Conseils pratiques

Métro, boulot, prison

Certaines entreprises engagent délibérément des détenus en fin de peine. Un acte civique, selon leurs propres dires. 
Tandis que certaines entreprises se montrent de plus en plus strictes en matière de sélection de personnel, allant jusqu’à demander aux candidats de produire une attestation de non-poursuites ou un extrait de leur casier judiciaire, d’autres font la démarche exactement inverse: elles engagent délibérément des condamnés en fin de détention.
 
Certes, elles ne sont pas nombreuses et les emplois proposés sont réputés ingrats: tri des déchets, gros travaux d’entretien et de réparation, manutention, etc. Quant aux salaires, ils tournent autour d’une vingtaine de francs l’heure. Mais les promotions sont possibles. Un ancien détenu a été promu machiniste au sein de l’entreprise de recyclage Serbeco à Satigny, par exemple. Soit une augmentation de quelque 30% par rapport au salaire initial.
 
Une main-d’oeuvre appréciable
Au dire de la direction de Serbeco, qui emploie plusieurs détenus en fin de peine, cette main-d’œuvre fournirait «parmi les meilleurs collaborateurs qu’on puisse trouver». «Un acte civique», selon le peintre-décorateur genevois Edmond Blanchut, qui fait également appel à cette catégorie de travailleurs. A l’office de l’application des peines et mesures du canton de Neuchâtel, on parle même de «choix indiscutablement noble».
 
Toutes les entreprises interrogées ont déclaré qu’elles n’avaient qu’un seul critère de sélection: pas de délinquant sexuel. Cette restriction est souvent, pour le directeur RH, une question de «limite personnelle». Mais à part cela, pas de conditions particulières. «Je sais que ces personnes ont été condamnées, mais je ne veux pas connaître les détails. Qu’est-ce que cela changerait? Ce qui compte, c’est que nos équipes soient au complet le matin!», déclare-t-on chez Serbeco.
 
Dans le canton de Neuchâtel, entre dix et quinze personnes travailleraient hors de prison tout en étant encore sous l’effet d’une condamnation. Ils seraient tout aussi nombreux à Fribourg et à Genève. Mais il est difficile de donner des chiffres précis. Car tous les condamnés en fin de peine qui travaillent hors murs ne sont pas suivis par les services de l’Etat. Il arrive d’ailleurs que l’employeur ne soit pas au courant de la situation, puisqu’on ne demande généralement pas au candidat qui se présente à un entretien de recrute- ment s’il est sous le coup d’une condamnation!
 
Une fois la peine purgée, le condamné retourne souvent chez son ancien employeur. C’est l’une des constatations faites par l’assistante sociale Nadia Merotto dans un mémoire réalisé en 2009 à la Haute école spécialisée du Valais. L’agent de probation jouerait un rôle déterminant. Il agirait comme un facilitateur, un négociateur dans les contacts avec les employeurs potentiels. En 2008, c’est justement sur la recommandation du service de probation que l’entreprise jurassienne de construction Sabag a engagé Yves, 28 ans. «C’était un peu pour lui rendre service, mais cela tombait bien, car nous étions en période de surcharge, se souvient la responsable, Estelle Varé. Et puis ce n’était normalement que pour un mois. Certaines personnes disaient qu’il n’était pas fiable. Mais nous n’avons pas vraiment rencontré de problème. Au bout d’un certain temps, il a demandé à rester, puis il a voulu se former et il a obtenu un certificat fédéral de capacité. Il n’a manqué le travail qu’une seule fois sans raison, et là, je l’ai immédiatement appelé pour lui dire: ramène tes fesses! Nous sommes une petite entreprise de treize personnes très soudées, je pense que ce cadre l’a aidé à se remettre sur le bon chemin.» Cependant, au quotidien, tout n’est pas facile: avec le recul, la hiérarchie constate que l’homme est resté un peu «rebelle».
 
Savoir jongler avec les horaires
L’organisation du travail non plus n’est pas toujours simple, car les régimes pénitentiaires de fin de peine sont assortis de conditions plutôt strictes. Ce qui n’est «pas très compatible avec des horaires souples et irréguliers», selon l’office de l’application des peines et mesures du canton de Neuchâtel. «Il ne faut pas espérer pouvoir téléphoner à la personne pour qu’elle remplace au pied levé un collaborateur malade», précise Edmond Blanchut. Enfin, l’employeur peut être tenu de signaler immédiatement aux autorités toute absence de l’employé. Serbeco a décidé de déléguer l’administration et la gestion de cette main-d’œuvre à un maître socioprofessionnel. Il est employé par l’Etat, mais occupe un bureau au sein de l’entreprise, qui prend en charge à 50% de son salaire.
 
Il faut savoir qu’il existe plusieurs régimes pénitentiaires: emploi dans un atelier interne, travail à l’extérieur (à condition de rentrer le soir en prison), puis, en toute fin de peine seulement, travail et vie hors murs. A noter que les entreprises interrogées affirment ne faire aucune différence avec les autres collaborateurs. «Les salaires sont fixés en fonction des postes et tout le monde porte les mêmes vêtements de travail», dit-on ainsi chez Serbeco.
commenter 0 commentaires HR Cosmos

Typographe de premier métier, Francesca Sacco a publié son premier article à l’âge de 16 ans pour consacrer toute sa vie au journalisme. Elle obtient son titre professionnel en 1992, après une formation à l’Agence télégraphique suisse, à Berne. Depuis, elle travaille en indépendante pour une dizaine de journaux en Suisse, en France et en Belgique, avec une prédilection pour l’enquête.

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