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Les rapports de codépendance entre un conseil d’administration et un DRH

Le CRPM de Lausanne a lancé en 2010 une Académie des administrateurs de sociétés. Ce module de formation continue rencontre un franc succès et va vraisemblablement devenir un des best-sellers du centre de formation. L’occasion de mieux comprendre les rapports parfois difficiles entre un DRH et son conseil d’administration. 

Un cénacle mystérieux. Aux yeux des collaborateurs, un conseil d’administration est très souvent considéré comme un groupe de personnes aux profils difficiles à cerner disposant d’énormes pouvoirs, de beaucoup d’argent et de kilomètres d’influence. Les préjugés sont tenaces face à ces cénacles qui détiennent le droit de vie ou de mort sur les sociétés qu’elles président. La tâche d’un administrateur est évidemment bien plus complexe qu’on pourrait l’imaginer autour d’une machine à café. 

Tiraillé entre les exigences de rendement des investisseurs et les aléas du terrain, les administrateurs portent sur leurs épaules d’énormes responsabilités. En cas de faillite, ils seront les premiers pointés du doigt. Et contrairement à ce que laisse croire la rumeur populaire, leur rémunération n’est pas toujours mirobolante. 

A titre d’exemple, un administrateur d’une PME de taille moyenne touche environ 50 000 francs par an. Il devra en échange assister et préparer une dizaine de séances annuelles. Pour les aider dans leur tâche, le CRPM de Lausanne a lancé en 2010 un nouveau module, l’Académie des administrateurs de sociétés. Le succès est tel, qu’elle refuse les inscriptions. Cheville ouvrière du module et administrateur indépendant depuis plus de dix ans (La Poste Suisse, SolvAxis, Allianz, Corti et Sterci), Dominique Freymond a accepté d’emmener HR Today à travers les méandres de cette antichambre de la vie en organisation.

Rendement en dividendes ou en augmentation de capital 

Quelques fondamentaux d’abord. Le Conseil d’administration (CA dorénavant) représente les actionnaires/investisseurs de la société et donne des instructions à l’opérationnel (direction générale) qu’il contrôle par des audits ou en engageant des organes de révisions externes. Le CA nomme et révoque les postes clés (haute direction) et définit la stratégie. 

Cette gouvernance est réglée comme du papier à musique par le Code des obligations (CO): le droit de la société anonyme (la bible des administrateurs est le «Code Suisse de bonne pratique du gouvernement d’entreprise » publié par économiesuisse). «Cela dit, chaque entreprise est différente, avec des statuts et des règlements d’organisation propres. 

Les règles du jeu ne sont pas tout à fait les mêmes si vous êtes une entreprise familiale, une société cotée, non-cotée, une start-up ou une multinationale», note Dominique Freymond. L’objectif principal du CA est de créer un rendement pour les actionnaires. Les investisseurs placent leur argent dans une société et attendent en échange un retour sur investissement. 

En règle générale, le rendement sera généré sous forme de dividendes (rente) ou sous forme d’augmentation de la valeur des actions (capital). Un DRH qui est confronté à un CA doit donc toujours garder à l’esprit cette exigence du rendement. «Le type de rendement souhaité (dividendes ou augmentation de la valeur des actions) n’est pas anodin. 

Car cela aura un impact sur la stratégie et le positionnement de la société», note Dominique Freymond. Une start-up va en général miser sur l’augmentation de la valeur de l’action en réinvestissant les bénéfices dans la R&D et l’appareil de production. Avec comme objectif final de se faire racheter par une société plus grande et de récupérer ses billes, plus un bon bénéfice sur le long terme. Une grande société, dans le secteur pharmaceutique par exemple, aura le souci de maintenir ses actionnaires fidèles sur le long terme en versant régulièrement des dividendes. 

Maîtrise des dossiers et argumenter chaque décision 

Si, du point de vue d’un investisseur, l’objectif est assez simple (dégager un rendement), tout se complique au moment d’aborder la manière. Elle débouche sur de longues négociations sur la stratégie à mettre en œuvre, le positionnement de la société et les ressources allouées pour atteindre l’objectif. 

On touche ici au premier désaccord majeur qui surgit entre un CA et une direction générale. Qui rédige la stratégie? Deux grandes écoles se disputent la réponse. La première estime que c’est au CA de rédiger une stratégie pour ensuite la partager dans le détail avec les dirigeants de l’entreprise. L’autre école défend une vision plus participative: la stratégie est préparée par la direction générale et ensuite validée par le CA. 

Ce deuxième cas de figure prévoit un rôle important pour la Fonction RH (du moins, si elle siège au comité de direction). Claude Ruch, DRH de Romande Energie et administrateur de deux sociétés (Effitec et SEFA) explique: «Un DRH ne peut pas rester dans son coin lors de ces discussions sur la stratégie. Il doit garantir une cohérence entre la vision stratégique et la politique RH (rémunération, recrutement, formation, plans de relèves, etc.). Ces discussions sont très intenses. Il faut donc maîtriser les dossiers et argumenter chaque proposition. Personnellement, j’essaie toujours de montrer quelle est la valeur ajoutée de ce que je propose. Les prestations RH ont un coût. Mais elles ont également des effets bénéfiques en termes de productivité, de diminution de l’absentéisme ou d’attractivité de la marque sur le marché de l’emploi. Il faut sensibiliser les administrateurs à ces enjeux.» 

Dominique Freymond assure que les tensions entre CA et direction générale sont plus fréquentes que l’on ne croit. Il dit: «Un administrateur doit être critique, challenger les idées et accepter le débat. D’où l’importance de définir des règles de jeu claires sur les plans formel (règlement d’organisation, statuts déposés au registre du commerce, ndlr) et informel (bonnes pratiques).» 

La décision finale appartient au CA, voire à son président, qui, dans la grande majorité des PME, est également le directeur général et l’actionnaire majoritaire. En cas de désaccord, les décisions sont prises par vote. Le détail des votes n’est en principe pas publié. 

Dominique Freymond: «Le conseil reste solidaire. Il est cependant toujours possible de mentionner un désaccord au procès-verbal». Reste aussi le cas délicat du conflit d’intérêt. Une situation qui est longuement abordée lors de la formation du CRPM. A première vue, les rapports entre un CA et un DRH sont rares. S’il est bien intégré dans le comité de direction, un DRH aura son mot à dire lors de l’élaboration de la stratégie. 

Point barre? Au contraire. Plusieurs sujets clés impliquent une bonne collaboration entre un DRH et un CA. Le DRH est par exemple l’interlocuteur privilégié pour recruter un membre de la direction. Expert des processus de recrutement, le DRH sait lire un CV et connaît les adresses de chasseurs de têtes. Une fois la «short list» rédigée, le DRH proposera un dispositif d’assessment.

A La Poste Suisse, où Dominique Freymond préside le comité d’organisation, de nomination et rémunération du CA, le réseau et les compétences du DRH Yves-André Jeandupeux sont très souvent mises à contribution. 

Politique de rémunération, plan de formation, gestion de la relève 

L’autre grand sujet qui associe un DRH avec son CA est la politique de rémunération. Les salaires représentent l’un des postes les plus importants dans un bilan financier. Le CA va donc s’intéresser de près à la politique salariale, qui est aussi liée à la stratégie générale. «La masse salariale, décomposée en parts fixes et variables, les bonus et le positionnement d’une société sur le segment moyen ou supérieur du marché sont des décisions qui doivent être prises en accord avec le CA», détaille Claude Ruch. 

Le plan de fixation des objectifs, lié aux revenus, au chiffre d’affaires et à l’activité, est également central. Tous ces sujets sont évidemment le terrain de prédilection d’un DRH qui doit défendre ses principes et sa politique auprès du CA. Ce dernier attend également du DRH qu’il mène les négociations salariales avec les syndicats. La politique de formation et la gestion de la relève sont deux autres sujets clés. Quel est le budget à disposition? Jusqu’où faut-il aller dans une politique de développement de l’employabilité? Quel système de gestion de la relève? Quels sont les critères d’évaluation et la fréquence des assessments pour le pool de talents? Enfin, le DRH est très souvent attendu au tournant lors de situations de crise. 

«C’est quelqu’un qui sait gérer les processus de conflit, négocier les enveloppes de départ. C’est un expert métier qui sait résoudre les problèmes dans les règles de l’art», assure Dominique Freymond. Ce tour de table des sujets clés du couple DRH-administrateur ne serait pas complet sans aborder la gestion du risque. Un CA délègue la responsabilité opérationnelle à un comité de direction. Pour s’assurer que l’argent investi est bien dépensé selon le plan stratégique, le CA effectue des contrôles. 

La fréquence des contrôles dépend des risques. Un des risques majeurs est lié aux liquidités. Ce contrôle s’effectue par des audits réguliers et, en cas de doute, par un auditeur externe (en général une fiduciaire). Mais il y a toute une série d’autres risques. Que faire en cas de décès du patron? Quels sont les risques liés aux TIC (technologie de l’information et de la communication)? Le budget TIC représente aujourd’hui le deuxième poste le plus important après les ressources humaines. Que se passe-t-il si le système informatique tombe en panne? Les informaticiens travaillent-ils de manière raisonnable? 

Enfin, dans une PME ou une société de taille moyenne, les tensions entre les actionnaires qui ne s’accordent pas sur le type de rendement (dividendes ou réinvestissement) peuvent nuire considérablement à la santé d’une entreprise. Des enjeux délicats, qui sont, cette fois-ci, bien hors de la portée du DRH.

 

L’intervenant

Dominique Freymond est administrateur indépendant et partenaire de MAS management & advisory services ltd. Il est également responsable de l’Académie des administrateurs de sociétés du CRPM. Contact: dominique.freymond@mas-ltd.ch

 

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Marc Benninger est le rédacteur en chef de la version française de HR Today depuis 2006.

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