Remettre le travail au centre

Les trois étapes de la prévention des souffrances au travail

Les situations stressantes qui s'installent dans la durée ont un coût pour la santé des cadres et collaborateurs qui les subissent. Comment agir? Explications et retour en arrière sur un mal dont on n'a pas fini de se défaire.

Les personnes ayant subi un burnout, ou toute autre forme d’épuisement, connaissent mieux que quiconque les conséquences négatives d’un stress professionnel chronique. Lorsque les facteurs de stress, que sont les contraintes organisationnelles et/ou relationnelles, deviennent plus importantes que les ressources à disposition pour y faire face, et cela sur une période prolongée, l’organisme va échouer dans sa tentative d’adaptation face à son environnement. Des symptômes sont alors susceptibles d’apparaître à plusieurs niveaux: émotionnel, physique, cognitif et comportemental. Au bout de ce processus, les personnes concernées se retrouvent vidées de leur énergie, en état d’épuisement. En outre, le stress chronique, qui se mesure par un niveau élevé de cortisol dans l’organisme, augmente le risque de développer différentes pathologies: troubles de la mémoire, anxiété, dépression, maladies cardio-vasculaires, déficience du système immunitaire, prise de poids ou insomnies par exemple.

Soigner le bien-être mental a peu d’effet

Bien conscientes de ce «mal du siècle», les entreprises responsables et soucieuses de leur personnel (ainsi que de leur productivité et de leur image) essaient de juguler ce syndrome. Mais comment s’y prennent-elles et avec quels succès? Selon une étude récente menée par William J. Fleming de l’Université d’Oxford, les initiatives visant à promouvoir le bien-être mental en entreprise (formation à la résilience, ateliers de pleine conscience, applications de bien-être) ne fourniraient pas de ressources supplémentaires ou appropriées en réponse aux exigences professionnelles. Autrement dit, faire l’économie des mesures organisationnelles est un leurre. Afin de sortir des approches psychologisantes de la santé au travail, nous tenons à rappeler ici que l’adoption d’un concept global, qui s’appuie sur les trois niveaux de prévention, permet aux entreprises d’agir en amont et en aval de la problématique.

Prévention primaire

Tout d’abord, au niveau de la prévention primaire, les mots clés sont: éviter, maîtriser, diminuer et informer. Analyser les corrélations entre les caractéristiques du travail et l’état de santé des employés devrait être le point de départ de toute démarche de prévention. À ce stade, aussi bien les aspects organisationnels que les aspects relationnels sont passés sous la loupe par des spécialistes. Il s’agit avant tout d’anticiper les problèmes en les identifiant de manière précoce et en déterminant les mesures adéquates pour y remédier. Cette approche contribue grandement à la prévention des risques psychosociaux (RPS). Les problèmes peuvent, par exemple, être identifiés au travers de certains indicateurs récoltés par l’entreprise – absences, taux de rotation, réclamations, heures supplémentaires – au cours du temps et/ou en observant les impacts négatifs de son fonctionnement sur les comportements et les prestations de travail – motivation en baisse, oublis en augmentation, tendance au sarcasme et au cynisme, plaintes accrues de fatigue. Les contraintes mentales peuvent également être répertoriées par les spécialistes au moyen de questionnaires, d’entretiens, individuels ou en groupes, et d’observation du travail. In fine, les analyses effectuées permettent de mettre en œuvre des mesures correctives pour atténuer les contraintes identifiées et les intégrer dans la gestion de l’entreprise.

Prévention secondaire

Ensuite, des démarches peuvent être mises en place au niveau de la prévention secondaire, dont les mots clés sont: détecter, dépister et adapter. Il s’agit par exemple, pour les entreprises, de sensibiliser leurs responsables et leurs collaborateurs à différents sujets en lien avec les RPS et de les aider à mieux identifier les situations à risques. Sont généralement abordés dans ce cadre par le biais d’ateliers: le stress physiologique et ses conséquences; la prévention contre l’épuisement professionnel; les mesures de protection de l’intégrité personnelle à mettre en place pour neutraliser le harcèlement et les discriminations. Des mesures plus personnalisées peuvent aussi être envisagées à ce stade, sous forme de formations sur des thèmes tels que: mieux maîtriser son stress, développer son affirmation de soi ou gérer les conflits. Dans la prévention secondaire, le développement des compétences managériales des cadres a toute sa place, plus particulièrement par le biais de la supervision (ou analyse de pratique) qui permet une approche fine. Enfin, la mise en place d’un dispositif de personnes de confiance est également encouragée à ce niveau.

En termes de moyens, l’analyse de climat de travail (ACT) peut être recommandée. C’est une démarche informelle qui comprend l’examen approfondi d’une unité qui rencontre des difficultés sur le plan organisationnel, managérial, d’équipe et / ou interpersonnel; problématiques qui impactent la qualité de vie au travail, péjorent la motivation et /ou attentent à la santé des employés. L’ACT propose également des pistes de solutions concrètes et priorisées à court, moyen et long terme pour permettre à l’entreprise qui la sollicite de mettre en œuvre des mesures propres à résoudre les problèmes actuels comme à éviter de nouvelles occurrences. L’ACT s’inscrit donc à mi-chemin entre la prévention primaire et secondaire et permet de prévenir tout dommage durable et conséquent si elle est conduite à temps.

Prévention tertiaire

Les efforts fournis par les entreprises aux niveaux primaire et secondaire ne suffisent pas toujours à éviter le stress chronique ou l’épuisement professionnel, d’autant plus que ce que vivent les individus dans leur vie privée peut impacter positivement ou négativement leur vécu professionnel. Raison pour laquelle la prévention tertiaire complète adéquatement l’approche puisqu’elle tend à réduire les complications et les risques de rechute et facilite, le cas échéant, le dépassement des épreuves vécues. Les mots clés sont ici: revenir, réadapter. Après des conflits importants, des périodes de surcharge ou une absence maladie prolongée, il est souvent difficile pour un employé de retrouver confiance en son environnement, de tourner la page, de revenir sur son lieu de travail ou de se mettre à la recherche d’un nouvel emploi si telle est la situation. Dans ce cadre, des séances de coaching pour soutenir individuellement les personnes fragilisées donnent tout leur sens. Le renforcement de la confiance et de l’estime de soi, l’exploration des motivations et des préférences au travail, le bilan de compétences, tout cela concoure à déterminer des projets réalistes et réalisables de retour à l’emploi. Il est cependant indispensable, avant de prévoir des mesures sur le plan tertiaire, que tout ait été fait aux niveaux primaire et secondaire; les collaborateurs et les cadres n’ont pas à porter individuellement ce que l’entreprise n’a elle-même pas réglé.

commenter 0 commentaires HR Cosmos
SQ

Psychologue spécialiste de la santé au travail, Stéphane Quarroz est consultant RH au sein du cabinet Didisheim. Lien: didisheim.ch

Plus d'articles de Stéphane Quarroz

Cela peut aussi vous intéresser