"Notre alimentation détermine clairement nos performances"
La nutrition s'est imposée ces dernières années comme élément-clé dans le domaine de la santé au travail. Mais quel intérêt les entreprises ont-elles réellement à promouvoir une alimentation saine auprès de leurs collaborateurs? Et quelles mesures concrètes peuvent-elles prendre? Les réponses de Jacqueline Blasco-Luciani, diététicienne, coach et auteur d'un Dossier HRM intitulé "La puissance du bien manger".
Un petit déjeuner trop pauvre va engendrer somnolence et baisse de la vigilance, une hydratation insuffisante perturbe le cerveau. Photo: 123RF
Dans l'imaginaire collectif, l’alimentation est plutôt associée à la sphère privée; depuis quand figure-t-elle parmi les préoccupations des managers?
La communauté internationale a reconnu le lieu de travail comme site approprié de promotion de la santé dès 1950 puis l’a déclaré officiellement en 1995. Les axes choisis ont été d’abord les risques et maladies professionnels, la sécurité et l'adaptation des postes de travail. Ont été ensuite traités les addictions, le tabac, les maux de dos, etc. Et c'est naturellement que la nutrition s’est imposée ces cinq dernières années. Les études ont démontré l’impact de la nutrition-santé avec une telle évidence que le cadre d’aujourd’hui ne peut l’exclure de son management.
Quels avantages les patrons retirent-ils de leur préoccupation pour l'alimentation de leurs employés?
Notre alimentation détermine clairement nos performances physiques et intellectuelles! Elle contribue au bien-être, à la prévention des pathologies (obésité, diabète, hypertension), à l’amélioration de la qualité du travail et à la réduction de l’absentéisme. Un petit déjeuner trop pauvre va engendrer somnolence et baisse de la vigilance (donc augmenter les risques d’accident), une hydratation insuffisante perturbe le cerveau (jusqu’à 20% de moins de capacité), un repas riche en graisses animales va amoindrir la créativité, etc. C’est un levier pour une meilleure efficience collective!
Pouvez-vous rappeler quelles sont les principales bases d'une alimentation saine?
D’une façon générale, par jour, il faut manger cinq fruits et légumes, trois produits laitiers (lait, yaourts ou fromages) et féculents (pain, pâtes, riz, pommes de terre ou légumes secs), ainsi qu’une ration de viande, poisson ou œufs. Il faut modérer les matières grasses, les charcuteries et les boissons sucrées. Attention aux boissons alcoolisées: deux verres de vin maximum pour les femmes et trois pour les hommes - leur masse musculaire limite mieux l’absorption. Et surtout boire de l’eau!
En ce qui concerne l'alimentation des travailleurs, y a-t-il des spécificités?
Bien entendu, elles sont étroitement liées au métier. Une activité physique exige plus de calories, notamment en protéines (viandes et poissons) et sucres lents (féculents). Le travail de nuit doit respecter une répartition particulière (un repas à 18h, un « petit déjeuner » dans la nuit, un repas en rentrant vers 7h). Quant aux métiers avec déplacements et décalage horaire, ils demandent quelques trucs: boire deux verres (d’eau!) par heure pendant le vol atténuera les effets du décalage et limitera la somnolence à l’arrivée.
Que peuvent faire concrètement les entreprises pour améliorer l'alimentation de leurs employés?
Toute action est efficace, si petite soit-elle! Selon les effectifs et les moyens, on peut agir graduellement: faire une campagne d’affichage éducative, revoir l’offre de la restauration locale si elle existe, organiser des formations sur les thèmes de la nutrition, offrir à ses collaborateurs des consultations individuelles, etc.
Pourriez-vous donner quelques exemples de projets mis en place par des entreprises?
A Genève, un groupe industriel a mis en place une démarche santé avec cours de diététique mais aussi de yoga et de sophrologie. Toujours en Suisse, plusieurs entreprises font appel au programme PME-vital, qui les accompagne dans leur plan santé. En France, pour prévenir le surpoids ou les maladies cardio-vasculaires, certaines sociétés proposent à leurs salariés un programme de suivi alimentaire, comme PSA, dont le personnel est coaché par une nutritionniste
«Je suis ce que je mange»: les entreprises tentent-elles désormais de modeler leurs salariés en leur dictant des comportements alimentaires?
Non, car chacun peut continuer à manger ce qu’il veut, quelle que soit la tactique de l’entreprise. Pas de risque de modélisation comme avec un uniforme, un vocabulaire corporatif ou une technique commerciale. Toutefois la nutrition est un domaine hautement sensible et personnel qu’il faut transmettre avec humilité et discernement. Pour éviter que les collaborateurs ne s’insurgent contre une ingérence, il faut absolument que les motivations (performance, créativité, absentéisme) soient citées sans tabou. En effet, le collaborateur n’est pas dupe : l’employeur n’est ni sauveur, ni philanthrope. Il ne faut pas non plus qu’il y ait obligation de résultats (typiquement dans la perte de poids), pour éviter toute discrimination. Enfin, les mesures doivent respecter la sphère privée: personne ne souhaite voir divulgués – au travers d’une démarche liée à l’alimentation - ses problèmes financiers, ses croyances religieuses ou un problème d’addiction familial…
Jacqueline Blasco-Luciani
Diététicienne de formation, Jacqueline Blasco-Luciani a fait le buzz en 1985, lorsque son ouvrage « Maigrir, pourquoi, comment, quand» s’est écoulé à 80'000 exemplaires. Après avoir travaillé notamment pour un groupe hôtelier et une institution de soins, elle a créé en 2013 Elan Santé (www.elansante.ch), qui propose des prestations de formation et d'accompagnement dans le domaine de la nutrition. Elle est par ailleurs l'auteur du dossier HRM "La puissance du bien manger", qui peut être commandé ici.