Si quelqu’un vous dit: «Appelez votre manager!» ou «Je veux parler à votre manager!», c’est que la situation dans laquelle vous vous trouvez est en train de se tendre...
Le mot semble simple. Il peut être un verbe, un titre, un rôle ou une tâche. On l’emploie tous les jours, sans forcément se rendre compte de sa signification. Ici aux Etats-Unis, le mot «manager» peut aussi adopter une toute autre signification, plus cachée, plus discrète, mais qui traduit pourtant un fort trait culturel. Lorsqu’il est employé dans une injonction ou une phrase particulière, «manager» prend une dimension bien différente.
Quelle est cette expression mystérieuse? Si quelqu’un vous dit: «Appelez votre manager!» ou «Je veux parler à votre manager!», c’est que la situation dans laquelle vous vous trouvez est en train de se tendre... Et quelquefois votre interlocuteur prendra les devants en disant: «Je dois appeler mon manager!». L’appel au «manager» est un signe culturel fort. Celui de la présence d’une hiérarchie puissante et d’une division des tâches qui n’est pas sans provoquer quelques difficultés. Les entreprises américaines sont particulièrement hiérarchisées. Parfois l’impression donnée par leur style de communication est trompeuse. S’il est beaucoup plus informel, détendu, voire «casual», il cache parfois une réalité bien différente. L’entreprise US a en effet besoin d’une hiérarchie forte (à défaut de pesante) pour s’assurer de sa performance. Pourquoi? Car la culture «business» américaine pousse à la précision, le travail en profondeur et à la spécialisation. Et – ultimement – à la simplification, «fast», «global» et «straight to the point». Pour atteindre un niveau optimal de rapidité et de précision dans l’exécution, il faut donc simplifier au maximum les tâches, et par là même diviser les responsabilités. De cette façon, on augmente mécaniquement la réactivité et la précision tout en conservant la dynamique.
Ce modèle est parfaitement efficace lorsque tout va bien ou que tout a été anticipé. Par ce biais, les entreprises américaines exécutent plus vite que bon nombre de leurs consœurs. Elles planifient, affectent les ressources et passent à l’action d’une façon quasi militaire. Ceci est autant valable dans une petite entreprise que dans une multinationale, parce que ce modèle de pensée et d’organisation est en phase avec la culture du pays. Mais, et il y a un gros «mais»... Lorsque l’employé se retrouve face à une situation non anticipée et non scénarisée (option 1, 2, 3 ou 4), la machine a de forts risques de se «gripper». Or dans un contexte économique de plus en plus flou et complexe, dans un monde de plus en plus connecté, mais aussi de plus en plus rapide, les situations imprévues sont beaucoup plus courantes. Alors que l’organisation a tout fait pour préparer ses équipes à répondre à toutes les situations, elle n’autorise parfois pas à «innover» en cas de situation inconnue. Parce que l’innovation peut remettre en cause les scénarios planifiés. Dans ce cas, l’appel au «manager» reste donc la seule option possible.
Et la boucle est bouclée. Le manager devient alors le tenant de la réponse «non planifiée», ou celui qui pourra apporter un élément d’innovation, jusqu’à atteindre une limite qui justifiera l’appel à son «manager»... Ce modèle permet donc de gérer les situations hors normes, tout en conservant la rapidité d’action pour les situations normées. Encore une fois, ceci est parfaitement efficace. Jusqu’au jour où la situation anormale devient la norme! C’est pour cela que certaines entreprises – poussées par des chercheurs en management – commencent à s’interroger sur leurs modèles hiérarchiques, ses raisons et ses conséquences. Beaucoup de travaux sur la délégation des tâches viennent des USA, et ce n’est pas un hasard... Dans ce contexte, les salariés habitués à se confronter à la complexité et à répondre par une innovation et une prise de risque disposent d’un vrai avantage concurrentiel. Pour autant que l’entreprise – et sa hiérarchie – les acceptent.