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Se plaindre ne suffit plus

Le coach suisse romand Bernard Radon publie un livre sur l’intelligence organisationnelle. Le fruit de plus de quinze ans d’observation des managers en entreprise. Interview.

Bernard Radon a coaché plus de 300 managers en Suisse romande. Formé aux sciences économiques à Lyon et à Grenoble, il débute sa carrière chez Terraillon, leader européen des pèse-personnes et balances de ménage, pour rejoindre Digital Equipment Corporation, Norsk Data et enfin Hewlett-Packard. Créateur de la société de conseil Coaching Systems et administrateur de pdp performance development partners, l’un des leaders suisses dans la transition de carrière, Bernard Radon couche sa méthodologie sur papier dans son livre intitulé «Managers, utilisez votre intelligence organisationnelle», qui paraît ces jours aux éditions Dunod.

Vous dites que la première chose à faire, pour un manager, est d’accepter la réalité. Mais quelle est cette réalité?

Bernard Radon: C’est que toutes les entreprises dysfonctionnent! Qu’elles soient multinationales ou de petite taille, elles dysfonctionnent toutes, en raison de leur nature même. Et le manager ne peut pas, tout seul, résoudre globalement ce problème. En revanche, il peut améliorer sensiblement le confort de ses collaborateurs – et le sien. A son niveau, se plaindre ne suffit plus.

Vous écrivez aussi qu’en réalité «tout est vrai et tout est faux». Qu’entendez-vous par là?

Notre perception de la réalité n’est jamais totalement vraie, ni totalement fausse. Les certitudes sont confortables, mais illusoires! Autour de nous, tout bouge constamment. Par exemple, il y a des gens qui cherchent à vous aider et d’autres à vous déstabiliser. Mais il s’agit souvent des mêmes personnes! Si vous voulez survivre dans ce monde, il faut chercher un ajustement perpétuel avec cette réalité. Pour cela, il existe une forme d’habilité managériale que j’appelle «intelligence organisationnelle». C’est la capacité à être attentif à ce qui se passe autour de soi et à se remettre en question pour pouvoir s’adapter à des situations toujours complexes. La vie de manager vous oblige à prendre constamment des décisions sur la base des informations dont vous disposez sur le moment. Vous avez peut-être tort, peut- être raison. Le plus important est qu’elles soient conformes à vos valeurs et à ce que vous savez de la situation.

A quoi reconnaît-on quelqu’un qui possède une «intelligence organisationnelle»?

Que vous le vouliez ou non, le seul moyen de sortir indemne en ce bas monde, est de chercher à vous entendre avec les autres. S’il n’y a pas d’entente, il n’y a pas de progression possible. Toute autre stratégie vous conduira irrémédiablement à l’échec personnel. Démissionner parce que vous ne supportez pas votre chef, par exemple, ne fera que vous entretenir dans l’illusion qu’il existe un monde meilleur. De plus, vous n’aurez pas la possibilité de comprendre ce qui, dans votre comportement, porte atteinte à vos relations. Le risque est de vous retrouver face au même problème quelque temps plus tard.

Dans quelles autres situations peut s’exprimer l’intelligence organisationnelle?

Plus vous grimpez dans la hiérarchie, moins vous détenez de pouvoir direct et plus vous avez besoin de vous appuyer sur votre intelligence organisationnelle. Vous devez apprendre à négocier de plus en plus. Chaque décision requiert des explications avec de nombreuses personnes concernées par votre projet ou votre volonté de changement. Il ne s’agit ni de justifier, ni de vendre, mais bien d’expliquer. C’est un travail à temps complet! Vous devrez également renoncer à croire qu’on a des «amis» dans l’entreprise. Un manager est seul, ne serait-ce que parce que sa progression professionnelle modifie la façon dont les autres le perçoivent.

Vous insistez sur la nécessité de travailler sur soi-même. A quoi voit-on qu’on fait bien ce chemin?

Si vous dites que vous vous remettez en question et que vous trouvez que c’est agréable, alors vous n’êtes pas en train de vous remettre en question! (rire). Et si vous pensez que les autres se trompent chaque fois qu’ils vous adressent une remarque négative et qu’ils sont malhonnêtes dès qu’ils manquent à leur parole, vous n’êtes pas non plus en train de travailler sur vous-même... Je dirais qu’un signe qui ne trompe pas, c’est le fait de se poser des questions du genre: Que me reproche-t-on le plus souvent? Cela me dérange-t-il? Quels efforts suis-je prêt à consentir pour changer la situation? Il s’agit de chercher à se comprendre soi-même. Je ne dis pas comprendre au sens thérapeutique du terme. Peu importe de savoir quels étaient nos rapports freudiens avec notre père ou notre mère. La question est de reconnaître l’impact de notre comportement sur les autres et d’utiliser ce feedback pour devenir quelqu’un de meilleur.

Conseillez-vous de solliciter un feedback?

Pour peu qu’on soit attentif à son environnement, tout manager reçoit un retour important d’informations sur son comportement. Ce ne sont donc pas les occasions qui manquent, à mon avis. Maintenant, rien ne vous empêche de demander un feedback, pour autant que vous soyez en confiance et que cela se fasse en tête-à-tête et sur un terrain neutre. Je vous conseillerais de prendre des notes et de poser des questions sur ce qui vous est éventuellement reproché. Attention à ne pas tomber dans le piège qui consiste à vouloir plaire à la personne au point de ne plus rien oser exiger d’elle par la suite. N’essayez pas non plus de demander un feedback à toute une équipe lors d’une réunion. Cela risquerait de tourner à la thérapie de groupe. Si vraiment vous pensez que c’est une bonne idée, faites appel à un professionnel pour diriger la séance.

Qu’est-ce qui fait qu’une personne se mette à développer son intelligence organisationnelle?

Il faut qu’il se produise un déclic. Mais ce déclic ne peut pas se programmer. C’est un peu mystérieux. Par définition, quand on ne voit pas, on ne voit pas! Il n’y a rien que vous puissiez faire pour le provoquer. Maintenant, il y a une question qui reste intéressante, c’est de savoir si, connaissant une personne, on peut deviner si elle va changer... A mon avis, ce n’est pas possible. Les scientifiques qui se sont penchés sur la question estiment que les attitudes passées ne constituent pas des indicateurs prédictifs fiables. Mais, quand le déclic se produit, les gens peuvent se transformer. J’en ai vus devenir moins étroits d’esprit, moins abrupts, moins dogmatiques. Et leurs relations avec les autres se sont beaucoup améliorées. Une fois qu’on réalise qu’il est impossible de changer les autres sans se changer d’abord soi-même, alors c’est un nouveau monde qui s’ouvre!

Décryptage critique

Le livre de Bernard Radon est le résultat et le condensé théorique d’une quinzaine d’années d’expériences dans le domaine du coaching de managers. Il parle de choses vraies. Mais pour comprendre cet ouvrage, il faut un peu se l’approprier, car Bernard Radon utilise sa propre dialectique pour parler de notions qui rappellent de grands penseurs ayant déjà passé par là. Il dit de son livre que ce n’est pas un «kit de survie». Pourtant, l’auteur ne résiste pas toujours tout à fait à la vieille tentation de donner des conseils, alors que son intention est d’encourager le lecteur à se fier à lui-même. Des exemples vécus, persillés soigneusement, contrebalancent le propos un brin technicisé en l’imageant avec simplicité.


Bernard Radon, «Managers, utilisez votre intelligence organisationnelle», collection Best Practices, éditions Dunod, juin 2013

 

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Typographe de premier métier, Francesca Sacco a publié son premier article à l’âge de 16 ans pour consacrer toute sa vie au journalisme. Elle obtient son titre professionnel en 1992, après une formation à l’Agence télégraphique suisse, à Berne. Depuis, elle travaille en indépendante pour une dizaine de journaux en Suisse, en France et en Belgique, avec une prédilection pour l’enquête.

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