Les Suisses ont une bonne perception de leur travail
L'édition 2024 du Baromètre RH suisse porte sur «le sens et le non-sens au travail». L'étude souligne l'importance croissante des loisirs, avec des différences marquées selon l'âge, et met en lumière les défis liés aux ambitions de carrière et à la collaboration entre les générations.
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«On parle beaucoup en ce moment du fait que l’importance du sens au travail s’avère primordiale pour les jeunes employés, explique Gudela Grote, professeure à l‘École polytechnique fédérale de Zurich (EPFZ) et coéditrice du Baromètre RH suisse 2024 (voir l’encadré). Nous avons voulu aborder les différents préjugés sur ce sujet en nous appuyant sur des données fondées.»
L’étude rappelle que le travail présente une grande importance dans la vie pour la majorité des employés en Suisse. Ainsi, à peine 3% des personnes interrogées indiquent que le travail «est plutôt ou tout à fait sans importance». Près d’un tiers des travailleurs jugent que leur travail est partiellement utile ou tout à fait utile. Environ trois quarts des salariés (74%) possèdent une bonne perception de ce qui rend leur travail important. Une proportion similaire (71%) dit s’épanouir au travail et avoir le sentiment de pouvoir s’y développer.
Enfin, près de 86% des employés suisses interrogés estiment que leur travail possède un sens et une finalité. Des chiffres qui tranchent avec une étude récente de Gallup sur la motivation et l’engagement, où les pays européens se situent en fin de classement. «L’image plus positive offerte par nos données est probablement liée à la situation économique et au marché de l’emploi globalement favorables en Suisse.»
Priorité à la famille
Dans la hiérarchie des priorités dans la vie, la famille est ce qui compte le plus pour les sondés (36% en moyenne), suivie du travail (31%), qui est désormais talonné par les loisirs (25%). «Les trois domaines les plus importants sont les mêmes en comparaison à notre précédente édition de 2014. Mais nous notons un déplacement marqué de l’importance des loisirs par rapport au travail rémunéré chez les employés de tous âges, en moyenne de 4 à 5%.»
On observe cependant des différences significatives en fonction des générations. Ainsi, les employés plus âgés attribuent au travail une importance croissante par rapport à leurs collègues plus jeunes (36% contre 28%), tandis que celle des loisirs diminue (22% contre 31%). «Le fait que le groupe des employés les plus âgés attribue la plus grande importance au travail est un point qui nous a surpris», remarque la chercheuse. De quoi reconsidérer les stéréotypes souvent associés aux travailleurs seniors, notamment en matière d’engagement ou d’apprentissage?
Ennui et aliénation
Les auteurs de l’étude notent également une augmentation de l’aliénation et de l’ennui au travail. Ainsi, 25% des personnes sondées s’ennuient parfois ou toujours (12% en 2014), tandis que 77% des répondants indiquent ne jamais ou rarement s’ennuyer au travail (contre 88% dans l’étude précédente). Comment s’explique cette hausse? «On ne peut qu’émettre des hypothèses sur les raisons de cette progression, par exemple le fait que les tâches professionnelles pourraient s’être transformées en une accumulation de tâches routinières, avance Gudela Grote. Mais il est plus probable que les attentes envers un travail intéressant aient augmenté au fil des années.» À noter que la tendance à l’ennui progresse dès lors que le travail occupe une place peu importante et que la motivation à travailler est avant tout de nature financière.
Quête de sécurité
Autre donnée notable de l’étude: le besoin croissant de sécurité chez les employés. Près de la moitié des répondants souhaitent une carrière stable, sans toutefois forcément viser une progression hiérarchique. Ce type de trajectoire gagne en popularité, alors qu’il concernait moins de 40% des employés dans les éditions précédentes.
Une évolution qui reflète le contexte économique et technologique actuel. «Le besoin croissant de sécurité pourrait être lié aux nombreuses incertitudes sociétales et politiques, ainsi qu’aux bouleversements technologiques profonds liés à l’automatisation et à la numérisation.» Pour répondre à cette demande, les entreprises doivent réussir à construire un équilibre entre stabilité et innovation. «Les organisations doivent cependant faire en sorte que cette forte orientation vers la sécurité ne se transforme en une résistance au changement.»
Jeunes paresseux et vieux ignorants
Avec le vieillissement démographique et l’évolution des rapports hiérarchiques, la collaboration intergénérationnelle devient un enjeu central, y compris en matière d’attractivité des employeurs. «Les jeunes, grâce à leur formation de plus en plus poussée, sont souvent appelés à devenir les supérieurs hiérarchiques des plus âgés, constate Gudela Grote. Cette situation peut générer des tensions. C’est pourquoi il est essentiel de déconstruire les stéréotypes mutuels, comme ‘les jeunes sont paresseux’ ou ‘les vieux ne comprennent plus rien’ et de porter une attention particulière à la collaboration entre générations.»
Le Baromètre RH suisse 2024 n’a pas directement étudié les impacts de l’intelligence artificielle. Les auteurs soulignent cependant qu’en parallèle à l’automatisation de processus qui augmente la productivité, il est essentiel de continuer à faire exécuter par les travailleurs les tâches qui donnent du sens. «Des mesures RH ciblées contribuent à ce que les employés perçoivent leur travail comme ayant un sens. C’est important pour les entreprises, car la perception du sens engendre un effet positif tant sur les attitudes que sur les comportements au travail des employés.»
Un outil pour mieux comprendre le travail
Depuis 2006, le Baromètre RH suisse examine la manière dont les employés en Suisse perçoivent leur situation professionnelle, que ce soit sous l’angle de la relation de travail, la gestion des ressources humaines, le leadership, la satisfaction ou l’évolution de carrière.
L’étude est régulièrement publiée par Gudela Grote, professeure de psychologie du travail et de l’organisation à l’École polytechnique fédérale de Zurich, et Bruno Staffelbach, directeur du Centre pour la gestion des ressources humaines à l’Université de Lucerne, en coopération avec l’Université de Zurich, et avec le soutien du Fonds national suisse.
Le Baromètre RH suisse 2024 est basé sur un sondage réalisé auprès de 2032 salariés issus du registre d’échantillonnage de l’Office fédéral de la statistique. L’enquête a été réalisée entre mars et juin 2024 en Suisse romande, Suisse allemande et au Tessin.
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