Dossier

Pouvoir et réseaux: un dirigeant témoigne

Président pour l’Europe, le Moyen-Orient et l’Afrique chez la multinationale américaine DuPont, le britannique Ian Hudson est un homme de réseaux. Pour HR Today, il explique comment il soigne ses relations et pourquoi le réseautage est une composante centrale de son leadership.

Comme quoi une licence en lettres mène à tout. Ian Hudson, qui dirige la multinationale DuPont en Europe, Moyen-Orient et Afrique, est diplômé de la prestigieuse université d’Oxford en Grande-Bretagne (où il a étudié le français et l’allemand). «Mon premier réseau est celui de mes anciens collègues d’université. Six d’entre nous sommes restés très proches jusqu’à ce jour. Nous sommes tous dispersés à travers le monde. Mais je peux les appeler à tout moment si j’ai besoin d’un coup de main», assure-t-il.

Pendant ses études, lors d’un séjour linguistique en Allemagne, c’est aussi lui qui coordonne les contacts dans son cercle d’amis. «J’étais l’araignée qui maintenait le clan ensemble. A l’époque, nous écrivions encore des lettres. Etre au centre du réseau vous donne la primeur de toutes les rumeurs. Le plus intéressant est de pouvoir comparer les différentes versions de la même histoire», sourit-il. Il a depuis réalisé une brillante carrière dans l’industrie chimique, avant d’être recruté par DuPont en 2011. Selon lui, trois réseaux méritent d’être cultivés. Le réseau interne à l’entreprise, le réseau externe et le réseau personnel.

Réseau interne

«J’ai démarré ma carrière chez ICI (industrie chimique) où je suis resté pendant 18 ans. Quand DuPont a acheté la division polyester d’ICI, ils m’ont proposé d’intégrer les activités d’ICI dans la nouvelle structure. Après 18 ans d’activité, mon réseau était énorme. Du jour au lendemain, je me suis retrouvé sans réseau. Le poste était important et la tâche complexe. Je devais donc me créer un nouveau réseau rapidement. Comment? DuPont m’a mis en relation avec le chef des opérations, que j’ai accompagné durant plusieurs mois pour faciliter mon intégration dans la firme.

Après un an, on m’a proposé de rejoindre le siège de la firme aux Etats-Unis. Là-aussi, l’objectif était d’agrandir mon réseau interne. J’ai fait le tour des sites de R & D et de production aux Etats-Unis. Un réseau se construit avant tout sur le terrain. Il faut aller à la rencontre des gens. Une fois que vous avez rencontré quelqu’un, cela change la relation. Ce premier contact établi, vous pouvez poursuivre avec des téléphones ou des mails.»

«Cette période de réseautage m’a notamment aidé pour comprendre l’importance qu’accorde DuPont à la sécurité au travail. C’est aussi durant cette période que j’ai collaboré avec notre CEO actuelle, Ellen Kullman. J’ai également beaucoup voyagé en Asie et en Amérique latine pendant cette période. A chaque voyage, il faut rester ouvert et aller vers les gens. Un réseau implique un minimum d’organisation. J’ai parfois de la peine à associer un nom à un visage, donc je prends des notes. C’est aussi très important de rester honnête quand votre mémoire vous lâche. Et dans la mesure du possible, j’essaie de me préparer avant d’aller à la rencontre de quelqu’un d’important.»

«Etabli à Genève depuis 2004, j’ai été nommé président de la région EMEA de DuPont en 2006. Je pense que je ne pourrais pas diriger cette région sans mon réseau. Ici au siège de Genève, j’essaie de profiter de chaque occasion pour rencontrer des gens. Je me souviens d’un dirigeant chez ICI qui mangeait toujours seul. Je m’étais dit à l’époque: «Je ne veux jamais devenir comme ça». Aujourd’hui, quand je vais à la cantine pour mon repas de midi, je m’assieds toujours à une table avec du monde. Ils sont parfois intimidés, mais avec le temps, ils ont pris l’habitude. Mais attention, comme dirigeant vous êtes sans cesse observé par vos collaborateurs. Un mot compris de travers ou un visage fermé dans l’ascenseur peuvent déclencher les rumeurs les plus folles.»

«Notez aussi que j’ai décidé d’institutionnaliser des rencontres régulières avec les employés. Une fois par mois, je réunis six à huit employés de tous niveaux confondus pour un «Focus Group». Les règles sont simples: les questions sont anonymes et on parle de tout sauf du supérieur hiérarchique direct des personnes dans la pièce. Certaines idées qui émergent de ces «Focus Groups» sont ensuite mises en exécution. Le risque pour un dirigeant est de se retrouver isolé et de ne plus sentir le pouls de sa société. Il faut donc être sans cesse à l’écoute des préoccupations des gens.»

«Nous avons également monté un programme semblable dans les pays émergents. L’objectif est de mettre en réseau nos employés de ces marchés émergents qui partagent souvent les mêmes défis. En créant le programme «DuPont Experience», nous invitons environ 60 cadres issus de nos filiales des marchés émergents durant une semaine en Europe. Ils font le tour des différents sites, suivent une formation et surtout ils apprennent à se connaître.»

«DuPont est une multinationale vieille de plus de 200 ans et compte actuellement 65'000 collaborateurs dans le monde. Il y a fort à parier qu’un problème que rencontre un manager dans un pays africain a déjà été traité ailleurs dans le groupe. Mais ces échanges de bonnes pratiques passent par le contact humain. Nous avons essayé de le réaliser avec un programme informatique qui recense toutes les questions posées et toutes les ressources à disposition. Cela ne fonctionne pas bien.

Réseaux externes

«Je cultive aussi mes réseaux externes. Je siège au comité d’une association des présidents EMEA (Europe, Moyen-Orient, Afrique). C’est très important de pouvoir échanger avec des dirigeants qui ont les mêmes responsabilités et les mêmes soucis que moi. Je suis aussi proche de l’IMD de Lausanne et membre du World Economic Forum. Il y a aussi les associations industrielles en lien avec nos activités, Europa Bio et CEFIC par exemple. Notez enfin que j’utilise très peu LinkedIn. Je n’accepte que les invitations de personnes que je connais vraiment. Car comme déjà dit, pour moi, le réseau doit se construire sur des vraies relations.

Réseaux personnel

«Mes réseaux personnels sont liés à ma vie de famille, aux écoles de mes enfants et à mon réseau social genevois. Les réseaux sportifs sont aussi importants. Ancien joueur de cricket et de rugby, je suis membre du club de golf de Divonne-les-Bains. Je joue au golf pour le plaisir mais cela m’arrive de croiser des clients sur le parcours. Est-ce que j’utilise mon réseau pour démarcher des clients? Dans certains cas, je l’utilise pour introduire deux personnes. Il y a enfin mon réseau d’amis d’école et d’université. Nous avons partagé tant de tels moments ensemble que le lien est devenu très fort. Je peux les appeler à n’importe quelle heure pour leur demander un coup de main ou simplement pour parler. Ce lien est vital.»

Réseaux et pouvoir

«Je n’associerais pas les réseaux avec le pouvoir. Le pouvoir est avant tout lié à un titre. Je considère l’entreprise comme une grande communauté. Il faut donc savoir rester ouvert et partager les points de vue. Le respect de la relation me semble essentiel. Je suis prêt à m’investir beaucoup dans une relation, mais s’il n’y a pas de retour, cela ne m’intéresse pas. Pour revenir au pouvoir, ce qui prime à mon avis, c’est la cohérence. Il faut assumer ses paroles et ses actes jusqu’au bout. Je souscris aussi à ce dicton: «Les gens oublieront ce que vous avez dit; ils oublieront ce que vous avez fait, mais ils ne vous oublieront jamais si vous les avez émus.»

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Marc Benninger est le rédacteur en chef de la version française de HR Today depuis 2006.

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