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Les premiers effets de la crise font surface dans les départements RH

Licenciements, chômage technique, volatilité sur le marché des travailleurs temporaires, budgets formation au frigo… les premiers effets de la crise financière mondiale commencent à se faire sentir du côté des départements RH. Sans tirer la sonnette d’alarme, les spécialistes assurent que les esprits sont à la prudence. Notre enquête. 

C'est l'épée de Damoclès dont tout le monde parle. La désormais célèbre crise financière 2008 va-t-elle se transformer en récession et frapper l'économie suisse romande de plein fouet en 2009? Tous les spécialistes s'accordent pour dire qu'il est encore trop tôt pour donner des tendances claires. L'ambiance générale est cependant bien ancrée dans la prudence. «Je connais des sociétés qui ont prévu deux budgets RH pour 2009. Le premier est réaliste, basé sur les prévisions habituelles. Le second est celui de la crise. Avec toutes les restrictions budgétaires qu'on imagine», assure Steeves Emmennegger, un bon observateur du milieu RH de Suisse romande, membre associé chez Conciliat, société de conseil en ressources humaines. «Nous sommes en phase d'observation. C'est encore trop tôt pour donner des tendances objectives», glisse prudemment Philippe Doudin, directeur de la société de conseil et de recrutement éponyme basée à Lausanne. Et pourtant, les indicateurs annoncent bien un ralentissement des affaires pour l'année prochaine. 

Tous les indicateurs baissent leurs prévisions pour l'exercice 2009

Selon les prévisions du Secrétariat d'Etat à l'économie (SECO), le taux de chômage devrait grimper à 3,5 pour cent (contre 2,4 pour cent à fin septembre dernier). En termes de croissance, le SECO a revu à la baisse sa prévision à moins de 1 pour cent  (initialement 1,3 pour cent) après des taux effectifs de 3,3 pour cent en 2007 et 3,4 pour cent en 2006. Mais cela reste des prévisions. «Je ne crois pas aux chiffres du SECO. Je table sur un chômage à 3 pour cent, avec des variations notables suivant les secteurs. Le tertiaire devrait bien s'en sortir. C'est surtout l'industrie, le bâtiment, le marketing et la communication qui vont souffrir», estime Christophe Voeffray, directeur de la société de placement temporaire Velcom SA à Lausanne et président de l'Association suisse des cadres section Vaud. Dans le milieu depuis plus de vingt ans, il dit avoir connu des situations bien pires. «A la fin des années 1990, la Suisse a connu des taux de chômage au-dessus de 4 pour cent». Et pourtant. En novembre, l'OCDE et le FMI ont revu à la baisse leurs prévisions de croissance. Ils tablent sur une récession en 2009 mais estiment que l'économie repartira en 2010. Les économistes du BAK (Basel Economics) ont, eux aussi, décidé de revoir leurs prévisions de croissance à la baisse, à 0,7 pour cent pour 2009 (auparavant 1,3 pour cent). Ils le justifient par la faiblesse des exportations, qui se répercute négativement sur les investissements. Des prévisions qui ont été reprises par la conseillère fédérale Doris Leuthard dans une interview publiée par le «SonntagsBlick». Où elle reconnaît que «nous pouvons tomber en récession avec une croissance négative durant deux trimestres». 

Un autre indicateur significatif en temps de baisse conjoncturelle est l'augmentation du chômage technique. Une solution qui permet aux entreprises de survirvre aux baisses des commandes sans perdre leur savoir-faire interne. Doris Leuthard a par ailleurs lancé un message politique fort en évoquant la possibilité de rallonger la durée du chômage partiel en 2009. Sur le terrain, le cas de Liebherr à Bulle (fabrication de moteurs pour les autres filières du groupe) a fait grand bruit dans la presse locale. Dès le 1er décembre, la moitié des 650 collaborateurs du site bullois seront en chômage technique. «Cela doit faire quinze ans que ce n'était plus arrivé. Nous faisons face à une baisse des commandes», assure Sandra Chenaux, la nouvelle DRH du site. Elle poursuit: «Au niveau RH, cela implique un énorme travail administratif. Et nous avons beaucoup communiqué pour rassurer les collaborateurs. Le moral est assez bon. Finalement, ils partent un mois en vacances. Et puis on verra après les fêtes. Pour l'instant, nos budgets RH n'ont pas été réduits.» 

Du mouvement dans le secteur du travail temporaire

Pas de réductions des budgets RH prévus non plus chez UBS. Pour mémoire, la plus grande banque de Suisse a perdu en 2008 plus de 80 milliards de liquidités au profit des autres établissements bancaires du pays. Cette saignée dans les comptes a provoqué (en plus du plan de sauvetage de 68 milliards de la Confédération) un impact sur le moral des  collaborateurs de la banque. Paul Hayoz, HR Business partner en Suisse romande, explique le rôle des RH: «Nous avons intensifié nos contacts avec les responsables d'équipes pour les soutenir dans leur activité de conduite.» Pour les collaborateurs du front office, ils ont mis en place des programmes de coaching, des conseils et des outils pour mieux communiquer dans des moments difficiles avec les clients. 

Parmi les autres secteurs qui devraient sentir les effets de la crise en 2009, le marché du travail temporaire est parmi les plus exposés. «C'est en général par les contrats à durée déterminée que commencent les coupes dans les budgets», note Steeves Emmenegger. Cartier Horlogereie à La Chaux-de-Fonds a par exemple décidé de ne pas reconduire une vingtaine de contrats intérimaires à la fin de l'année (sur un effectif total d'environ 1500 collaborateurs, dont 67 intérimaires). «Cela fait partie d'une série de mesures préventives liées à la mauvaise conjoncture», note le DRH Yan Curty. Le leader mondial du travail temporaire Adecco a quant à lui subi un recul de 23% de son bénéfice net au 3e trimestre 2008. Son chiffre d'affaires atteint 5,1 milliards d'euros, soit 6% de moins que l'an dernier. Autre indicateur des mouvements sur le marché du travail temporaire, l'étude Manpower sur les Perspectives d'Emploi en Suisse pour le 4e trimestre 2008 est plus optimiste. Ces chiffres, publiés en octobre, révèlent que seuls 5% des 757 entreprises sondées prévoyaient une baisse des engagements intérimaires au troisième trimestre 2008. Claude Mumenthaler, directeur général de Manpower Suisse, reste donc serein: «Malgré un fort recul de l'indice du climat de consommation, le renchérissement du coût de la vie et la révision à la baisse du PIB pour 2008, ces résultats montrent que les employeurs de notre pays restent relativement confiants.»

L'évolution des budgets de formation sera également déterminante pour le secteur RH en 2009. Cyril Pinget, directeur commercial du groupe Supercomm, spécialisé dans les formations en langues, donne ses prévisions: «Dans le secteur bancaire à Genève, sur une vingtaine d'établissements clients, nous avons une baisse de 40 pour cent par rapport à 2007. Mais nous compensons dans le secteur du trading et par les implantations de multinationales sur Genève. Je constate néanmoins que les sociétés de taille moyenne ont tendance à geler leurs budgets formation. La prise de décision sur les nouveaux projets est beaucoup plus longue qu'en 2007. On sent de la prudence de la part des directeurs financiers.» Après une année record en 2007, Supercomm table tout de même sur un chiffre d'affaires en croissance de 15 pour cent en 2009. «Nous compensons les pertes du secteur bancaire en démarchant de nouveaux clients.» 

Les sociétés qui souffrent le plus de la baisse conjoncturelle

Pour d'autres, les prévisions sont carrément dans le noir. Le fabricant de papier de photos numériques Ilford Imaging Switzerland a annoncé début novembre la suppression de 75 postes sur les 355 que compte son site de production de Marly (FR). «Face à la mauvaise conjoncture, nous sommes contraints d'effectuer un vaste programme de réduction des coûts», a indiqué la société (en mains japonaises) dans un communiqué. Les médias sont également touchés. Après une première coupe de 50 postes cet été chez Edipresse, c'est au tour de Publigroup d'annoncer la suppression de 250 emplois sur 3000, dont 50 licenciements. «Depuis septembre, le climat de consommation s'est dégradé de manière dramatique», a indiqué Hans-Peter Rohner, CEO de PubliGroupe dans un communiqué. Dans la publicité, on assiste à «une véritable chute de la demande. Si cela ne s'améliore pas d'ici la fin de l'année et pendant les Fêtes, il ne faut pas exclure un EBIT dans le rouge pour ce secteur.» L'annonce par les quotidiens neuchâtelois L'Express et L'Impartial de la suppression de quinze postes au total a suivi de près. Ces difficultés sont liées à une baisse considérable du volume des annonces. Selon nos informations, le mois d'octobre 2008 a été catastrophique pour de nombreux titres suisses romands. 

«Certaines entreprises profitent de la fébrilité pour nettoyer les effectifs»

Mais les licenciements en période d'instabilité économique ne sont pas toujours liés à une baisse des chiffres d'affaires. Steeves Emmenegger commente: «Ce n'est pas politiquement correct de le dire, mais c'est une pratique assez courante dans les organisations. Nous sortonsd'une période de grande pénurie de main-d'œuvre pendant laquelle il était plus facile de démarcher un client que d'engager un collaborateur. Les entreprises ont donc engagé passablement de personnes qui ne cadraient pas entièrement avec la culture d'entreprise. On profite de cette fébrilité économique pour nettoyer les effectifs.» 

Les bonnes nouvelles pour la fin: le nombre de sociétés étrangères qui décident de s'implanter sur l'Arc Lémanique et sur Genève a plutôt tendance à croître. Joint par téléphone en Turquie, en pleine mission de démarchage, Jacques Pasche, directeur du DEWS est formel: «Le flux de sociétés étrangères qui arrivent en Suisse romande est toujours aussi fort. Cela dit, c'est certainement encore un peu tôt pour mesurer les effets de la crise dans notre secteur.» Dans le canton de Vaud, le patron de la promotion économique Jean-Frédéric Berthoud abonde: «Nous ne constatons aucun recul à l'heure actuelle. On peut même imaginer que les difficultés financières que traversent les autres pays du monde vont accélérer les décisions de venir s'implanter en Suisse.» Christophe Voeffray ajoute: «Les périodes de difficultés économiques sont parfois d'excellentes occasions pour développer les parts de marché. Dans un marché frileux, celui qui ose est souvent très bien récompensé». 

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Marc Benninger est le rédacteur en chef de la version française de HR Today depuis 2006.

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