Il arrive parfois que l’actualité nous interpelle indirectement sur notre beau métier de responsable des ressources humaines. Et quelques fois, elle est un peu dérangeante. Nous voici à Limoges, en France. Récemment, cette ville de 140 000 habitants a défrayé la chronique pour une information pour le moins surprenante.
Le responsable de l’aéroport, poste ô combien visible et stratégique dans une commune de cette taille, a été licencié pour avoir menti lors de son recrutement, et pour n’être en fait qu’un usurpateur. Voici donc un cas avoué, et médiatisé, de mystification lors d’un processus de recrutement. Les entreprises qui sont confrontées à ces cas ont plutôt tendance à rester discrètes.
Rien que de bien «classique» me direz-vous? Peut-être. Mais là où l’histoire devient «amusante», c’est que l’employeur ne va pas porter plainte, parce qu’il n’a subi aucun préjudice… En effet, selon les informations recueillies, les 80 subordonnés du Directeur le trouvaient plutôt bon manager et assez efficace.
Un audit avait d’ailleurs confirmé ces points. Cette histoire nous confronte donc à plusieurs questions existentielles, et pourtant fondamentales: Commençons par nous interroger sur le «comment». Comment cette personne a-t-elle pu passer avec succès au travers du processus de recrutement?
La réponse – basée sur des suppositions – semble simple. Nous sommes en fait en présence d’un menteur doué, alliant le culot et l’allant, et capable de mystifier des experts techniques, et des dirigeants confirmés. Ce qu’il faut remettre en question ici, ce sont les techniques et le processus de recrutement, dont le système de vérification des références. Rien de bien compliqué me direz-vous. Voici une réponse rationnelle à un fait précis! Au DRH de se mettre au travail pour installer les garde-fous nécessaires.
Deuxième question qui peut nous titiller: pourquoi ce candidat s’est-il comporté de la sorte? Est-ce une attitude pathologique, une volonté de nuire ou un besoin impérieux de travailler? La réponse à cette question peut nous emmener sur le terrain de la maladie ou sur celui d’une réelle motivation. Et en cherchant plus loin, on peut soulever des questions encore plus dérangeantes …
Ce recrutement a débouché sur la sélection d’un candidat qui s’avère – selon les déclarations – efficace dans son travail. Mais si on se réfère aux nombreuses formations sur le recrutement, aux conseils des experts ou aux écrits des professionnels, un processus de recrutement est justement indispensable pour sélectionner LE bon candidat, celui qui correspond au profil et qui dispose des compétences nécessaires.
Comment devons-nous évaluer ce processus de recrutement qui – alors qu’il part sur de très mauvaises bases (le mensonge) – se termine cependant par la sélection d’un candidat efficace? Doit-on accuser le processus de recrutement qui n’a pas pu mettre à jour la supercherie, ou se demander pourquoi la supercherie débouche finalement sur une certaine forme de performance dans le travail.
En allant encore plus loin, un esprit mal intentionné pourrait même se demander si l’attitude de notre candidat menteur ne démontre finalement pas une certaine forme de compétence… Et pour terminer notre raisonnement par l’absurde, nous pourrions alors nous demander si le processus de recrutement était notoirement inefficace, ou inconsciemment efficace?
Cette petite histoire devrait nous interpeller. Parce qu’elle nous montre combien notre environnement de travail est basé sur la confiance, et peut parfois s’avérer fragile. En effet, alors que nous nous efforçons quotidiennement d’optimiser nos démarches RH, d’objectiver nos processus de sélection, de rationaliser la mesure de la performance, de «normer» les compétences clés, d’encadrer le savoir-être ou de rendre tangibles la plupart de nos initiatives, un événement vient nous rappeler que nous avons, avant tout, à gérer de l’irrationnel, de l’imprévu, de l’intangible et finalement de l’humain.
Pour conclure, rappelons qu’en 1914, le Maréchal Joffre mutait les officiers jugés inefficaces à Limoges. Le verbe limogé venait d’être inventé. C’est ce qui vient d’arriver à notre Directeur affabulateur.