Une leçon de management
Entre les lignes, on comprend aussi que cette lente agonie a fait tomber des masques. Il acquiesce: «Oui bien sûr. Les épreuves révèlent les hommes. Ils étaient nombreux, jeunes ou moins jeunes, à sauter à l’eau dès les premières secousses. Mais on ne peut pas leur en vouloir. Ils avaient des vies de famille, des dettes hypothécaires et des leasings à honorer. D’autres abhorrent le chaos ou ne veulent pas être assimilés à la débâcle. Je les comprends.» Ici aussi, Stéphane Haefliger laisse décanter l’affaire et en tire une leçon de management: les plans de rétention ont peu d’effet. Malgré des primes mensuelles élevées et un an de travail garanti, la majeure partie des collaborateurs concernés a préféré quitter leur emploi. Il conclut: «La stabilité de l’environnement, une culture d’entreprise saine, un management inspirant sont les vrais vecteurs de la rétention. Tout le reste n’est que mauvaise littérature d’aéroport.»
Venons-en au dénouement de l’affaire. En septembre 2014, un repreneur des actifs sains de la BPES s’annonce: ce sera la CBH – Compagnie Bancaire Helvétique. Stéphane Haefliger est au bout du rouleau. Il a investi toute son énergie dans l’accompagnement du mourant. Son avenir professionnel semble compromis. Il se souvient: «En tant que porte-parole, j’ai rédigé le communiqué de presse annonçant la reprise vers les 23h30. Le lendemain matin, le CEO de CBH m’appelait pour me proposer le poste de DRH.» Le salaire de son abnégation? «J’ai beaucoup appris durant cette période. J’ai aussi perdu passablement d’illusions et je saisis mieux aujourd’hui la difficulté du métier de DRH. Au moment de la faillite, les amitiés se déchirent, les alliances se brisent et les collaborateurs licenciés deviennent des créanciers de la masse en faillite. Jusque-là, ils vous appréciaient. Après, ils vous haïssent. En restant dans un navire qui coule, vous cristallisez toutes les peurs, toutes les angoisses, toutes les critiques, tous les manquements de l’organisation. Vous êtes comme foudroyés par la situation.»
Le voilà donc réinstallé dans un costume de DRH. Son nouveau livre commence d’ailleurs par une série de billets qui aideront les managers RH à ancrer leur posture. Son discours est bien rôdé: «Je me considère comme un partenaire stratégique interne, quelqu’un qui génère du lien, de la cohérence et du sens. Cela dit, le DRH doit aussi garder un regard critique sur sa pratique; que d’apprentis-sorciers et de pensées magiques dans nos métiers», soupire-t-il. Des exemples? «La mode du coaching. En instrumentalisant les coachs, l’entreprise a cherché à faire porter au collaborateur les dysfonctionnements de l’organisation.» Il prédit aujourd’hui la fin de la transparence à tout prix et un retour au jardin secret. «Les techniques de management qui mobilisent l’intimité des collaborateurs sont allées trop loin». Il milite aussi pour un retour des sciences humaines dans les écoles de management. Il cite Vincent De Gaulejac, Yves Clot et Jean-François Chanlat.
De Karl Marx à KPMG
Il a dédié son dernier livre à ses parents. Son père Antoine Haefliger tient un commerce de fruits et légumes à Saxon. Sa mère Josiane le seconde habilement dans l’affaire. «J’ai été pensé, conçu, élevé et formé pour reprendre le commerce familial», raconte Stéphane Haefliger. De son père, il hérite le sens du contact humain. De sa mère, fille d’instituteur, la rigueur et la minutie. Le jeune Stéphane lit beaucoup. Après sa maturité au Collège de St-Maurice, il s’inscrit en sciences économiques à l’Université de Lausanne, mais bifurque rapidement vers les sciences humaines, la sociologie, la psychologie et l’ethnologie. Il a vingt ans et perd déjà son père. «Nous avions eu l’occasion de discuter de mon avenir. Je lui ai parlé de mon souhait de poursuivre mes études. Il a accepté mon choix. Le clan espérait que je reprenne le commerce familial.»
Le travail universitaire le passionne. Il rédige cinq mémoires en sciences sociales, tissant une réflexion autour du pouvoir, de la communication et du management. Après Pierre Bourdieu et Karl Marx, il entre à la BCV (Banque cantonale vaudoise). «Ce fut mon déniaisage professionnel, ma rencontre avec la vérité du terrain.» A l’aise dans les travées du pouvoir, Stéphane Haefliger est nommé conseiller personnel de la Conseillère d’Etat Jacqueline Maurer. Il sera sa plume durant trois ans. Il entre ensuite chez KPMG, où il découvre le métier sans pitié du consulting. Six ans plus tard, aguerri aux outils RH et aux semaines de 65 heures, il est appelé pour réorganiser le département RH de la Banque Privée Espírito Santo à Lausanne. Il monte à bord, le cœur sur la main.
* Stéphane Haefliger: «DRH et manager, levez-vous! Vie et mort des organisations», Editions Management et Société, 2017, 232 pages.
Bio express
- 1993 Master en sciences politiques, Lausanne, Paris I Sorbonne, Genève
- 1999 Conseiller personnel de Jacqueline Maurer, Conseillère d’Etat
- 2001 Responsable du Consulting, KPMG Romandie
- 2006 DRH Banque Privée Espírito Santo SA., Lausanne
- 2015 DRH CBH – Compagnie Bancaire Helvétique.
Vernissage
Stéphane Haefliger présentera son nouveau livre le jeudi 27 avril 2017 à l’EPFL. Soirée organisée par le Centre d’Etudes Economiques et comptables vaudois (CEECVD), en partenariat avec HR Today. Entrée libre, inscriptions obligatoires: conference@ceec.ch