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Conseils pratiques
Un air de Sigmund Freud
Les tests de personnalité restent monnaie courante dans le recrutement. Pourtant, leur utilisation soulève encore et toujours des questions éthiques.
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Illustration: iStockphoto
76% des entreprises comptant plus de 100 employés utilisent des tests de personnalité pour le recrutement, selon l’édition du mois de juillet-août de la revue Harvard Business Review. Des recherches effectuées en Europe montrent que d’une manière globale, environ un tiers des entreprises feraient passer des tests de personnalité aux candidats.
En Suisse, il existe des centaines de tests de ce genre sur le marché. Au point que certains médias ont parlé d’un «boom du psycho-diagnostic». Directeur du Centre pour le développement de tests et le diagnostic (CTD) à l’Université de Fribourg, Klaus-Dieter Hänsgen précise: «Il s’agit moins d’une mode que d’une nécessité pour les recruteurs, dans un contexte de compétitivité et de guerre des talents.»
Le hic, c’est qu’un grand nombre de ces tests ont été initialement développés en milieu psychiatrique, avec pour but de diagnostiquer des problématiques psychiques. Ils ont ensuite été adaptés à la population générale, mais leur vocation initiale transparaît parfois à travers certaines questions. Exemple: «Avez-vous peur de prendre l’ascenseur?». Dans un laboratoire de recherche de l’Université de Genève, nous avons pu découvrir quelques questions d’un test en développement destiné aux cadres de haut niveau. L’un de ces items portait sur le nombre d’heures que le candidat passerait à «jouir de gratifications sexuelles» s’il disposait de cent heures de loisir.
Les tests de ce genre soulèvent un problème en regard de la législation sur la protection de la sphère privée, puisque celle-ci stipule que les questions posées aux candidats doivent se rapporter aux aptitudes à occuper l’emploi. Interrogés, plusieurs distributeurs de tests invoquent une subtilité: en fait, ces questions ne se rapportent pas à la vie privée mais «à la vie de tous les jours». Premier fournisseur de tests psychométriques en Suisse, la Testzentrale, à Berne, reconnaît que certaines questions ont parfois dû être modifiées en raison de leur «sens ambigu» ou parce qu’elles paraissaient «trop sexistes». Au service du préposé fédéral à la protection des données, on estime que certains tests de personnalité se situent «à la limite de la légalité»: «Le problème, c’est que nous avons affaire à un conflit d’intérêts: d’un côté, l’employeur est fondé à s’assurer qu’il engage la bonne personne; de l’autre, le candidat a droit au respect».
Comment choisir le bon test?
Pas facile de s’y retrouver pour les entreprises clientes. Les tests de personnalité utilisés dans le recrutement peuvent être classés en deux catégories. Il y a, d’une part, ceux qui sont vendus exclusivement aux titulaires d’un diplôme en psychologie. Ils sont disponibles auprès de la Testzentrale à Berne et leur coût va de 350 francs à plus de 1500 francs. On trouve d’autre part des tests conçus pour les non-professionnels, disponibles auprès de cabinets de consultants. Leur vente est souvent conditionnée à une formation (payante) de quelques jours, ce qui peut tout de même coûter plusieurs milliers de francs. Ce marché ressemble donc en quelque sorte à celui des médicaments, avec des produits en vente libre, et d’autres non. Pour pouvoir utiliser un test réservé aux détenteurs d’un diplôme en psychologie, les entreprises qui n’emploient pas de psychologue à l’interne doivent déléguer le travail à un cabinet extérieur.
Les tests «en vente libre» sont généralement présentés comme «ludiques», pour reprendre un qualificatif courant dans l’argumentaire de vente des distributeurs. Les plus «ludiques» vous permettent de chiffrer en pourcentage les capacités d’un candidat. Exemple véridique: «Tempérament composé à 3,6% de lymphatique et à 14,5% de bilieux, ce qui donne une possibilité d’amélioration du caractère de 32% et une perspective d’évolution de 60%».
S’ils sont amusants, ces outils sont souvent critiqués; on leur reproche surtout une faible crédibilité scientifique. Pour rehausser le niveau général, Hans-Dieter Hänsgen mise sur l’élaboration d’un certificat suisse de qualité, actuellement en projet. En attendant, certains esprits malins proposent, à l’instar de Martin Delemotte, co-fondateur du logiciel d’évaluation et de recrutement Vadequa, de tricher aux tests. Sur son blog (http://sciences-rh.delemotte.com/ 2012/03/comment-tricher-un-test-de-personnalite.html), Martin Delemotte présente sa méthode: identifiez les attentes de l’employeur, construisez-vous une personnalité, ignorez les avertissements du recruteur qui prétend pouvoir détecter les mensonges, restez cohérent et... préparez-vous à des questions de suivi.