La recherche en actions

Pourquoi plaider pour «plus» de femmes dans le management ne devrait pas être la priorité?

La nomination de femmes à des postes dirigeants permet-elle de réduire les inégalités? Plusieurs études récentes se sont penchées sur cette question.

Au 21e siècle, nous observons une augmentation du nombre de femmes dans la gestion des entreprises et en politique. Mais cette perforation du plafond de verre est-elle suffisante pour atteindre l'égalité des sexes? Des scientifiques, consultants ou médias avancent parfois que l’augmentation de la représentation des femmes dans les postes à responsabilité est bénéfique sur le plan économique. D’autres suggèrent des effets positifs pour l’égalité femmes-hommes, l’augmentation des femmes managers conduisant à une remise en question des stéréotypes de genre.

Ces arguments sont-ils soutenus par la recherche empirique? Le nombre croissant de femmes à des postes de direction permet désormais de conduire des analyses statistiques puissantes.  Il est ainsi possible d’intégrer dans les analyses de multiples facteurs situationnels qui peuvent fournir des informations plus nuancées sur la nature de ces postes atteints par des femmes. Au cours des vingt dernières années les recherches se sont donc penchées sur les questions du «quand» et du «pourquoi» les femmes - mais également d’autres groupes minoritaires – accèdent à ces postes. Ceci permet d’appréhender la «qualité» de ces nominations et la mesure dans laquelle elles contribuent à réduire les inégalités hommes-femmes.

Le danger de la falaise de verre

Quand est-il donc des contextes de nominations? Pour répondre à la question du «quand», des recherches menées aux États Unis, au Royaume Uni, ou encore dans des pays Européens (dont la Suisse) ont étudié les nominations de dirigeantes dans des entreprises cotées en bourse et les nominations de candidates lors des élections politiques. Ces données sont par ailleurs complétées par des études expérimentales sur le choix de managers dans des scénarios fictifs (dans des contextes organisationnels ou politiques).

Dans l’ensemble, les résultats suggèrent que les femmes, ainsi que d’autres groupes minoritaires, sont particulièrement susceptibles d'accéder à des postes de direction en temps de crise, à la suite de scandales ou d'autres types d'instabilité. Ce phénomène, connu sous le nom de «falaise de verre», décrit à la fois l’invisibilité des facteurs de «crise», dont le lien systématique avec le genre féminin ne peut être rendu apparent qu’à la suite d’analyses d’un grand nombre de cas, et la nature précaire de ces nominations susceptibles de mettre un frein à la carrière des femmes ou/et de détériorer leur santé.

Utiles en temps de crise

Quid du «pourquoi»? Les raisons menant à la falaise de verre sont multiples. Le choix d’une dirigeante peut être stratégique lorsqu’une organisation ou un parti politique est conscient de ses problèmes et cherche à signaler aux personnes qui observent l’organisation, ou aux votants qu'un changement est en cours. Par ailleurs, les femmes peuvent être perçues comme possédant des caractéristiques ou des compétences particulièrement utiles dans certains types de crise. De même, elles peuvent être sélectionnées dans des contextes où personne d'autre ne voudrait faire ce travail, car incarnant le rôle d’un bouc émissaire.

Comme illustration de ces dynamiques, nos recherches récentes ont montré que le parti conservateur aux États Unis nommait davantage les candidates femmes dans des régions où l’opinion populaire leur est traditionnellement défavorable, ce qui entraînait l'échec de ces candidates. En revanche, le parti démocrate, qui plaçait aussi leurs candidates dans des sièges difficile à gagner, voyait leurs candidates remporter certains de ces sièges précaires.

Faire ses preuves

D'autres recherches ont montré que les candidates démocrates recevaient un soutien similaire à celui des hommes, tandis que les femmes conservatrices étaient moins soutenues par leur parti. Nous avons pu constater que ces dernières étaient également plus susceptibles de quitter la vie politique suite à un échec. Cela montre que les femmes peuvent être condamnées à l'échec (le cas des conservateurs), mais qu’elles peuvent aussi être nommées parce qu'elles sont perçues comme un atout pour surmonter des situations difficiles (le cas des démocrates). De leur côté, les femmes ont aussi tendance à accepter plus facilement ces postes précaires que les hommes. Par exemple, des collègues américaines ont interviewé des PDG d’entreprises du Fortune 500 issue de différents groupes minoritaires ethniques, sexuels ou de genre. Le constat est sans appel: ces personnes recherchent des situations difficiles afin de faire leur preuve en tant que leader.

En conclusion, la quantité en soi n’est pas la solution. «Plus de femmes» n’est pas nécessairement une avancée vers l’égalité. L'exposition à des situations extrêmement risquées peut entraver la carrière des femmes ainsi que leur santé physique et mentale. Cela peut également renforcer les stéréotypes lorsque le contexte n’est pas pris en considération dans l’explication des échecs des femmes managers. Il ne suffit donc pas de nommer des femmes à des postes de direction. Les organisations doivent offrir aux femmes des conditions de travail comparables aux hommes, et si les femmes sont exposées à des falaises de verre, cela doit s'accompagner d'un soutien organisationnel pour faire face à la crise, sans quoi ces postes peuvent se transformer en véritables guet-apens.

Le cas de la Première ministre française

Un exemple récent pourrait être la recherche active d’une femme pour le poste de Première ministre en France pour le deuxième quinquennat du président Macron. Ce dernier souhaite marquer un sincère intérêt pour l’égalité femmes-hommes sans avoir montré de représentativité marquée des politiciennes pendant l’ancien quinquennat. De plus, la mission de son Premier Ministre, ou sa Première Ministre, inclue des tâches lourdes comme la crise écologique, la réforme des retraites, les inégalités sociales qui se creusent suite à la crise Covid-19 et d’autres dossiers sur lesquels Macron a connu quelques déboires. Elisabeth Borne, est nommée, suite au refus de plusieurs femmes, mais va-t-elle être en mesure de conserver ce poste à l’issue des élections législatives? De plus, un scandale est parvenu quelques jours après sa nomination suite à des accusations de viols visant le nouveau ministre des Solidarités, Damien Abad. A nous d’observer comment cette situation se développe, si cette situation devient un tremplin ou un bourbier pour Elisabeth Borne.

Reférences

  • Kulich, C. & Ryan, M. K. (2017). The glass cliff. R. Aldag (Ed.). Oxford research encyclopaedia of business and management. Oxford University Press. https://doi.org/10.1093/acrefore/9780190224851.013.42
  • Glass, C. & Cook, A. (2020) Pathways to the glass cliff: A risk tax for women and minority leaders? Social Problems, 67(4), 637–653. https://doi.org/10.1093/socpro/spz045
  • Morgenroth, T., Kirby, T. A., Ryan, M. K., & Sudkämper, A. (2020). The who, when, and why of the glass cliff phenomenon: A meta-analysis of appointments to precarious leadership positions. Psychological Bulletin, 146(9), 797–829. https://doi.org/10.1037/bul0000234
  • Robinson, S., Kulich, C., Aelenei, M. C. & Iacoviello, V. (2021). Political ideology modifies the effect of glass cliff candidacies in election outcomes for women in American State Legislative races (2011-2016). Psychology of Women Quarterly, 45(2), 155–177. https://10.1177/0361684321992046.
  • Ryan, M. (2022). To advance equality for women, use evidence. Nature, 604, p.403. https://doi.org/10.1038/d41586-022-01045-y

 

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Clara Kulich est professeure associée de psychologie sociale à l’Université de Genève. Elle travaille dans le contexte d’un fonds national suisse sur la falaise de verre en politique et dans les organisations. Ses recherches portent également sur les dynamiques identitaires et attitudinales chez des individus qui font de la mobilité ascendante en passant d'un groupe stigmatisé à un groupe davantage privilégié.

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