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Un dilemme: productivité et manque de compétences

Le marché du travail est en crise. Les employés spécialisés sont très sollicités et le rapport de force s'est inversé. Les spécialistes sont plus exigeants, ils demandent davantage de bénéfices sans pour autant vouloir en faire plus. Les conséquences se font ressentir avec une productivité qui s'effondre.

Une pénurie de travailleurs qualifiés signifie qu'il n'y a pas suffisamment de travailleurs qualifiés disponibles. Certains employeurs ne seront pas en mesure de pourvoir les postes vacants, c’est un fait. Pour atteindre les objectifs prévus, ils doivent trouver les moyens d’augmenter la productivité du travail (1). Concrètement, cela signifie que la quantité de travail nécessaire doit être fournie par moins de travailleurs qualifiés, nécessitant donc plus de productivité, plus d'engagement, plus de performance et une utilisation plus efficace des forces en présence. Et c’est exactement ce qui n'est pas réalisable dans un marché de candidats.

Dans ce que l’on appelle un marché de candidats, le pouvoir de négociation change de main et passe de l'employeur à l'employé. En raison d’une demande excédentaire, les employés peuvent choisir leur employeur et exercer pleinement leurs revendications. Les employés insatisfaits ou surchargés quittent l'entreprise en sachant qu'une meilleure alternative sera trouvée immédiatement. Les employés sont conscients de leur pouvoir. Cela leur est rappelé à maintes reprises par la presse et les débats publics. C'est la nature même de l'homo economicus: les employés rationnalisent et optimisent.

Florilège de revendications

Concrètement, quelles sont les demandes? – Voici quelques exemples tirés de la réalité:

• Pierre a débuté dans une start-up il y a six mois. Il est commercial et ne travaille qu'à 40% à temps partiel. Il a un salaire en ligne avec les salaires du marché. Néanmoins, aujourd'hui, il demande une augmentation de salaire de 35%, sinon il quittera pour aller travailler dans une autre entreprise, où il serait au moins aussi bien payé.

• Roland a postulé dans une entreprise pour un poste à temps plein. Lors du premier entretien, tout semble lui convenir. Lors du second entretien, il précise clairement qu'il souhaite travailler à domicile au moins trois jours par semaine. Si cela n'est pas conforme à la politique de l'entreprise et qu'aucune exception n'est possible, il retirera sa candidature.

• Franziska travaille trois jours par semaine (60%) dans une entreprise et occupe un poste de direction. Elle demande une augmentation de salaire, mais ne l'obtient pas. En raison de son salaire élevé, elle ne pointe pas ses heures. Elle demande désormais que les heures supplémentaires effectuées soient payées immédiatement, puisqu'elle cumule en réalité 24 heures de plus par mois.

• Katja commencera un Bachelor à la HES-SO à la rentrée prochaine. En marge de ses études, elle aimerait travailler à hauteur de 40% et financer elle-même une partie de ses études. Lors d’un entretien, elle précise qu'un trajet de 30 minutes est hors de question, qu'elle ne veut travailler que depuis chez elle et elle imagine déjà un salaire qui correspond au niveau de salaire proposé après l'obtention du diplôme.

Nouveaux challenges

Ces situations ont toujours existé. Mais la pression actuelle et le caractère intransigeant des revendications constituent aujourd'hui un défi pour les employeurs. Chaque relation de travail doit être abordée individuellement et les lignes directrices et communes de l’entreprise deviennent de plus en plus difficiles à appliquer. La formation continue, les modèles de temps de travail individuels, les attentes salariales, le travail à domicile, les besoins à temps partiel et le désir de s'émanciper se développent. Pourquoi pas s’il y avait une contrepartie. Or on constate que la volonté de performer et la loyauté n'augmentent pas. Si l'on observe l'évolution des départs volontaires, on constate rapidement que les salariés ne se sentent plus du tout obligés vis-à-vis d'un employeur. Quand quelque chose ne leur convient pas, ils passent à autre chose. C’est comme sur les applications de rencontres: ils swipent.

Tout cela conduit à un dilemme: celui de la productivité. Les employeurs ont besoin que les employés présents soient encore plus productifs pour compenser la pénurie de travailleurs qualifiés. Et paradoxalement, la productivité diminue parce que les employés œuvrent pour répondre à leurs besoins individuels. L’équation semble insoluble pour les entreprises. Alors quelles sont leurs options possibles?

  1. Participer – Gagner la guerre des talents avec un excellent EVP (Employee Value Proposition) et une gestion du personnel individualisée. C'est épuisant, coûteux, mais ça peut fonctionner pour certaines entreprises.
  2. Esquiver – changer de stratégie, repenser un développement à plus long terme, initier des programmes de changement de carrière et investir dans la formation des employés, pour favoriser la confiance et développer la loyauté. C’est un pré-investissement certes, risqué, mais c’est une stratégie qui peut très bien fonctionner, notamment sur le marché des plus de 55 ans.
  3. Renoncer – arrêter de vouloir de la croissance à tout prix et ajuster la production de biens et de services à la disponibilité actuelle des ressources. Quand on interroge les entreprises, elles nous disent vouloir principalement une croissance qualitative. En réalité, nous observons exactement le contraire. Cette option n'est donc pas réaliste dans la plupart des entreprises.

(1) La productivité du travail correspond à la valeur ajoutée brute (VAB) par intrant en travail.

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Texte: Anne Donou

Anne Donou est Directrice Suisse romande chez von Rundstedt & Partner Suisse SA.

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