Antonio Racciatti, vous avez demandé à Pierre-André Conus, ancien ingénieur chez Bobst, de piloter une nouvelle unité dédiée à l’ingénierie des processus RH ...
Antonio Racciatti: Oui, l’idée était de développer au niveau de la DRH une expertise en matière d’analyse et d’optimisation des processus de travail. En partant du principe qu’une fonction RH qui se dit «stratégique» doit être capable d’amener de la valeur ajoutée mesurable dans le fonctionnement d’une entreprise.
Pierre-André Conus, vous avez donc mis en place un PMO, pouvez-vous nous en dire un peu plus?
Pierre-André Conus: Mon premier rôle a été de coordonner tous les projets RH en cours et de m’assurer qu’ils atteignent les objectifs fixés. Puis, je me suis investi dans des projets dans l’hôpital, hors du périmètre des RH. Il s’agit notamment d’aider les services qui le demandent à trouver des points d’amélioration dans leur organisation et à les mettre en place.
Combien de projets accompagnez-vous en tout?
PAC: Nous suivons une quinzaine de gros projets. Si l’on considère les petites activités, cela varie entre 30 et 40. Et nous suivons aussi de façon régulière tout ce qui concerne le plan stratégique du CHUV 2014-2018 pour les RH. Cette veille nous permet de prioriser nos actions. Et parfois d’arrêter un projet, si le timing n’est pas bon ou si les ressources sont insuffisantes.
Quelle est votre posture dans l’organisation?
PAC: Notre vision est d’être le partenaire privilégié en matière d’organisation du travail. Nous identifions ensemble les points d’amélioration. Je dis «ensemble», car cette démarche est participative, ce sont les équipes sur le terrain qui proposent des améliorations. Notre objectif est de clarifier les rôles et les tâches de chacun et d’identifier avec eux les tâches qui pourraient être déléguées à d’autres professionnels. Aux soins intensifs par exemple, nous avons identifié des tâches à faible valeur médicale – remplir des formulaires – que nous avons pu déléguer à du personnel assistant médical, un nouveau métier que nous avons créé. Du coup, le suivi du patient est meilleur.
Quelle autre retombée significative avez-vous constaté?
AR: Il y en a d’innombrables. Je dirais même que nous ne savons plus où donner de la tête. En effet, plusieurs autres départements nous ont demandé de venir analyser des situations afin d’améliorer les structures et les processus de travail.
Des exemples?
AR: Nous avons soutenu le chef de service des soins intensifs qui devait faire face à une pénurie de chefs de clinique. De concert avec les équipes, nous avons analysé l’organisation du service et mis en place un plan d’action en 24 points permettant de trouver des solutions pour pallier à cette pénurie.
Sur quels mandats avez-vous le plus travaillé?
PAC: Nous avons remis à plat les 13 processus de la fonction RH. Mais comme dit plus haut, d’autres services ont fait appel à nous. Nous avons par exemple amélioré le processus de pré-facturation ambulatoire. Nous avons aussi réorganisé les desks d’accueil à l’intention des patients et leur famille. Nous avons également analysé un service qui souffrait d’une faible attractivité des médecins assistants. Nos suggestions ont permis de résoudre leurs problèmes de recrutement... Enfin, nous avons simulé le flux des patients en chirurgie cardiaque pour optimiser leur prise en charge. Ce qui est très innovant dans le milieu hospitalier.
Simulation du flux des patients?
PAC: Oui. En partenariat avec une société proche de l’EPFL, nous avons décrypté le parcours d’un patient à travers l’hôpital pour une chirurgie cardiaque. Nous avons ensuite modélisé l’hôpital pour recréer l’environnement, avec les blocs opératoires, les salles de réveil, les soins intensifs et les soins continus. Nous pouvons ainsi simuler les améliorations que nous souhaitons apporter dans le parcours d’un patient avant de les mettre en pratique. La valeur ajoutée de cette simulation nous a permis de retenir des idées simples et de voir que des idées a priori innovantes apportaient peu d’avantages tangibles.
Mais encore?
AR: Nous optimisons l’organisation de nos laboratoires et le flux des échantillons à analyser. Ceci a déjà un impact sur la baisse du taux d’absentéisme et sur l’augmentation du bien-être au travail des collaborateurs-trices. Le lien entre le travail d’ingénierie de l’organisation et la DRH est clairement établi.
A quoi attribuez-vous ces succès?
PAC: Nous avons repris et intégré dans nos actions les cinq valeurs du CHUV: compétences, empathie, créativité, responsabilité et transparence afin de stimuler l’ouverture d’esprit et d’encourager le changement de paradigme. Même si certaines pratiques sont les mêmes depuis 25 ans, il est possible de les changer. Notre avantage est de ne pas être médecins. Cette neutralité nous donne le droit de poser tout type de questions. Nous souhaitons amener des changements durables qui soient portés par tous.
AR: Dans le privé, lorsque vous faites de l’optimisation, c’est souvent pour réduire les coûts et faire des économies. Au CHUV, les ressources que nous libérons sont réinvesties ailleurs. Cela peut être pour le patient, pour financer d’autres projets ou des travaux de recherche par exemple.
PAC: Un autre point très important est de promouvoir l’amélioration par propagation et par l’exemplarité. Nous voulions d’abord l’appeler par «contamination», mais le terme n’est pas heureux dans le milieu médical (sourire). Dans chaque mandat qui nous est confié, nous nous appuyons sur une personne au sein de l’équipe qui va enregistrer les améliorations suggérées afin de faire grandir l’unité et à terme, de devenir autonome. L’autre dimension très importante de nos interventions est qu’elles sont sans jugement de valeur et sans complaisance. Nous n’avons aucun intérêt à prendre parti, notre seul but est de travailler avec les équipes pour que le patient puisse avoir les meilleures prestations et que les médecins et soignants travaillent dans les meilleures conditions organisationnelles.
Ce changement culturel – faire remonter les informations, parler des erreurs et changer les pratiques – a tout de même dû bouleverser les habitudes?
AR: Oui. Au début, cela a été difficile à comprendre, car la fonction RH était perçue comme étant responsable des salaires et des plaintes au sein de l’organisation... Cela a mis un certain temps pour que les gens réalisent que nous leur apportions une réelle expertise. Mais quand les gens comprennent que faire de l’organisation c’est faire des RH, la cohérence s’établit. J’ajouterais que notre fonction est perçue comme étant plutôt objective et œuvrant pour le bien de l’institution, ce qui nous a ouvert pas mal de portes. Et l’approche développée par Pierre-André est de dire: «Nous vous amenons les outils pour que vous puissiez faire vous-même ce travail d’optimisation.» C’est donc plutôt perçu comme une ouverture vers un possible.
PAC: Oui. Nous ne sommes pas focalisés sur les problèmes mais sur les solutions. Et le succès amène le succès. Les premières réussites ont fait boule de neige. Nous n’avons jamais eu besoin d’aller chercher des mandats. Ce sont parfois des petites actions qui consomment quelques heures et parfois des grands projets qui vont prendre plusieurs mois de travail. Notez que nous offrons aussi des formations, notamment dans le cadre de notre micro MBA.