Débat

Tests de personnalité: quels sont les risques

Le recours aux tests de personnalité s'est généralisé dans le milieu du recrutement. Quelles sont les limites de ces outils? Trois spécialistes partagent leur avis.

Marc-Olivier Ritzi - Psychologue et fondateur de Signa Assessment

«Aujourd’hui, les tests de personnalité sont largement utilisés par les RH ou les cabinets lors de procédures de recrutement, de relève, de mobilité, de formation ou de team building. Leur avantage est évident: ils permettent de déceler en un temps record une foule de caractéristiques parfois difficiles à détecter autrement. Pour autant, leur usage n’est effectivement pas sans risques.

Parmi ceux qui leur sont intrinsèquement propres, rappelons que tous ne se valent pas! Certains reposent sur des modèles peu scientifiques ou ne font pas l’objet d’une validation statistique. Et ce ne sont pas toujours les outils les plus chers ou les plus populaires qui sont les plus solides. De plus, si un outil a sa place dans un certain contexte, comme l'utilisation de tests décrivant des types de personnalité (p. ex. MBTI ou ceux reposant sur le modèle DISC) qu’on utilise souvent dans le cadre de formations, ils peuvent être moins efficaces dans d’autres. Typiquement, dans un contexte de recrutement, on privilégiera des tests décrivant des dimensions de la personnalité (p. ex. QCP, PfPi) et résistant bien à la manipulation des réponses (p. ex. HEXAPRO).

Les risques extrinsèques aux outils sont plus compliqués à maîtriser. Par exemple, un évaluateur peu professionnel peut avoir un impact négatif sur le processus ou les répondants: le manque de nuance ou les jugements de valeur lors de la restitution des résultats peuvent porter atteinte à la dignité de la personne ou mener à de mauvaises décisions. Il faut en outre toujours s’interroger sur la nécessité de faire appel à un test de personnalité: répond-il aux questions qu’on se pose? Est-il éthique de l’utiliser pour tel besoin? Ne risque-t-on pas de réduire un problème organisationnel à sa composante individuelle? Etc.

Il ne faut toutefois pas que l’arbre cache la forêt: des dizaines d’études ont démontré l’efficacité des tests de personnalité et, bien utilisés, ils permettent d’aller au-delà des seules intuitions.»

Leila Claivaz - Executive Search Consultant & Partner chez Ganci Partners SA

«Pour ne pas se tromper. Pour objectiver notre processus de recrutement. Pour évaluer les capacités de nos collaborateurs à prendre des fonctions managériales. Tant de bonnes raisons qui mènent les entreprises à de plus en plus intégrer, voire systématiser les tests de personnalité. Bien qu’ils offrent certains avantages, notamment grâce à l’éclairage supplémentaire et parfois différent qu’ils amènent, ces tests souffrent en revanche de nombreux risques.

Dans la situation du «marché candidats» actuel, alors que les entreprises travaillent ou devraient travailler sur leur attractivité et rétention de talents, elles semblent développer une certaine aversion au risque dans leurs processus RH. Poursuivant la recherche du candidat «plug and play», les processus de recrutement s’allongent et se complexifient. En revanche, les candidats eux se permettent nettement plus de remettre en question les demandes d’un potentiel employeur, voire de se retirer tout simplement d’un processus qui semblait bien engagé. Ce même talent potentiel préférera rejoindre une entreprise qui démontrera une volonté de réelle collaboration. L’asymétrie des informations partagées est souvent une raison pour se retirer d’un processus de recrutement. En effet, que faisons-nous de notre intelligence émotionnelle personnelle ainsi que de celle des managers qui recrutent? De bons entretiens comportementaux structurés amènent déjà beaucoup d’éléments sans mettre une distance digitale entre les gens.

Ces tests ne garantissent pas la parfaite objectivité recherchée: selon la base de référence utilisée, des biais culturels peuvent survenir et lorsque ces tests sont basés sur l’autoévaluation de nombreux facteurs peuvent influencer les résultats.

A l’heure de la protection des données, les entreprises qui utilisent ces tests ont-elles fait le nécessaire pour être conformes à la réglementation? Et surtout, les équipes qui font passer ces tests consacrent-elles également du temps pour un retour de qualité aux personnes concernées? Enfin, les équipes ayant accès à ces outils délicats ont-elles été suffisamment formées pour les lire et les expliquer? À quand des candidats qui feront passer des tests de personnalité à leur futur manager?

Daniel Held - CEO de PIMAN, certificateur pour les solutions Saville Assessment

«Les questionnaires de personnalité sont des outils indispensables aux décideurs pour les accompagner dans leurs choix. Leur but n’est pas de les rassurer, mais de rendre visible ce qui est invisible en entretien et de challenger leurs perceptions, pour pouvoir prédire au mieux le succès professionnel et les comportements dans les situations critiques. La difficulté avec les questionnaires de personnalité, c’est que le sujet et l’objet de l’évaluation sont le même: l’individu évalué. De ce constat résultent cinq risques importants, qu’il s’agit de maîtriser:

1. Négliger la mesure de la distorsion des résultats. Savons-nous précisément dans quelle mesure le candidat a répondu de manière honnête et cohérente (au minimum 2 échelles fiables)?

2. Utiliser un outil non pertinent pour le monde du travail, parce qu’il mesure autre chose que des compétences pour évaluer l’adéquation avec un rôle et une culture. Le manque de pertinence est aussi souvent lié à du flou sur les définitions des critères mesurés, à des biais culturels, à un manque de qualité des questions ou à des critères trop corrélés entre eux.

3. Utiliser des outils non valides, où des vendeurs vous font confondre le taux de reconnaissance par le candidat (qui ne prouve rien du tout) avec la capacité à prédire le succès professionnel actuel et futur. Les outils varient entre 20 et 60% de prédictivité, donc 1 chance sur 8 vs. 1/60 de se tromper. Une différence quantique, pas visible à l’œil nu!

4. Le manque de compétence d’évaluation des acteurs. Il s’agit en effet de connaître parfaitement l’outil et ses limites, de le pratiquer régulièrement, et de valider les résultats de manière systématique et objective lors d’un entretien (ne jamais se fier à un texte pré-écrit). L’évaluation est l’expertise cœur des RH. Sont-ils assez formés et entraînés pour cela?

5. Ne pas définir clairement ce qu’on cherche: le meilleur outil ne sert à rien si l’on cherche les fausses compétences et ne tient pas compte de l’environnement rencontré. Quels sont les résultats qu’on veut vraiment obtenir et en déduire, à partir des situations critiques, les compétences essentielles à réunir. Attention aux leurres des outils de matching intégrés, qui facilitent la vie en augmentant les risques de se tromper.»

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M-O Ritzi

Marc-Olivier Ritzi est psychologue et fondateur de Signa Assessment.

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Daniel Held

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