Effets des nouvelles technologies - Dossier

«Les RH doivent s’ouvrir et sortir de leur organisation»

Responsable du marketing RH et du recrutement chez KPMG, Alexander Senn a repris en 2012 le centre de recrutement de Swisscom. Il analyse ici les effets des nouvelles technologies sur la fonction RH.

Alexander Senn, vous êtes un spécialiste du marketing RH, comment êtes-vous perçu par les RH, plutôt connus pour leur rigueur administrative et leur discrétion?

Alexander Senn: Chez KPMG, j’étais déjà membre de l’équipe RH, responsable des recrutements notamment. Je connais donc la culture RH. Cela dit, je vous accorde que ma valeur ajoutée est de savoir «vendre» à l’externe les qualités de mon employeur. Ces compétences prendront plus de poids à l’avenir. Les RH doivent s’ouvrir, sortir de leur organisation et devenir plus transparents. Un site comme Kununu.com, qui permet aux employés de critiquer un employeur en public, est révélateur de ce changement de paradigme.
 

Cette culture de la discrétion et du travail bien fait n’est-il pas un obstacle pour de nombreux DRH, à qui on demande du jour au lendemain de se mettre sur les réseaux sociaux, qui sont par définition très transparents et où les compétences en communication et marketing sont indispensables?

Peut-être, mais c’est une réalité. Impossible aujourd’hui d’ignorer les réseaux sociaux si vous souhaitez identifier puis entrer en connexion avec les candidats. Je recrute sur ces réseaux depuis environ cinq ans. A l’époque, de nombreux RH étaient réticents. Cela a complètement changé aujourd’hui.
 

Mais sont-il capables de changer ou faut-il recruter des nouveaux profils RH pour les remplacer?

Les deux à la fois. Chaque processus de changement exige avant tout une vision avec des objectifs clairs. Il faut ensuite incarner ce changement pour montrer à votre équipe qu’il n’y pas de raison d’avoir peur. Du coup, ces pratiques deviennent très stimulantes et source de satisfaction au travail.
 

Ne suffit-il pas de nommer un ambassadeur à qui on demanderait d’être présent sur les réseaux sociaux?

Oui. C’est aussi l’option que nous avons choisie. Nous avons engagé un Talent Scout qui est responsable du sourcing des candidats. A terme, tous les recruteurs de mon équipe devront faire le pas et être actifs sur les réseaux.
 

Quels conseils donneriez-vous aux RH qui seraient encore réticents à opérer ce changement de culture?

Il faut d’abord clarifier la vision. Où allons-nous? Pourquoi ces changements sont-ils nécessaires? A quoi ressemblera notre centre de recrutement dans trois ans? Nous allons au devant de temps difficiles dans le recrutement de talents. Les dernières votations populaires ont clairement nui au marché du travail suisse (l’initiative Minder et l’article constitutionnel sur l’immigration de masse, ndlr). La démarche sera donc de plus en plus proactive. Poster une offre d’emploi et attendre qu’affluent les candidatures ne suffit plus. Il faut désormais aller à la rencontre des candidats. C’est un changement de mentalités. L’empowerment sera aussi très important. Car une fois la vision posée, il faut savoir lâcher prise et laisser les collaborateurs RH faire leur chemin.
 

Et du point de vue de la formation des recruteurs?

A mon avis, c’est surtout une question de pratique. Nous avons créé à l’interne un Recruitment Academy, où nous échangeons sur les bonnes pratiques. Parfois nous invitons des experts pour stimuler nos discussions. J’estime que cette approche pragmatique apporte beaucoup plus que d’envoyer les collaborateurs suivre un cours en espérerant qu’ils vont revenir transformés. Et il ne faut pas oublier qu’un changement de cette importance prend du temps.
 

Où en est l’équipe de recrutement de Swisscom dans ce changement?

Nous sommes au-delà du mi-parcours. Avant, nous recrutions beaucoup avec des chasseurs de tête. L’an dernier, le volume des recrutements a augmenté de 27 pour cent. Et en parallèle, nous avons réduit les coûts de ces recrutements de 30 pour cent. Grâce au talent scouting, nous faisons plus avec moins de moyens.
 

Mauvaise nouvelle pour les chasseurs de tête...

Effectivement. Cela dit, nous allons toujours collaborer avec eux sur certains recrutements difficiles. J’ajouterais que de nombreuses entreprises sous-estiment leur marché de travail interne. Chez Swisscom, le marché interne est devenu prioritaire. En quelques années, nous sommes passés de moins de 50 pour cent de cadres recrutés à l’interne à 83 pour cent au premier trimestre 2014. Nous avons donc réussi ce virage.
 

Pourquoi ce changement?

En mettant l’accent sur le recrutement interne, cela a un impact incroyable sur les collaborateurs. Quand vous savez que votre employeur va commencer par évaluer les profils internes, cela ouvre un tas d’opportunités et booste l’engagement.

En Suisse romande, on assiste depuis une dizaine d’années à un fort développement des SIRH (Systèmes d’information RH) avec des processus de paie, de gestion des absences, de la formation en workflow. Cela ne change-t-il pas les métiers RH?

Oui, les métiers RH évoluent avec ces nouveaux outils. Cela dit, il faut rassurer celles et ceux qui pensent que les RH vont perdre ces relations humaines auxquelles ils sont si attachés. Il s’agit plutôt de dégager du temps pour les prestations RH à forte valeur ajoutée: le recrutement, le développement des compétences et l’accompagnement du business. En revanche, une grande partie de la dimension administrative du métier peut désormais être effectuée en ligne, directement par les collaborateurs. Et si les outils informatiques sont de qualité, les employés les apprécient car ils facilitent leur vie au quotidien. C’est agréable de pouvoir annoncer ses vacances ou de consulter sa fiche de paie via son smartphone.
 

On parle beaucoup des réseaux sociaux et des plate-formes SIRH. Quels sont les autres outils technologiques qui vont impacter la gestion d’entreprise ces cinq prochaines années?

On assiste à l’émergence des Unified Communication and Collaboration Systems. Ce sont des plate-formes qui permettent en tout temps et depuis n’importe où de consulter les documents, d’échanger via un chat et de mener des visioconférences par exemple. Nous avons développé notre propre plate-forme. Notre vision est de nous distancer progressivement des e-mails. Chacun peut y accéder depuis son smartphone et en toute sécurité.
 

La nouvelle CEO de Yahoo!, Marissa Mayer, a annoncé récemment la fin du Home Office afin de ramener tout le monde au bureau...

Il se peut qu’il y ait des retours de balancier, c’est toujours le cas lors des périodes de grands changements, mais j’estime que la tendance vers plus de flexibilité est irréversible. Les collaborateurs attendent une plus grande indépendance pour gérer leur journée de travail. Nous réagissons en supprimant autant que possible les contraintes d’horaires et de lieu – sauf quand le contact direct avec le client est nécessaire. Cela dit, on ne peut pas travailler uniquement depuis la maison. Il faut prévoir des lieux pour que les gens se rencontrent et développent des idées. Les équipes interdisciplinaires nous permettront de relever les défis du futur.
 

Comment vont changer les métiers RH à l’avenir à cause de ces nouvelles technologies?

Le magazine hebdomadaire du Tages Anzeiger (le Tagi Magi, ndlr) a publié récemment une longue tribune sur les défaillances des RH (Denn sie wissen nicht was sie tun, voir aussi en page 7, ndlr). Cet article est très critique envers la fonction RH. La journaliste se demande, sur un ton provocateur, si les RH font des choses vraiment utiles? Au-delà de l’aspect polémique de ce texte, j’estime qu’il met en évidence un des grands travers de la fonction RH, soit de ne pas suffisamment s’aligner sur l’opérationnel. Les indicateurs de cet ancrage business des RH manquent. Il ne suffit pas simplement de lancer des projets par idéalisme. Tout doit être mesuré. Ce sera à mon avis le plus grand changement de la fonction RH à l’avenir.
 

Le problème, c’est que les RH traitent souvent d’intangibles, qu’on ne peut pas ou mal mesurer?

Je crois au contraire qu’on peut tout mesurer. Au niveau du recrutement, notre mission est d’engager les meilleurs profils. Cet objectif est tout à fait mesurable, par les évaluations de fin d’année, les enquêtes de satisfaction et en mesurant le succès opérationnel de chaque département. La contribution RH n’est pas toujours directe, il est vrai, mais toujours mesurable.
 

Une récente étude de l’Université de Fribourg montre que les outils technologiques vont transformer la manière de travailler. La mise en relation des collaborateurs est beaucoup plus facile. On passe d’une organisation horizontale (en silos) à une structure plus verticale, voire matricielle. Quelles conséquences pour l’approche très procédurale de la gestion RH?

Oui. La manière de collaborer est en train de changer. Les gens travaillent de plus en plus en groupes de projet. Cette tendance est incontournable. Il s’agit de réunir les meilleurs compétences et savoirs-faire pour résoudre un problème ou mener à bien une mission.
 

Avec les modèles d’organisation du travail verticaux, c’est beaucoup plus simple à maintenir une vision d’ensemble et un contrôle. Les modèles plus horizontaux ne risquent-ils pas d’introduire plus de chaos dans l’organisation?

Cela a effectivement un impact sur le leadership. Avec des modèles horizontaux, la confiance compte plus que le contrôle. Il faut certes contrôler le résultat final, mais comment l’équipe parvient au résultat doit être laissé libre. De plus, cette liberté d’action est exigée par les jeunes générations. Si vous tentez de trop les encadrer, ils partent.
 

Quelles sont vos méthodes pour vous assurer que vos collaborateurs affichent une e-reputation conforme à vos standards?

Nous disposons d’un règlement, avec une guideline sur le comportement à adopter sur les réseaux sociaux. Mais là aussi, c’est inutile de vouloir trop encadrer. C’est bien plus important d’être un employeur exemplaire. Aucune entreprise n’est parfaite. Même Swisscom peut améliorer son fonctionnement. Je dis souvent que chaque collaborateur a une responsabilité envers Swisscom. Pourquoi? Car vous ne gagnez rien à dénigrer votre employeur en public. De plus, imaginez qu’un jour vous souhaitez revenir travailler pour votre ancien employeur. Ce sera difficile si vous avez nui à son image sur le Net.
 

Avez-vous des règles sur l’utilisation d’Internet pour des affaires privées?

Non. Là aussi, c’est une question de confiance. Si l’employeur a peur que ses collaborateurs passent leur temps sur Facebook, il doit se demander pourquoi. Mieux vaut remettre en question l’organisation du travail ou le style de management plutôt que d’essayer de contrôler les états d’âme de vos collaborateurs. Et je dois ajouter que sur ce sujet, Swisscom est une marque employeur très forte. Nous faisons beaucoup pour la santé et l’employabilité de nos employés. Nous aidons aussi nos gens à se former si jamais nous devions réorienter nos activités, voire même fermer un segment d’affaire.
 

Le recruteur du géant bleu

Alexander Senn, 39 ans, dirige l’unité Recruiting & Employability chez Swisscom. Le géant bleu emploie environ 20000 collaborateurs et a généré au premier trimestre 2014 un chiffre d’affaires de 2,8 milliards de francs. Société cotée, Swisscom est active dans la téléphonie, Internet et la télévision numérique.

 

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Marc Benninger est le rédacteur en chef de la version française de HR Today depuis 2006.

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