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Compétences
«Savoir tirer son épingle d’un jeu devenu très complexe»
Daniel Gröbli est le Directeur général de la Fondation La Rambarde à Pully (prise en charge d’enfants et d’adolescents en situation de crise). Il a rédigé un mémoire dans le cadre de son Master en ressources humaines et gestion de carrières des Universités de Genève, Lausanne, Neuchâtel et Fribourg.
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Vous avez mené une recherche sur les compétences des chefs d’équipe à la Fondation La Rambarde. Quelles sont les compétences prioritaires qui feront la différence au moment de nommer un chef d’équipe?
La Rambarde emploie essentiellement des éducateurs sociaux (HES). Ce sont des experts de la relation et, au travers d’activités quotidiennes mais également par des entretiens, ils activent des changements dans les systèmes familiaux en crise, notamment en réhabilitant et en développant les compétences parentales. Un éducateur ou une éducatrice chef(fe) est d’abord un professionnel expérimenté, et en cela il n’est guère différent du contremaître du secteur industriel de l’après-guerre. La compétence métier est certes nécessaire, mais n’est aujourd’hui clairement plus suffisante. Il faut désormais savoir maîtriser des tâches de gestion et d’administration; il faut pouvoir être à l’aise avec le pouvoir, accepter la solitude de la fonction et savoir décider; il faut être aussi un excellent communicateur et, enfin, avoir des compétences en gestion des ressources humaines. La fonction de chef d’équipe, véritable pivot stratégique dans l’organisation, s’exerce aujourd’hui dans un environnement très complexe. Le professionnel qui l’exerce est constamment sous la pression de différentes logiques (l’intérêt individuel de l’enfant d’une part et la logique collective de l’entreprise d’autre part. L’exigence de résultats liée aux nouvelles politiques de gestions publiques et les valeurs sociales des missions pour lesquelles l’Etat nous mandate). Nommer un éducateur chef d’équipe, c’est aujourd’hui recruter une personne qui va savoir gérer toutes ces logiques et supporter les pressions qui y sont liées. La priorité est clairement donnée à celle ou celui qui saura tirer son épingle d’un jeu devenu très complexe.
Vous notez qu’il faut différencier les compétences relationnelles d’un éducateur face à des enfants avec celles qu’il devra déployer en tant que chef d’équipe. Pouvez-vous préciser ces différences?
La compétence relationnelle du chef d’équipe à La Rambarde ne s’exerce plus envers l’usager (l’enfant ou l’adolescent) mais sur une équipe de professionnels de l’éducation sociale. Il faut être attentif à ne pas confondre le «core business», la relation de l’éducateur à l’enfant, de la compétence relationnelle du chef qui doit diriger une équipe. Le chef d’équipe doit adopter la posture du leader, il gère des conflits entre professionnels et développe les compétences de ses collaborateurs. Il est porteur de la culture de son site et des modes de communication. Freud avait parlé de trois métiers impossibles: éduquer, soigner et gouverner. L’éducateur chef doit, à lui seul, en exercer deux! La compétence relationnelle d’un chef d’équipe se développe aussi par des formations dans le «management». Ceci est encore trop peu présent dans le secteur du travail social, car encore soumis à des perceptions erronées (le social n’est pas un «business»). Et pourtant, il faut bien gouverner le social!
Parmi vos recommandations, vous évoquez les programmes de développement des compétences. Pouvez-vous nous donner les grandes lignes d’un tel programme?
British Ariways a créé un programme de formation pour 4700 chefs de premier niveau qui visait, notamment, à développer des compétences en coaching et en mobilisation du personnel. La compagnie pétrolière BP a investi pour ses chefs de station (10 pour cent du personnel) un programme de formation conséquent qui visait à donner des bases de «management» et à développer des compétences autour de la communication. Les travailleurs sociaux ont une très grande culture professionnelle de formation continue; c’est indispensable à ces métiers qui sont chargés émotionnellement. Il est désormais temps dans notre secteur de créer également des programmes de formation qui développeront les compétences en «management» et en «leadership» des chefs d’équipe. Les ponts entre les logiques d’entreprise du monde privé et les missions sociales issue de l’Etat public, ici le travail social, vont, j’en suis convaincu, être de plus en plus souvent franchis par les différents acteurs concernés. Les formations continues à destination des chefs de premier niveau seront des moments clés qui faciliteront ces passages, par le contenu qui y sera dispensé et par les partages de compétences qu’ils permettront.