Sept stratégies RH pour rester attractif en temps de pénurie
Il n'existe pas de recette miracle pour recruter des talents en temps de pénurie. Mais une variété d'actions peut être mise en œuvre pour tirer son épingle du jeu à long terme. Les conseils de Nicolas Bourgeois et Ravin Jesuthasan, tous deux auteurs de livres sur le futur du travail.
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Dans un marché de l’emploi asséché, les entreprises privées et publiques se creusent la tête pour sortir du lot et attirer des candidats. Selon l’enquête 2022 sur la pénurie de main-d’œuvre qualifiée en Suisse – de von Rundstedt (outplacement) et HR Today – les secteurs sous tension sont l’IT (47%), le commerce de détail (44%), la production industrielle (34%) et la santé (31%). L’hôtellerie/restauration suit de près et les régions périphériques sont plus touchées que l’arc lémanique. Comment faire pour rester attractif sur un marché de l’emploi sous tension? Voici sept concepts à explorer.
Culture d’entreprise
Commençons par le plus difficile: la culture d’entreprise. Dans un livre-témoignage passionnant, l’entrepreneur américain Arnie Malham estime que la culture prime sur l’opérationnel et l’innovation. Il indique que cette culture doit venir d’en haut. Si votre culture est faible (vous ne recommanderiez pas votre entreprise à un ami), c’est la responsabilité des dirigeants et/ou du CEO. Selon Malham, les valeurs qui vont porter la culture doivent être celles du patron, car c’est lui ou elle qui doit incarner ces valeurs. Voici d’autres enjeux-clés d’une bonne culture d’entreprise: respectez vos collaborateurs (demandez leur avis, écoutez-les, proposez-leur des prestations RH sur mesure); investissez dans leur formation professionnelle et partagez collectivement une partie des bénéfices opérationnels; essayez différentes idées (dresscode informel, boissons gratuites, bookclub, journées à thème, semaine de 4 jours, reconfiguration des espaces de travail, congés payés, horaires à la carte, etc.) et acceptez de faire des erreurs.
Identité RH claire
Une culture d’entreprise soignée et alignée sur des valeurs qui viennent d’en haut permettra ensuite de clarifier votre ADN. Une entreprise ne peut pas exceller dans tous les domaines. Nicolas Bourgeois – consultant RH et co-auteur du livre «Les RH en 2030»(1) – conseille de mettre en avant un ou deux points forts et d’accepter ses faiblesses. «Il faut éviter l’effet Club Med, souligne-t-il. Durant les années 2000, l’entreprise avait lancé une campagne pour attirer des talents en montrant une image idéalisée de leurs conditions de travail. Après un afflux de candidats, le soufflé est retombé car la réalité ne correspondait pas au discours. Les employeurs essaient trop souvent d’être bons partout. Au contraire, il s’agit de marketer votre point fort. Décathlon met en avant les possibilités de faire carrière. Ils recrutent bien car ils sont crédibles là-dessus. Misez sur un ou deux éléments cohérents avec vos pratiques réelles et n’essayez pas d’être un employeur idéal.»
Autonomie et responsabilité
Si la vision et les valeurs viennent d’en haut, l’organisation du travail et le «comment atteindre les objectifs» doit être discuté avec les personnes qui font le travail. Nicolas Bourgeois: «Les salariés se plaignent d’être engoncés dans des processus trop étroits pour eux. Il y a un vrai hiatus entre le cadre rigide des rôles et fonctions proposés par l’entreprise et l’énorme marge de manœuvre dont nous profitons dans nos vies personnelles. Ce phénomène est surtout présent dans les grands groupes anglo-saxons, avec l’omniprésence des job descriptions, des process et des reportings qui enferment. Au contraire, les individus recherchent aujourd’hui de l’autonomie et de la responsabilité. Ils seront aussi ensuite beaucoup plus demandeurs de développement de leurs compétences.»
Déconstruire les postes
Une autre piste consiste à assouplir les critères d’exigences pour un poste. Dans un livre (2) publié en 2022, Ravin Jesuthasan, spécialiste du futur du travail et consultant RH chez Mercer aux États-Unis, propose de déconstruire les profils de postes en tâches et activités. Une fois le poste déconstruit, il conseille de redistribuer les tâches entre la machine (robots, IA, automatisation), les salariés, les freelancers et les intérimaires. Au téléphone depuis la Californie, il analyse: «Nous proposons de rendre la connexion entre les individus et l’entreprise beaucoup plus dynamique et fluide. Cela permet aussi à l’organisation d’être plus agile et de s’adapter au travail qui est à faire. Sur le plan de la formation/développement, cette granularité de la connexion entre les compétences de chacun et le travail à faire permet de rendre les besoins beaucoup plus clairs. La formation devient une manière d’augmenter les compétences utiles au travail plutôt que d’acquérir un diplôme.»
Adaptez l’offre à la demande
Ravin Jesuthasan conseille également de réduire l’exigence du matching de 80 à 60%. Inutile de chercher un mouton à 5 pattes.... «D’un côté, l’entreprise est toujours obnubilée par le profil du candidat, va-t-il répondre à nos besoins? En ce sens, l’entreprise met tout en œuvre pour adapter le profil à ses propres besoins. Nous estimons que l’entreprise doit désormais adapter l’offre plutôt que la demande! Peut-être qu’un·e candidat·e pourra réaliser 60% des tâches mises au concours et qu’il ou elle pourra réaliser d’autres tâches dans l’organisation pour le reste des 40%.» Cette nouvelle manière de considérer un recrutement implique de nouveaux enjeux pour les RH. Il détaille: «Les RH devront réfléchir au design organisationnel et adapter le cahier des charges aux individus. Le deal entre employeur est employé va dans les deux sens. Cela implique une offre et des prestations RH beaucoup plus individualisées. Les besoins en termes de flexibilité, de travail hybride, de formations et de rémunérations sont différents à chaque employé.»
Rémunération et horaires flexibles
La rémunération prise au sens large reste enfin un vrai sujet, surtout en temps d’inflation et de hausse des prix de l’énergie. Là-aussi, la direction à prendre est celle de la segmentation et du sur mesure. «Les modèles de rémunération gagneraient à être plus segmentés et mieux adaptés aux besoins de chaque personne et de sa séquence de vie», dit Nicolas Bourgeois. Les besoins varient selon l’âge et les choix de vie. Temps libre, prévoyance professionnelle, congés sabbatiques, horaires flexibles, semaine de 4 jours ou de 36 heures sont toutes des formes de rémunération. «Que rémunère le salaire fixe, le variable et les avantages sociaux? Les DRH ont bien souvent de la peine à répondre. Ils doivent être plus au clair sur ce qu’ils veulent rémunérer: la compétence, l’engagement, le développement des compétences ou le travail bien fait?» Être clair sur ce que l’on valorise, c’est être clair sur ce que l’on propose au candidat comme expérience collaborateur.
(1) Gilles Verrier et Nicolas Bourgeois, Les RH en 2030, éd. Dunod, 2020, 281 pages
(2) Ravin Jesuthasan et John W. Boudreau, Work without jobs, éd. The MIT Press, 2022, 192 pages