Monté en puissance
L’ancien DRH de Migros Valais a réussi une brillante reconversion en politique. Elu au Conseil d’Etat valaisan en mars 2017, le libéral radical Frédéric Favre partage ici ses réflexions sur les RH et le pouvoir.
Photo: Pierre-Yves Massot/arkive.ch pour HR Today
S’il fallait recruter une locomotive pour les DRH de Suisse romande, il aurait toutes ses chances. Jeune, charmant et désormais puissant, Frédéric Favre tient toutes les cartes pour devenir une icône. Elu au Conseil d’Etat valaisan voici une année, l’ex-DRH de Migros Valais réussit un parcours sans faute. «Je le suis depuis le début. Son élection n’était pas cousue de fil blanc. Mais il a su convaincre avec ses qualités de manager, sa jeunesse et son dynamisme», analyse aujourd’hui Max Alter, patron de Migros Valais. Le soir de son élection, Frédéric Favre répondait déjà positivement à notre demande d’interview. Contacté une année plus tard, il a tenu parole malgré son agenda de ministre. Nous sommes donc allés le trouver dans la Villa de Riedmatten à Sion, siège du Département de la sécurité, des institutions et des sports qu’il dirige, seul libéral radical du gouvernement. Nous sommes en retard. Son assistante nous fait patienter dans le petit salon. Il arrive au pas de charge, la poignée de main dure comme un pain de seigle et le sourire éclatant d’un premier de classe. «Je dois repartir à 16h10, vous avez 40 minutes», lâche-t-il sans attendre. Attaquons.
Jeux de pouvoir
Quelles compétences de DRH utilise-t-il dans son nouveau rôle d’exécutif? Frédéric Favre: «L’Etat du Valais est le plus gros employeur du canton, avec ses spécificités et ses cultures. La gestion du personnel est donc un enjeu de taille. Les chefs de service viennent me voir avec des problématiques à résoudre, des processus à valider et des situations complexes à décortiquer. Il y a des décisions à prendre en matière salariale, sur la caisse de pension et en termes de recrutement. Je connais bien tous ces sujets, c’est donc un énorme avantage pour moi.» Frédéric Favre insiste également sur sa bonne connaissance des dynamiques organisationnelles. «J’ai lu Mintzberg, je connais la sociologie des organisations, les jeux de pouvoir et les différentes structures hiérarchiques. C’est un atout indéniable dans une organisation comme l’Etat du Valais, avec ses départements et ses services qui fonctionnent avec des cultures assez différentes.» Le sujet le passionne. Il poursuit: «A mon avis, les trois domaines que les DRH devraient investir pour vraiment influencer leur organisation sont la gestion opérationnelle RH, une bonne connaissance des dynamiques organisationnelles et la communication.»
«Bon client»
En politique par contre, c’est un novice. «Oui, c’est vrai. J’ai dû apprendre le fonctionnement du parlement, les règles internes de l’administration, les codes et les cultures. J’ai également réalisé qu’un Conseiller d’Etat est fortement médiatisé. Nous sommes le visage du gouvernement et la population exige des comptes en direct. Nous sommes d’ailleurs plus exposés que les CEO des grandes entreprises suisses. Pierre Maudet, Pierre-Yves Maillard... tout le monde les connaît et a un avis sur eux», détaille le ministre. Pour sa part, que cela soit radio, TV ou presse écrite, il est un «bon client», comme on dit dans le milieu des journalistes. Facilement atteignable, son parler est simple et direct et ses interventions souvent tranchantes. «Je ne suis pas parti de rien, précise-t-il. J’ai été arbitre principal de hockey en ligue national A. J’ai appris à gérer la pression du public et à défendre des décisions parfois impopulaires.»
Le soir précédent notre interview, il passait sur le gril de Darius Rochebin au téléjournal. Vice-président du comité de candidature des Jeux olympiques d’hiver «Sion 2026», Frédéric Favre défendait en direct l’enveloppe de 100 millions de francs qui passera au vote du peuple valaisan le 10 juin prochain. Il est donc en campagne. Et les coups pleuvent de tous les côtés. «Il y a quinze jours, j’étais aux jeux de PyongChang et la RTS m’appelait pour un direct à cause de l’affaire du baril de mazout sur le Cervin. Que voulez-vous, soupire-t-il, cela fait partie du jeu. Parfois dans le secteur privé, vous avez aussi des fournisseurs qui font des erreurs... Mais je ne m’en plains pas, c’est mon job de gérer ces situations de crise», sourit-il, philosophe. Mais n’est-il pas en train de se faire phagocyter par ces jeux de 2026? Il répond: «J’ai plusieurs dossiers importants en cours, c’est vrai. J’ai notamment remplacé un préfet et deux chefs de service, dont la première femme cheffe de service à temps partiel. Mais les médias s’intéressent uniquement aux jeux. Et comme je réponds à toutes leurs sollicitations, on me voit beaucoup sur ce sujet.»
«Pas de bla-bla»
A l’aise devant un micro et franc du collier, Frédéric Favre incarne une nouvelle génération de politiciens valaisans. «Frédéric est quelqu’un de très ancré dans la pratique: il n’est pas là pour faire du bla-bla. C’est un hyper actif pragmatique. Et il sait challenger, que cela soit un petit chef ou un directeur», analyse Ludovic Bruchez, président d’HR Valais, qui a côtoyé Frédéric Favre lorsque ce dernier siégeait encore au comité de la section valaisanne d’HR Swiss. Autre indication du style Frédéric Favre: le jour du premier tour de l’élection au Conseil d’Etat, il était sur les pistes de skis avec sa famille. Alors que traditionnellement, les candidats passent la journée au stamm du parti pour suivre l’annonce des résultats en direct. Pareil lors de son élection, il est resté chez lui avec ses trois enfants jusqu’à l’annonce des résultats de la dernière commune. Depuis son élection, «il est resté simple et abordable, comme je l’ai toujours connu», assure Ludovic Bruchez. Frédéric Favre a d’ailleurs appuyé sa campagne sur cette authenticité et ce dynamisme, une posture qui tranche avec la vieille garde valaisanne et démocrate chrétienne. «Pourquoi changer maintenant? C’est pour cela que j’ai été élu et c’est comme cela que je suis heureux», confesse-t-il.
Boulimique de la formation
Il a aussi un côté inoxydable. Multiple champion suisse de karaté, Frédéric Favre assure avoir atteint «un certain niveau de maturité» depuis qu’il a décroché sa deuxième Dan (il en a cinq aujourd’hui). «Tout ce que j’entreprends, je le fais par envie. Je donne le meilleur de moi-même et le résultat importe moins que le chemin», poursuit-il, zen. Avant d’ajouter: «L’important, c’est de gagner, mais ce n’est pas grave si on perd.» Son parcours professionnel est impressionnant. Employé de commerce à la distillerie Morand à 20 ans, il entre ensuite chez Coop où il s’occupe d’assurances sociales avant de devenir directeur RH d’une enseigne de grande distribution. A 30 ans, il crée une société de conseils en ressources humaines, HRplus sàrl, dont il est toujours l’actionnaire majoritaire. Il entre ensuite chez Migros Valais, où il devient DRH en 2014. Mais c’est surtout sa boulimie de formation continue qui impressionne. Après deux brevets RH (assurances sociales et ressources humaines), il décroche un Master RH à la HEG Arc de Neuchâtel, enchaîne avec le diplôme fédéral RH (il est le premier romand à l’obtenir), puis avec un doctorat en gestion des affaires à l’IAE de Lyon.
Originaire de Sierre et né à Genève, le jeune Frédérice Favre grandit à Dorénaz (canton du Valais), avec ses parents et ses deux sœurs. Son père est postier, avec une sensibilité syndicale, sa mère employée de commerce. «Elle est décédée il y a deux ans, après plusieurs opérations à cœur ouvert. Je remercie la médecine d’avoir prolongé sa vie si longtemps», confie-t-il. De son «enfance heureuse, dédiée aux études et au sport», il se souvient de ses week-ends «partagés entre la patinoire de Martigny et les tatamis du club de karaté de Sion». Lui-même fonde une famille en 1998 et s’installe à Vétroz avec son épouse, éducatrice de l’enfance. Ils ont aujourd’hui trois enfants. Pendant notre entretien, il reçoit un SMS, dicté par sa fille cadette. Il rit aux éclats: «Elle vient de m’annoncer qu’elle a bien fait sa sieste et qu’elle est prête pour le restaurant de ce soir.»
Très attaché à sa famille et à son équilibre de vie, il segmente toutes ses activités avec discipline. Debout à 6h00, il effectue chaque semaine quatre à cinq heures de sport, tôt le matin ou le week-end. «Frédéric est une personne agréable à côtoyer, poursuit Max Alter. Il est très professionnel, mais aime aussi prendre du bon temps». En juin 2017, lors de la fête officielle que la commune de Vétroz a organisé en son honneur, le président du gouvernement valaisan Jacques Melly a utilisé le mot «espiègle» pour brosser le portrait de Frédéric Favre. C’est sans doute le dernier ingrédient du manager RH devenu influent: une saine dose d’humour et le rire facile.