.
5. Les obligations en matière de protection de la personnalité en cas de télétravail
Le télétravail en tant que tel peut constituer une forme de protection de la personnalité du collaborateur qui se sent harcelé, à titre provisoire pour éviter que ce ne soit vu comme une mise à l’écart de la personne qui s’est plainte. Si l’employeur a exigé le télétravail, il doit veiller à ce que son personnel dispose d’un meuble bureau et d’un siège adéquat, lui rappeler que les horaires de travail ne sont pas modifiés avec cette conséquence que le collaborateur n’est pas tenu de prendre des appels en dehors des heures normales d’activité et l’encourager à mettre un message d’absence sur sa boîte mail lorsqu’il a fini sa journée de travail. Sauf exception justifiée et annoncée, le collaborateur ne devrait pas être autorisé à «terminer» sa journée à 15h pour aller chercher ses enfants à l’école et s’en occuper, puis reprendre son travail entre 21 heures et 23 heures.
Si l’employeur a le droit de savoir où se trouve son collaborateur, il ne saurait le localiser à son insu pendant tout le temps du télétravail sans l’en informer au préalable en raison de soupçons importants, ni le surveiller excessivement notamment par l’entremise d’un mouchard sur l’ordinateur remis ou en appelant sans cesse et sans nécessité.
6. Les obligations de défraiement de l’employeur
Le CO prévoit que c’est à l’employeur qu’il incombe de fournir les instruments de travail nécessaires à la bonne exécution. Cette règle s’applique de manière évidente à celui qui a été forcé de télétravailler, mais pas selon nous à celui qui a souhaité le faire par convenance personnelle. Ainsi, ceux qui sont priés de rester chez eux parce qu’il n’y a pas suffisamment de place pour les accueillir dans les locaux peuvent exiger que l’employeur assume des frais tels qu’une connexion plus rapide, l’imprimante et ses consommables s’il apparaît nécessaire de faire des impressions, paie le coût de l’installation d’un bureau et d’une chaise adéquate, en sus de s’acquitter d’un forfait pour la pièce mise à disposition selon le volume du télétravail. Selon le nombre de travailleurs à distance et la perte d’informations potentielle, l’employeur sera bien inspiré de réfléchir à l’intérêt du télétravail pour évaluer son coût réel.