L'indispensable réforme des retraites devra encore attendre
Jugée indispensable par tous, la réforme des retraites n'est pourtant pas encore une affaire réglée: les Suisses ont refusé dimanche par 52,7% des voix le paquet Prévoyance vieillesse 2020. La balle est désormais dans le camp des opposants, qui doivent se dépêcher d'apporter une alternative équilibrée.
La réforme prévoyait l'augmentation de l'âge de la retraite des femmes à 65 ans, une hausse de la TVA de 0,6 point de pourcentage et un abaissement dans le 2e pilier du taux de conversion du capital en rente de 6,8 à 6%. Photo: Keystone
(ats) A l'image du projet mastodonte d'Alain Berset, son financement via un relèvement de la TVA a été refusé de justesse par 50,1% des citoyens, ainsi que la majorité des cantons.
Plus de 20 ans après la dernière réforme, le conseiller fédéral socialiste a donc échoué à convaincre les citoyens. Interrogé sur les raisons de la défaite, il a refusé de se prononcer, mais a reconnu que le dossier était "complexe et compliqué à expliquer". La complexité du scrutin se retrouve d'ailleurs dans les résultats. Les citoyens n'ont pas forcément voté pareil sur la réforme et son financement.
A l'exception de Bâle-Ville et de Zurich, aucun canton alémanique n'a dit "oui". Le champion du double "non" est le canton de Schwyz (64,3% à la réforme; 62,2% à son financement). La Suisse romande a soutenu la réforme sauf les deux cantons lémaniques, d'où sont issus la majorité du comité de gauche opposé à la réforme.
Compteurs à zéro
La réforme prévoyait l'augmentation de l'âge de la retraite des femmes à 65 ans, une hausse de la TVA de 0,6 point de pourcentage et un abaissement dans le 2e pilier du taux de conversion du capital en rente de 6,8 à 6%. Pour compenser ce recul, les nouvelles rentes AVS auraient été augmentées de 70 francs et le plafond de rente pour les couples mariés relevé de 150 à 155%.
Le PLR, l'UDC et une partie de l'économie ont réussi à convaincre la majorité de rejeter un projet jugé trop généreux. A l'inverse, le Conseil fédéral, le PS, les Verts, le PDC, le PBD et le PVL y voyaient un compromis équitable et indispensable pour assurer le financement des rentes à venir.
Le résultat de dimanche remet les compteurs de la réforme du système de l'AVS à zéro. Alain Berset a indiqué qu'il allait prochainement réunir les différents acteurs concernés pour préparer un nouveau projet, sans pourtant donner un calendrier.
Pas avant les élections fédérales
Le coupable derrière l'échec de la réforme, c'est le PLR, l'UDC et le comité référendaire de la gauche romande, une "mésalliance" qui a fait capoter le projet, a critiqué la conseillère nationale Barbara Schmid-Federer (PDC/ZH), membre du comité d'Alliance F, l'alliance d'organisations féminines militant en faveur de la réforme. D'après le PDC, c'est donc désormais à eux d'agir dans l'urgence.
Le rejet de dimanche est un "triste autogoal" pour la gauche, a affirmé pour sa part le vice-président de Travail.Suisse, Jacques-André Maire, membre du comité "Oui à la réforme des retraites". C'est un travail parlementaire "très délicat" qui s'annonce, d'autant que chaque camp était arrivé "au bout des compromis acceptables".
Le refus par les citoyens suisses de la réforme des retraites va encore "creuser la facture finale liée à l'AVS", a déploré quant à lui Patrick Eperon, responsable romand du comité bourgeois en faveur du projet. Même si la droite met les bouchées doubles afin de ficeler un nouveau paquet, un nouveau vote n'interviendra "pas avant les élections fédérales de 2019", a-t-il regretté.
Le bonus pointé du doigt
Du côté des adversaires de la réforme, on reste pragmatique après la victoire. Aussi bien la gauche que la droite doit "sortir des positions idéologiques", a plaidé Regine Sauter, membre de l'Alliance des générations (anti-réforme). La Zurichoise estime que c'est le bonus de 70 francs qui a fait déborder le vase, signe que le résultat du scrutin doit être interprété comme un "non bourgeois".
Selon elle, le peuple a donné un mandat clair au Parlement: il ne veut pas une dégradation de la retraite, mais pas non plus des "susucres". Les Suisses ne verront pas de sitôt l'âge de la retraite grimper à 67 ans pour tous, a promis de son côté le conseiller national Olivier Feller (PLR/VD). "Cette hausse n'est pas à l'ordre du jour, vu qu'elle serait balayée par le peuple."
Les présidents de partis réfléchissent à un "plan B" plus digeste
L'échec de la réforme de la prévoyance vieillesse en votation doit faire place à un "plan B" plus digeste et en plusieurs étapes. Les présidents des quatre partis gouvernementaux ont identifié des limites à ne pas dépasser imposées par le peuple.
"Nous avons un plan B depuis des mois", a assuré à ats-vidéo la présidente du PLR Petra Gössi. Il faut trouver une nouvelle manne financière pour garantir l'AVS, ce que permet un relèvement modéré de la TVA sans toucher au système des rentes. Autre point important: une harmonisation de l'âge de la retraite des femmes et hommes à 65 ans. La réforme du 2e pilier devrait se faire dans un deuxième temps.
Un pilier après l'autre, et pas tout dans le même panier, c'est aussi en partie le message qu'a voulu faire passer Albert Rösti, président de l'UDC. Et d'ajouter que l'objectif principal demeure d'assurer la survie de l'AVS sur le long terme. Il propose une retraite à 65 ans pour tous et un rapide relèvement de la TVA de 0,3 point.
Il faut se préparer aux débats à venir au Parlement, a dit de son côté le président du PS Christian Levrat. Le scrutin de dimanche a montré des limites à ne pas franchir pour la prochaine réforme, comme la baisse des rentes ou la dégradation de la situation de groupes comme les femmes, qui auraient dû en cas de oui supporter une hausse non compensée de leur âge de retraite à 65 ans.
"Très difficile de dire aujourd'hui dans quelle direction vont aller les débats" au Parlement, a déclaré Gerhard Pfister. Mais avant de remonter dans l'arène, le temps de l'analyse est venu. Et d'ajouter que quel que soit le prochain projet, il risque encore de fortement polariser lui aussi, comme c'est le cas depuis 20 ans avec l'AVS.
Pour une fois, pas de "Röstigraben" dans la politique sociale
La politique sociale est un des rares thèmes dans lesquels la "barrière de röstis" a survécu jusqu'ici. Mais dans la réforme de la prévoyance vieillesse, la Suisse romande était également divisée cette fois-ci.
Le fait que les Romands ont habituellement une autre vision de l'Etat social que les Alémaniques était encore apparu il y a une année lors de la votation sur l'initiative "AVSplus". En Suisse romande et au Tessin, cette hausse proposée de 10% des rentes avait trouvé une majorité. Seuls le Valais et Fribourg l'avaient refusée comme la Suisse alémanique.
Le même scénario s'était dessiné en septembre 2014, lorsque la Suisse alémanique avait rejeté le projet de caisse maladie unique tandis que la Suisse romande l'avait approuvé. Le Tessin, généralement dans le même camp que le Suisse romande dans ces sujets, avait refusé la caisse unique.
En 2013, Romands et Alémaniques étaient en revanche plus proches dans leur soutien à un article constitutionnel sur la famille. Le projet avait rallié une majorité du peuple au niveau national, mais il avait été victime d'une phalange de cantons alémaniques ruraux et conservateurs qui l'avaient rejeté. L'article avait donc échoué à la majorité des cantons.
C'est aussi contre la volonté de la Suisse romande et du Tessin que la révision controversée de la loi sur l'assurance chômage avait passé la rampe en 2010.
Les cantons latins ont pu fêter un rare succès en politique sociale en 2004, lorsqu'ils ont vu s'imposer l'assurance maternité. Ils avaient soutenu en vain un tel projet en 1999. Et en 2000, deux initiatives en faveur d'une flexibilisation de l'âge de l'AVS ont été rejetées, malgré une majorité de "oui" en Suisse occidentale et méridionale.