«Nous avons adopté une posture beaucoup plus business»
Vice-présidente des ressources humaines à la Banque nationale du Canada (25’000 employés), Manon St-Pierre raconte ici la transformation mise en œuvre depuis la crise de 2008. Entretien en marge du Salon RH de Genève.
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Quel a été le déclencheur de cette transformation?
Manon St-Pierre: A la suite de la crise financière de 2008, face à un contexte d’affaires en changement accéléré, nous avons amorcé une grande transformation organisationnelle. Dans les années qui ont suivi, nous avons également mis en place un bureau de transformation à l’interne. Nous souhaitions accélérer notre transformation pour devenir une organisation plus adaptable, où l’on apprend en continu. Nous avons également mis en place des focus groups avec nos employés pour identifier nos défis en termes de culture organisationnelle.
En Suisse, le secteur bancaire a été fortement impacté par la crise de 2008. Le corset réglementaire s’est resserré et les métiers bancaires sont devenus très techniques. Avez-vous vécu des changements semblables?
Oui, l’impact réglementaire a été très fort et la conformité s’est resserrée. La technologie a également beaucoup contribué à changer les métiers.
Quels apprentissages avez-vous tirés de vos focus groups?
Nous les avons résumés en quatre images très simples. Un pot de mélasse: pour illustrer les décisions trop longues et difficiles à prendre. Un carré de sable: car les gens étaient pris dans leur tâche, dans leur responsabilité et dans leurs silos. Un système immunitaire: pour montrer le défi lié à l’inclusion, afin de prendre en compte tous ces nouveaux métiers qui émergent et changer notre culture qui nous limitait dans l’inclusion des profils différents. Et enfin du jello (un dessert québecois, ndlr): car nous avons besoin de casser les moules et devenir plus agiles et efficaces.
Qu’avez-vous appris de positif?
Nos employés sont très dédiés à la qualité du service. Ils nous ont également dit leur plaisir à travailler dans cette organisation, malgré les défis. Et ils ont exprimé haut et fort leur volonté d’agir eux-mêmes sur cette transformation. D’où la création du bureau de transformation à l’interne pour développer notre expertise et assurer un leadership. Au lieu de confier cette mission à des externes.
Dix ans plus tard, quel bilan?
Tout n’est pas parfait, mais nous avons beaucoup cheminé et nous sommes fières du chemin accompli. Le pouvoir de décision a été plus décentralisé et l’impact de la hiérarchie s’est réduit. Les employés qui traitent avec nos clients ont pris encore plus d’importance. Eux sont au front et c’est donc à eux de décider ce dont ils ont besoin pour satisfaire les besoins des clients.
D’autres apprentissages?
Nous avons beaucoup travaillé pour que cette transformation des métiers ait le moins d’impact possible sur la vie de nos employés. Nous avons dû par exemple procéder à certains ajustements dans la structure organisationnelle. Afin d’éviter que nos employés vivent les impacts négatifs, nous les avons impliqués dans les réflexions et ils nous ont aidé à trouver des solutions créatives pour redéployer le talent ailleurs, former et aider les gens à se responsabiliser par rapport à leur futur.
Votre organisation est-elle devenue plus agile?
Oui, définitivement. Nous avons aussi développé des méthodes agiles, en mettant en place des équipes de travail multidisciplinaire. Et nous avons utilisé le design thinking pour mettre le talent aux bons endroits, peu importe la structure. Aujourd’hui, nous travaillons de manière matricielle pour favoriser une meilleure collaboration entre les différentes unités de la banque.
Et comment a évolué la fonction RH?
Il a aussi fallu se transformer (sourire). Notre équipe RH compte près de 300 personnes et je dirige une partie de cette fonction. Nous avons mis en place du design thinking et l’approche agile. L’objectif était d’arrêter de parler un langage RH et d’avoir un langage utilisateur.
Comment ce changement a-t-il été vécu par vos managers RH? C’est un virage important. Nous avons dû arrêter d’avoir une approche «Push» pour adopter une approche où nous partons des besoins de nos employés et de nos gestionnaires. Nous avons changé le titre de notre fonction aussi: «Expérience Employé» au lieu de «Fonction RH», justement pour démontrer à quel point nous voulons avoir un impact concret dans la vie de tous les jours de nos employés. Nous sommes très innovants dans nos approches et fiers de l’être. Mais c’est une approche très différente et cela change beaucoup notre rôle d’expert, et même de généraliste. Nous avons adopté une posture beaucoup plus business. Nous impliquons nos leaders et nos dirigeants dans la création des solutions. Et eux sont aussi demandeurs. Ils nous disent: impliquez-nous, n’attendez pas d’avoir la solution toute prête avant de venir nous voir pour nous la présenter. Nous voulons participer et les développer avec vous. Bref, nous sommes sur la bonne voie pour atteindre notre ambition de bâtir le milieu le plus stimulant où travailler au pays.