Lieutenant consensuel
Sur le pied de guerre depuis le début de la crise, le directeur général de la Fédération des Entreprises Romandes (FER), Blaise Matthey, tient la barre dans la tempête. Dynamique et mesuré, il est une figure rassurante de la période difficile en cours.
Crédit: Pierre-Yves Massot / realeyes.ch pour HR Today
C’est parce qu’il avait anticipé la crise qu’il a su garder son calme quand les signaux sont passés au rouge. «La FER Genève suivait la situation très attentivement depuis janvier. L’impact potentiel de ce virus sur l’économie était déjà perceptible», se souvient Blaise Matthey.
Fin février, il réunit ses troupes pour annoncer des mesures anti-pandémie et préparer les premières informations pour leurs membres: «Les nouvelles venant de Chine et d’Italie n’étaient pas rassurantes. Nous avions exercé notre plan pandémie en 2019 et nous étions donc relativement bien préparés. Cela dit, la réalité est une autre paire de manches.»
Le 16 mars, le directeur général de la FER Genève ordonne la fermeture du bâtiment et la généralisation du télétravail pour son personnel. Ça sent le roussi et il tient à être exemplaire. Le même jour, le Conseil fédéral qualifie la situation d’«extraordinaire» au sens de la loi sur les épidémies et ordonne la fermeture de tous les magasins, bars et restaurants jusqu’au 19 avril 2020 (ensuite prolongée jusqu’au 11 mai).
Le confinement général (interdiction des rassemblements de plus de 5 personnes) est décrété le 20 mars. A ce moment, la FER Genève est déjà en train de négocier des mesures d’urgence avec les cantons et la Confédération. «Nous avons reçu des milliers de demandes de nos membres concernant des questions de droit du travail et d’assurances sociales. Tout le personnel de la FER a travaillé d’arrache-pied pour y répondre», raconte Blaise Matthey lors de l’entretien qu’il nous accorde le 29 avril dernier dans son bureau de la rue de Saint-Jean.
La fédération publie quotidiennement des tutoriels, des conseils pratiques et des vidéos. «Nous devions communiquer sur deux plans: de manière générale pour informer et rassurer le tissu économique romand et de manière plus individualisée pour répondre aux préoccupations de nos membres», note Blaise Matthey. La FER compte à ce jour 28’000 membres à Genève et 45’000 en Suisse romande.
RHT, APG et indépendants
Sans surprises, la plupart des demandes concernent les réductions d’horaire de travail (RHT) et les allocations pour perte de gain (APG). «Nous avons aussi créé un tableau de synthèse destiné aux entrepreneurs et aux chefs d’entreprise pour les orienter sur leurs droits et obligations durant la crise, avec notamment des informations sur le paiement des loyers et les emprunts bancaires». Les dispositions à prendre pour assurer la sécurité des collaborateurs et la mise en route du télétravail sont également très consultées.
Autre dossier sensible: le sort réservé aux indépendants. Blaise Matthey lance plusieurs appels via les médias pour sensibiliser les autorités. «Nous avons pu effectuer les premiers paiements pour les indépendants en avril», assure-t-il.
Dans un deuxième temps, la FER Genève collabore à l’élaboration du dispositif de mise sur pied des plans de protection conçus par les organisations faîtières professionnelles pour la reprise des activités. En parallèle, elle continue de sensibiliser les chefs d’entreprise aux mesures de sécurité à prendre pour assurer la santé des collaborateurs.
Tout au long de cette crise, Blaise Matthey a cherché à suivre une ligne mesurée entre le besoin d’une reprise de l’activité économique et la préservation des enjeux de santé publique, sans opposer l’une à l’autre.
Depuis le ralentissement brutal de l’économie suisse le 16 mars dernier, tous les secteurs d’activité ont été «terriblement impactés», assure Blaise Matthey. Le tourisme, la restauration et l’événementiel en tête, mais aussi la construction, le commerce et l’artisanat. «Il ne faut pas oublier le secteur de la santé non-urgent, les médecins et toutes les professions de soins», précise-t-il. «Le secteur bancaire a énormément travaillé pour assurer les flux financiers, débloquer les emprunts et garantir les liquidités.»
Arbitrages délicats
Il salue aussi la bonne entente avec les autorités cantonales, notamment sur le dossier des RHT. «Cette collaboration a fonctionné à des degrés variables en Suisse romande, certes, mais à Genève, je ne peux pas me plaindre», résume-t-il en faisant allusion aux tensions relevées dans les cantons de Vaud et Neuchâtel.
La FER a revendiqué auprès des autorités cantonales une correction du système d’assurance chômage et d’allocations pour perte de gain; des prêts bancaires aux entreprises; des échelonnages des loyers et un assouplissement des contraintes en termes de permis de travail et de passage des frontières.
Quant aux mesures prises par le Conseil fédéral, Blaise Matthey les juge «bonnes dans leur ensemble». «La Confédération a bien géré la phase d’urgence. Elle n’a pas tout résolu, mais a agi vite et bien malgré la complexité du système fédéraliste. Je perçois par contre plus de confusion dans les étapes du déconfinement», nuance-t-il. Les décisions à venir seront délicates. «Si l’économie tue autant que la pandémie, ces arbitrages deviendront problématiques», craint-il. «Cela dit, je ne suis pas de ceux qui critiquent l’action gouvernementale. Nous tirerons les leçons de cette crise le moment venu.»
Bonnes surprises
Et les nouvelles ne sont pas toutes mauvaises. Interrogé sur les bonnes surprises constatées durant cette crise, il cite le télétravail, «qui a globalement très bien fonctionné». «Cela démontre l’excellent niveau des infrastructures suisses. Les flux d’informations, de santé, d’alimentation et financiers ont pu continuer.»
Blaise Matthey souligne aussi la solidarité et l’entraide entre les générations. «Globalement, la société suisse fonctionne bien. Le système de santé a tenu le coup. Les gouvernements ont gouverné. La force de travail a été flexible. Et la population s’est montrée très responsable dans cette affaire. Sans cette attitude positive, jamais on n’y serait parvenu.»
Une autre leçon qu’il tire de cette période est «l’interdépendance» de notre économie. «Nous réalisons aujourd’hui que si les grands acteurs économiques ralentissent, tout ralentit. Nous avons aussi compris l’intérêt de la mondialisation. Le partage des connaissances entre les Etats a permis de naviguer à travers la crise en limitant les dégâts. Et je souligne que les personnes qui appellent à un retour au tout local sont les premières à se plaindre de devoir rester en Suisse durant leurs vacances», glisse-t-il avec le sourire.
Reprise des activités
La reprise progressive des activités économiques se fera avec la plus grande vigilance, prévient-il. A la FER Genève, la majorité du personnel poursuivra jusqu’à l’été en télétravail. Un modèle qui perdurera après la crise? «Il est encore trop tôt pour l’affirmer. Nous constatons aussi des limites. Certaines personnes vivent mal cet isolement. Cette période nous aura permis d’améliorer les pratiques en la matière et nous ferons encore d’énormes progrès dans ce domaine. Je remarque par ailleurs que cette crise nous a démontré les bienfaits de la technologie sans laquelle nous aurions été totalement paralysés.»
Concrètement, la reprise des activités se fera de manière graduelle et prudente. «Nous allons réorganiser nos locaux afin d’assurer les distances de sécurité et installer des parois en plexiglas». La FER Genève dispose également d’un stock de masques lavables de protection, «deux par personne».
Selon lui, de nombreuses entreprises ont mis en place des plans de protection, certaines avec des systèmes de détection pour mesurer la température des collaborateurs avant de les laisser entrer dans les espaces de travail. Le Secrétariat d’Etat à l’économie (Seco) met à disposition sur son site des informations qui détaillent ces dispositifs de remise en route du tissu économique et fournit une check-list.
De Claparède à Chicago
Lui embraye son parcours de vie à Genève en 1958. Son père est ingénieur forestier et sa mère infirmière. Binational, suisse et irlandais par sa mère, Blaise Matthey fait toutes ses écoles à Genève et passe sa maturité au Collège Claparède. Il hésite entre des études d’économie et de droit. Ce sera le droit «car j’ai été séduit lors de la séance de présentation».
Assistant de droit constitutionnel à l’Université, il termine son cursus par une thèse de doctorat sur le droit et les énergies nouvelles, puis passe son brevet d’avocat. Il poursuit quelque temps au barreau comme collaborateur. Marié et père de deux enfants, il quitte la profession d’avocat et entre à la FER Genève comme secrétaire patronal chargé des transports.
Dans un récent article (1), il dévoile les leviers de sa nouvelle passion: «J’ai d’emblée apprécié de côtoyer l’artisan autant que le représentant de la multinationale et de devoir faire la synthèse entre eux dans l’intérêt de l’économie dans son ensemble.»
En 1990, il prend un congé sabbatique et s’installe à Chicago avec sa famille où il travaille dans un grand cabinet d’avocats. «Les Américains vous mettent dans le bain tout de suite. Ils sont d’un très grand professionnalisme, avec un souffle qui n’est pas le même qu’en Europe.» Il rentre en Suisse six mois plus tard et est nommé en 1994 directeur général adjoint de la FER Genève. Il a 36 ans.
Deux ans plus tard, il siège dans les commissions fédérales de sécurité sociale (AVS-AI, PP, Chômage). Le parti libéral genevois vient le chercher pour entrer au Grand Conseil. Il hésite à cause du conflit de loyauté possible entre la fédération patronale et le parti cantonal. Il fera campagne avec un groupe de onze autres collègues, surnommés les «douze salopards», et sera élu. Blaise Matthey ne siégera qu’une législature (2001- 2005) puisqu’il est pressenti pour reprendre la direction générale de la FER Genève, ce qui exclut une activité politique en tant que député.
Lieutenant-colonel à l’armée, formé à l’INSEAD de Fontainebleau aux techniques du management moderne, actif dans les organisations patronales et économiques au niveau suisse et mondial, passionné de lecture, de golf et de tennis, Blaise Matthey écrit de manière prémonitoire (1): «Le destin ne vous conduit pas forcément là où vous l’imaginez (...).»
1.Lettre du Conseil de l’Ordre des avocats genevois, février 2020, pp. 29-31
Bio express
1958: Naissance à Genève
1985: Doctorat en droit
1988: Brevet d'avocat; entre à la Fédération des Syndicats Patronaux (plus tard la FER Genève)
2001: Elu au Grand Conseil genevois
2007: Nommé directeur général de la FER Genève et secrétaire général de la FER