«Un élan d’humanisme» adoucit les styles de conduite
Tendance RH de fond. Depuis le début des années 90, certaines méthodes de développement personnel font une percée dans les techniques de conduite d’équipe et de management. Elles visent à maintenir de la bienveillance dans le monde du travail.
Les solutions n’ont pas forcément de lien apparent avec le problème: une situation peut très bien se débloquer par une voie inattendue. Photo: 123RF
Oui, c’est vrai, nous vivons dans une société orientée profit. Mais si certaines entreprises s’échinent à écarter les candidats à l’embauche qui pourraient poser problème une fois engagés, d’autres emploient délibérément des condamnés en liberté conditionnelle ou des toxicomanes en phase de réinsertion. De la même façon, les licenciements apparemment sans état d’âme coexistent au sein des directions RH avec des preuves de bienveillance.
Ainsi, la philosophe italienne Michela Marzano affirme observer,depuis le début des années 90,un«élan d’humanisme» dans les entreprises. En témoigne l’irruption des techniques de développement personnel dans la gestion des ressources humaines. Exemple: l’Approche centrée solution, ou ACS. C’est l’une des dernières arrivées.
Depuis l’introduction d’un certificat reconnu par la Fédération internationale de coaching, en 2007, plusieurs centaines de managers ont été initiés à cette méthode en Suisse. Parmi les entreprises qui s’y sont initiées: Vifor Pharma à Villars-sur-Glâne, McDonald’s à Crissier, Skyguide à Genève, UBS, Credit Suisse, Generali Assurances, Coop, Generali Assurances et le Groupe Mutuel.
L’Approche centrée solutions est présentée par les psychologues américains qui l’ont mise au point dans les années 80 comme une «méthode de non-méthode», car le but est d’expérimenter les idées de solution personnelles qui surgissent en travaillant avec un coach spécialisé. Pour partir à l’exploration de ces idées, l’ACS propose une technique de questionnement particulière. L’un des principaux outils utilisés s’appelle la «question du miracle». Et si on essayait tout de suite? Il suffit d’interrompre un instant votre lecture. Pensez tout d’abord au problème qui vous préoccupe actuellement. Maintenant imaginez-vous en train de rentrer à la maison ce soir. Vous faites ce que vous faites d’habitude, puis vous allez vous coucher. Et là, tandis que vous dormez, le problème disparaît! Vous n’en aurez pas conscience puisque cela se produira durant votre sommeil. Lorsque vous vous réveillerez, demain matin, à quoi verrez-vous que ce miracle est arrivé? Qu’est-ce qui vous fera dire, à la façon dont vous vous sentirez et dont vous vous comporterez, que ce problème a disparu?
Vous l’aurez sans doute compris: l’ACS propose de travailler sur le changement de soi plutôt que sur le contrôle de facteurs externes. Consultant spécialisé à Genève, Bastien Carrillo donne un exemple tiré de sa pratique: «Une collaboratrice est venue me voir pour me parler d’un problème qu’elle rencontrait avec un client mécontent. Au lieu de lui donner mon avis et quelques conseils, je lui ai demandé de m’expliquer ce qu’elle avait fait exactement pour remédier à la situation, et ce qui demeurait encore en son pouvoir. A la fin de l’entretien, elle est parvenue, d’elle-même, à la conclusion qu’elle ne pouvait rien faire de plus, et que le problème ne lui appartenait donc plus.» Ainsi, l’ACS n’empêche pas les clients mécontents d’être mécontents, ni les problèmes d’exister. Mais elle permet de se clarifier soi-même. Ce qui peut grandement soulager les collaborateurs et les équipes.
Se focaliser sur les solutions plutôt que sur les problèmes
«L’un des aspects les plus surprenants de notre approche, c’est qu’il n’est pas nécessaire de comprendre ce qui ne va pas pour pouvoir travailler. Ce qui est intéressant, c’est d’explorer les idées de solutions de nos clients», affirme la psychologue spécialisée Isabelle Aurora, qui propose des interventions en entreprise en tandem avec Bastien Carrillo. Outre la question du miracle, une quantité de questions peuvent être posées pour explorer ces idées. Par exemple: «Qu’avez- vous déjà essayé de faire pour remédier au problème?», puis: «Comment vous y êtes-vous pris?». Selon Harry Korman, formateur ACS au CEFOC, il s’agit d’un bouleversement de la conception traditionnelle du coaching: «Le coaché a un problème, il ne sait pas comment le résoudre, donc il va consulter un coach qui pourra lui dire quoi faire.» Dans l’approche ACS, c’est le client qui va pouvoir expliquer ce qui marche!
Et lorsque le client a l’impression que rien ne marche, on lui répond par exemple: «Il y a forcément des situations où le problème ne se manifeste pas, ou moins. Que faites-vous dans ces moments-là?». Petite précision: l’ACS n’a rien à voir avec la méthode Coué et l’autosuggestion, ou avec un certain idéalisme issu du courant de Mai 68. A l’origine de l’ACS, les psychologues Steeve De Shazer et Scott D. Miller sont persuadés que le fait de parler des problèmes amplifie les problèmes. Le danger est alors de s’enliser dans la plainte. De Shazer et Miller ont également démontré que l’expertise technique des experts consultés n’entrait que pour 15 pour cent dans le succès d’une démarche de soutien. Une grande maîtrise professionnelle serait même associée à une perte d’efficacité! Le principal critère de réussite serait la qualité de la relation avec le client.
Souvent qualifiée de révolutionnaire, car elle permet d’obtenir des résultats rapides, l’ACS est enseignée en Suisse depuis quelques années au Centre d’études et de formation continue (CEFOC), à Genève, ainsi qu’au Centre de recherches familiales et systémiques (CERFASY), à Neuchâtel. Plusieurs psychologues et consultants proposent en outre des interventions en entreprises (lire encadré).
Un appel pour plus de bienveillance au travail
Autre technique de développement personnel récemment importée dans le domaine des ressources humaines: l’Appreciative Inquiry (AI), directement inspirée de la psychologie du bonheur, c’est-à-dire de la recherche scientifique sur le bonheur. Développée elle aussi dans les années 80 aux Etats-Unis par le professeur David Cooperrider, docteur en sciences des organisations, elle est parfois présentée sous le nom d’«exploration positive». Tout comme l’ACS, elle «marque une rupture avec l’approche traditionnelle de la résolution des problèmes pour se concentrer sur les changements et les réussites», selon le Swiss Institute for Appreciative Inquiry, à Genève. Les managers adeptes de l’AI se définissent parfois comme «opti-réalistes» et se défendent d’être naïfs. Cette méthode a été utilisée entre autres par Tetrapak à Romont et, à l’étranger, par Michelin, British Airways et Coca-Cola.
Parmi les récents signes d’un regain d’humanisme dans le monde professionnel: à l’instigation de la revue française Psychologies, plus de 300 entreprises dont KPMG, Google, MMA et Ferrero, ont répondu à un «Appel à plus de bienveillance au travail» et participé à une «journée de la gentillesse» fixés tous deux au milieu du mois de novembre. Cette initiative a reçu deux distinctions, le Prix 2011 de la meilleure innovation mondiale et le Prix 2012 du Brand Content (meilleur contenu de marque). Parmi les idées concrétisées par les entreprises participantes: libre choix de la couleur des murs dans les nouveaux locaux, aménagement de salles de repos et d’espaces fitness, cours de gym et massages gratuits, conférences sur le sommeil, formation à la cohérence cardiaque, «happy drinks», travail bénévole collectif hors entreprise pour resserrer les liens, participation aux frais de crèche, édition d’un «petit manuel de civilités» pour bien se parler au travail, ou encore, prescription des réunions après 19h 30. Pour un peu, on en viendrait presque à se réjouir d’aller travailler.
Les idées fortes de l’Approche centrée solutions (ACS)
- Il n’est pas nécessaire de connaître la cause d’un problème pour le résoudre. Le fait de parler des problèmes amplifie même les problèmes.
- Il faut voir les problèmes et regarder les solutions.
- Toute personne est capable d’imaginer des solutions pour améliorer sa situation, et cette capacité augmente lorsque l’accent est mis sur ce qu’elle réussit à faire.
- Les solutions n’ont pas forcément de lien apparent avec le problème: une situation peut très bien se débloquer par une voie inattendue et détournée.
- Les problèmes ne se manifestent jamais tout le temps, ni toujours à leur intensité maximale: il existe donc des exceptions, qu’il est utile d’explorer.
Interventions en entreprises et coaching professionnel:
Isabelle Aurora et Bastien Carrillo, Genève/Lausanne/Fribourg, 079.910.02.91, ia@acls.ch
New Perspectives, Hildegard Abbet- Schaller, Saint-Léonard/Sion, 027.322.24.41, coaching@newperspectives.ch
Angelo Vicario Consulting, Lausanne, 021.349.28.99, avc@vicario.ch
Ursula Sila-Gasser, Genève/Veyrier, 078.889.50.52, usila@imagine-que.ch
Swiss Institute for Appreciative Inquiry, Genève, 022.320.80.37, infos@appreciative-inquiry.ch