Réorganisation RH

Lingerie en mue

Nommée DRH du groupe Triumph International en 2013, la Française Emmanuelle Roger accompagne un processus de changement emblématique des enjeux de la nouvelle économie. 

Basée dans la coquette cité thermale de Bad Zurzach (canton d’Argovie), le fabricant de lingerie Triumph International se situe à un tournant historique. Fondée en 1886 par deux industriels allemands, la société est présente dans plus de 100 pays et emploie près de 34 000 collaborateurs.
Sa spécificité est d’assurer elle-même toute la chaîne de création de valeur: la conception de ses sous-vêtements, la production, la distribution et la vente. Reconnue pour ses produits innovants, Triumph International – propriétaire des marques Triumph et sloggi et de plusieurs sous-marques dont Mamabel et Triaction– doit faire face à une forte concurrence sur un marché peu protégé avec des marges assez faibles. La société a généré en 2013 un chiffre d’affaires d’environ 1,9 milliards de francs. Fortement implantée en Europe et Asie, notamment au Japon, la société est devenue un acteur global. Son succès est dû à son enracinement local, avec des usines de productions établies dans ses principaux marchés et par la création de modèles propres à chaque pays. L’économie étant sans pitié, les affaires ralentissent pourtant après la crise financière de 2008/2009. L’environnement économique devient incertain. Internet modifie les habitudes de ses consommatrices. C’est à ce moment que Triumph International vit un changement de gouvernance, avec l’arrivée au pouvoir de la quatrième et cinquième génération de propriétaires (les familles Spiesshofer et Braun).
 

Global Head of HR depuis fin 2013

Dans ce contexte de profondes mutations qu’ils recrutent en 2010 Emmanuelle Roger. D’abord responsable du développement du personnel, elle est nommée Global Head of HR en décembre 2013. Sa mission est de revoir de fond en comble la politique et les prestations RH, afin d’accompagner les changements du modèle d’affaire centenaire de la marque. Le cas d’école est édifiant. Le jour de l’interview, Emmanuelle Roger nous accueille dans une salle d’exposition du siège argovien, entourée de photos de mannequins aux longues jambes, qui mettent en valeur les dernières créations de ses marques. La star Kylie Minogue, égérie de la marque sloggi, inonde la pièce de son sourire carnassier. De son côté, Emmanuelle Roger porte un ensemble bleu marin très classe avec des talons hauts et des perles en boucles d’oreille.
 

Des choix stratégiques à venir

Son calme – malgré un emploi du temps hyper chargé – et sa capacité à aller droit au but sont les signes d’une personne qui vit une expérience professionnelle intense: «Dans un contexte de forte complexité, nous venons de revoir toute la structure de l’organisation. Depuis quelques années, la plupart des fonctions telles que la Marque, le Marketing, RH, Finance, IT et le Supply Chain (production et distribution, ndlr) ont été centralisées ici à Bad Zurzach. Ce processus fut assez délicat. Notre force a toujours été d’être proche de nos clients. Nous devons donc garder cette image d’une marque locale tout en rationalisant certaines activités». Les enjeux sont importants. Avec des choix stratégiques encore à venir.
 
Elle poursuit avec ce questionnement: «Est-ce que cela fait du sens de tout produire, de tout distribuer et de tout vendre nous-mêmes?» Pour trancher ces sujets délicats, la société fait appel à des consultants de haut vol. Résultats? Un plan de réorganisation en deux étapes. «De 2014 à 2017, nous prévoyons de nous recentrer sur nos marques traditionnelles, soit Triumph et Sloggi et nous allons réorganiser l’entreprise autour de nos trois régions phare, soit l’Europe, l’Asie et le Japon. Dans un deuxième temps, entre 2017 et 2020, nous allons nous préparer pour une nouvelle phase de croissance internationale. Ces changements impliqueront aussi une redéfinition de nos modes opératoires. A l’avenir, certaines tâches seront sans doute externalisées».
 
En changeant leur ADN, ne sont-ils pas en train de se couper avec ce qui a fait leur succès, soit le contrôle de toute la chaîne de valeur et l’ancrage local de leurs activités? «Nous ne le pensons pas. Les collections sont devenues très internationales. Ce qui fera la différence sera la clarté des marques et la qualité des services», répond-elle. Ces transformations doivent aussi permettre à la société de s’adapter aux nouvelles habitudes de leur clientèle. «Avec Internet, les consommatrices font désormais leur shopping depuis n’importe où. Nous devons donc développer une approche multi canal. En clair, nous allons passer du «culte du produit» au «culte du service». Il s’agit de soigner la manière avec laquelle la clientèle interagit avec Triumph. L’expérience client doit être similaire peu importe le lieu ou le canal», résume Emmanuelle Roger. Pour se rendre compte de ces changements, il suffit de jeter un œil sur le site officiel de la marque (www.triumph.com), qui est devenu une boutique en ligne.

Réorganisation de la fonction RH

Cette évolution est également en train d’impacter la Fonction RH. Avant 2008, les RH étaient intégrés dans le leadership et le management. Depuis son arrivée, fin 2013, elle a mis en place une unité RH globale, composée de 235 personnes dans le monde. «J’ai aussi nommé des HR Business Partner. L’idée était d’avoir un responsable RH qui siège au comité de direction de chaque fonction. Nous avons ensuite renforcé les centres d’excellence, soit la rémunération, la formation et le talent management. Enfin, elle créé un «Project Management Office + Policies». Elle explique: «Dans une organisation internationale de 34000 personnes, les projets RH doivent avoir une bonne visibilité. Cette unité a par exemple introduit un processus de revue des salaires au niveau mondial, le 1er processus de «Talent Review Bottom Up» en 2014 et des entretiens d’évaluation».
 
A noter qu’elle ne dispose pas encore de système d’information RH (SIRH): «Nous travaillons encore avec des fichiers Excel», sourit-elle. Ce manque de ressources est le reflet des marges assez faibles de ce secteur d’activité. «Au niveau mondial, seulement 1 pour cent de nos coûts sont consommés par la fonction RH», assure-t-elle. Pour contrer cette situation, la société encourage la mobilité interne. «Cette mobilité implique de montrer l’exemple. Notre HR Business Partner européen pour les ventes et les marques vient du Mexique», illustre- t-elle. En revanche, cette nouvelle organisation RH, «beaucoup plus centrée sur le business, nous permet d’avoir plus d’influence sur l’organisation».
 
Avant d’entrer chez Triumph International, Emmanuelle Roger a œuvré comme consultante chez Qualintras à Genève, spécialisée dans la mesure d’engagement des collaborateurs. Son directeur, Benoît Moransais, se souvient d’une consultante «intellectuellement brillante avec une bonne vision hélicoptère». «Comme tous les bons consultants, ils partent après trois ans», regrette-t-il aujourd’hui. Emmanuelle Roger a grandi en Haute-Savoie, à Courchevel. Ses parents tiennent un magasin de sport. Elle se souvient: «Dès mon plus jeune âge, j’ai vendu des articles de ski à une clientèle internationale. Mes parents ont beaucoup bougé: Avoriaz, Méribel et le Val Thorens.» Après les pistes de ski et la clientèle fortunée, elle étudie dans une école de commerce à Reims, puis effectue un Master en Finlande. Elle décroche son premier emploi chez une filiale de British Telecom (BT) dans la banlieue de Londres, où elle se spécialise dans le conseil et les processus de change management.
 

«J’essaie de vivre au jour le jour»

Sa première expérience RH, toujours chez BT, sera la responsabilité des programmes de jeunes diplômés et des jeunes consultants. «Notre département a connu une forte croissance, passant de 30 à 300 collaborateurs». En 2006, pour contrer un marché de plus en plus concurrentiel, la filiale est intégrée dans la maison mère BT. Elle saisit l’occasion pour faire le point. Après neuf ans de fidélité à British Telecom, elle ressent le besoin de changer d’air. Elle opte donc pour un retour aux sources et décroche un emploi chez Qualintras à Genève, où elle devient consultante en changement stratégique. Son avenir? «C’est difficile de se projeter dans un futur lointain. J’essaie de vivre au jour le jour. Je me sens très bien ici, autant sur le plan professionnel que personnel». Etablie à Zurich, elle nous confie qu’elle va se marier cet été. Un large sourire illumine son visage. Ses yeux rayonnants valent toutes les affiches de femmes légèrement vêtues qu’on aperçoit derrière elle.
 

 

Bio express

  • 1998 Master en Business de l’Ecole supérieure de commerce, Reims
  • 1998 Master en Business de l’Université de Technologie d’Helsinki (TKK)
  • 1999 Programme de jeune diplomés chez Syntegra (Groupe British Telecom)
  • 2007 Consultante chez Qualintra
  • 2013 Global Head of HR Triumph International

 

 

commenter 0 commentaires HR Cosmos

Marc Benninger est le rédacteur en chef de la version française de HR Today depuis 2006.

Plus d'articles de Marc Benninger