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No HR, No Future

Dans une précédente contribution parue dans cette même rubrique, j’invitais la profession à en finir avec l’idée de «ressource» et à dépoussiérer un appareillage théorique qui semble indubitablement vieillissant, plus tout à fait en phase avec les nouvelles réalités du monde du travail. Car sur fond de révolution numérique, nous mesurons tous chaque jour combien les organisations professionnelles, pour continuer à subsister, n’ont d’autre option que de s’adapter à ces nouvelles réalités, de prendre le train de la digitalisation et d’engager les mutations profondes que celle-ci impose (informatisation des données, dématérialisation des supports, etc.).

Consubstantiellement à celle des outils et techniques, la révolution est également organisationnelle. Depuis vingt ans, au fil de ses déclinaisons successives, le modèle de la start-up ne cesse de bousculer les rapports de l’individu à son environnement professionnel: télétravail, scénarisation ludique des espaces, incitations à l’engagement personnel sous couvert d’une revendication du travail-passion ... Le tout aboutissant, comme chacun sait, à un effacement tendanciel de la frontière entre vie privée et vie professionnelle. En parallèle, les structures organisationnelles évoluent elles aussi au profit de hiérarchies plus plates et plus réticulaires. Ici et là, dans des entreprises revendiquées «libérées», on expérimente même l’absence de management, le démantèlement des chaînons bureaucratiques usuels (dont les RH?), l’auto-motivation des salariés par leur liberté d’organisation ...

Probablement conséquence et cause de ces mutations, émerge une évolution des comportements et des normes professionnels. Les nouvelles générations de travailleurs, «Y» ou «Z», enfants de l’ère digitale, ne cessent de déboussoler les entreprises par leur nomadisme, leur refus relatif des sécurités et avantages qui ont fait tout au long du siècle passé le prestige et l’attrait des grands groupes auprès de leurs aïeux.
Dans cet univers digitalisé, où les organigrammes s’aplatissent et où les individus papillonnent au gré de leurs desideratas, les soubassements traditionnels de la pensée RH perdent petit à petit de leur pertinence et de leur sens. Management, ascension hiérarchique, carrière... Des produits du passé, le grain à moudre d’une génération grisonnante?

A mon sens, il convient aujourd’hui d’accepter la désuétude périlleuse de bon nombre des cadres de pensée qui ont naguère façonné la discipline, et cela, pour mieux en envisager l’avenir. A bien des égards, quand je regarde les débats, pratiques et orientations actuels de la profession, je ne peux m’empêcher de penser que les RH ont à chaque fois un train de retard et qu’elles courent après leur ombre. Occuper une place plus «stratégique» auprès du Board? Que diable! Ouvrons les yeux: ainsi que le souligne mon ami et mentor Maxime Morand, voilà belle lurette que ce sont les CFO qui ont pris le pouvoir dans les organisations!

A l’heure du grand numérique et des nouveaux modes organisationnels qui en découlent; face par ailleurs aux postulats transhumanistes des poids lourds de la Silicon Valley, qui soulèvent de légitimes questionnements éthiques, la perspective d’un monde du travail sans réel contrepoids RH n’est pas des plus réjouissantes.

Pour reprendre du pouvoir, la profession doit être motrice et non plus spectatrice des mutations qui s’opèrent. Peut-elle jamais y parvenir sans l’appui d’une idéologie forte et novatrice? Je prêche pour l’avènement d’une Seconde Ecole des Relations Humaines, un mouvement intellectuel dont la place de l’humain dans les structures resterait et l’objet, et la préoccupation.

A propos de l’auteur

Cette rubrique est ouverte à des contributeurs qui viennent d’horizons et de métiers différents. La chronique de ce numéro est signée par Raphaël Bennour. Ancien cadre RH d’une grande banque privée de la place genevoise, Raphaël Bennour dirige le groupe CAVEA (enseignes Rhônalia et Vinograf, actives dans la distribution de vins et spiritueux haut de gamme) qu'il a co-créé en 2009. Consultant indépendant depuis 2016, il accompagne aussi les entreprises du secteur bancaire dans les défis actuels de la filière (digitalisation, marketing de l'offre, conduite du changement).

 

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Raphaël Bennour, ancien cadre RH d’une grande banque privée de la place genevoise, dirige le groupe CAVEA (en­ seignes Rhônalia et Vinograf, actives dans la distribution de vins et spiritueux haut de gamme) qu'il a co­créé en 2009. Consultant indépendant depuis 2016, il accompagne aussi les entreprises du secteur bancaire dans les défis actuels de la filière (digitalisation, marketing de l'offre, conduite du changement).

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