Quand le talent devient un handicap

Un problème psychique comme atout à l’embauche

Des agences de placement vantent les qualités des autistes légers dans le domaine de l’informatique. Et certaines entreprises affirment justement s’intéresser à ce type de candidats. Simple coup de pub? 

Lorsqu’on trouve à quoi un handicap psychique peut bien être utile, ce n’est plus un handicap mais un atout. Voilà ce qui semble se produire pour les autistes légers dans le domaine de l’informatique. Ces personnes sont en effet particulièrement recherchées pour des postes d’ingénieurs responsables et de développeurs de logiciels. Le groupe allemand SAP, premier concepteur européen de programmes informatiques, a lancé ainsi une campagne pour recruter quelque 650 personnes atteintes du syndrome d’Asperger, une forme légère d’autisme. Ce projet-pilote a d’abord été testé en Inde, en Irlande, puis au Canada et enfin aux Etats-Unis à partir de 2014.
 
C’est un fait notoire que les autistes cultivent un sens du détail quasi obsessionnel et font preuve de capacités de concentration et de mémorisation phénoménales. On se souviendra du personnage de Dustin Hoffmann dans le film Rain Main, ou du détective Monk dans la série américaine du même nom. «Il est tout à fait fascinant de voir comment ces personnes peuvent se concentrer sur une chose précise et ignorer tout le reste», s’enthousiasme Anka Wittenberg, porte-parole de SAP. Ils auraient également une «très forte capacité à lire des messages détaillés dans un logiciel et à trouver les erreurs», selon Stephen MacKay, directeur des ressources humaines chez SAP à Montréal.
 
L’annonce de ce programme dans les médias a déclenché une avalanche d’offres spontanées. «Nous ne nous attentions pas à un tel déluge», admet Anka Wittenberg. Le projet-pilote est mené en collaboration avec l’agence de placement Specialisterne. Basée à Copenhague et possédant des succursales sur plusieurs continents, cette agence luttant pour l’intégration professionnelle des autistes a été qualifiée «d’exemple pour l’Europe» par le commissaire européen à l’emploi, aux affaires sociales et à l’égalité des chances, Vladimir Spidla.
 

Une agence spécialisée à Zurich

En Suisse, les personnes Asperger ont aussi leur agence: Asperger Informatik, à Zurich. Fondée en 2008 et dirigée par Susan Conza, elle-même diagnostiquée Asperger, cette agence s’est d’abord spécialisée dans le test de programmes informatiques avant de se lancer dans le webdesign. Parmi ses références: l’administration communale zurichoise, le broker d’assurances Invest Suisse et... Christoph Blocher, dont elle a réalisé le site internet. «Nous ne sommes pas une institution sociale, mais une société anonyme rentable», souligne Susan Conza, qui emploie actuellement une vingtaine de personnes dont certaines sont «neurotypiques» c’est-à-dire «normales». Cette mixité est, selon elle, indispensable: «Nous sommes meilleurs dans les domaines techniques, mais nous avons besoin des neurotypiques pour les tâches qui nécessitent de bonnes compétences sociales.» A part l’informatique, les domaines où les personnes Asperger peuvent exceller sont l’horlogerie, la comptabilité, le dessin technique, la mécanique de précision, l’ingénierie, la recherche et la traduction.
 
Mais cette «success story» semble être une exception dans la constellation des handicaps psychiques. D’ailleurs, le syndrome Asperger ne figure pas dans le manuel des diagnostics psychiatriques et les «aspies», comme ils se plaisent à se surnommer eux-mêmes familièrement, sont généralement assimilés à des hauts potentiels, c’est-à-dire à des personnes surdouées. Et c’est peut-être précisément pour cette raison qu’ils ont tendance à exercer une certaine fascination sur le public. «Mon agence a tout de suite suscité beaucoup d’intérêt et de curiosité mais, au début, on la voyait un peu comme un zoo qui abrite des êtres exotiques», se souvient Susan Conza.
 

Trois questions à Nicolas Roulin

Les personnes qui présentent des troubles obsessionnels, anxieux ou autistiques sont-elles particulièrement adaptées à certains postes de travail ?
Nicolas Roulin: Cela dépend de beaucoup de facteurs, dont le degré du trouble. On ne peut pas comparer une personne qui souffre d’une légère tendance obsessionnelle avec quelqu’un qui présente un grave trouble obsessionnel-compulsif. Néanmoins, des recherches en sélection du personnel montrent que certains traits de caractère ne relevant pas de la psychiatrie sont positivement liés à la performance au travail. C’est le cas des personnes consciencieuses. Elles sont ordonnées, réfléchies, jusqu’au-boutistes, auto-disciplinées. Les entreprises auraient intérêt à rechercher ces traits, notamment pour la comptabilité, l’horlogerie, la pharmacie ou la chimie.
 
Pensez-vous que les agences spécialisées dans le placement des autistes aient un avenir?
Il y a certainement une place pour ce type d’agences. D’ailleurs, on en trouve de plus en plus. Mais il faudrait qu’elles parviennent à convaincre les recruteurs que les profils psychiques atypiques représentent réellement une valeur ajoutée.
 
N’y a-t-il pas un peu de démagogie là-derrière?
Il est possible en effet que certaines entreprises s’adressent à ces agences pour se donner bonne conscience, pour soigner leur image de marque ou simplement pour répondre à une volonté de responsabilisation sociale. Dans certains pays, comme le Canada, toute entreprise employant plus de cent personnes est légalement tenue d’engager approximativement 4.5 % de travailleurs handicapés. On ne peut donc pas exclure que certaines sociétés engagent des autistes pour «remplir leur quota».
 
* Nicolas Roulin, PhD., Human Resource Management, Asper School of Business, University of Manitoba, Canada

 

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Typographe de premier métier, Francesca Sacco a publié son premier article à l’âge de 16 ans pour consacrer toute sa vie au journalisme. Elle obtient son titre professionnel en 1992, après une formation à l’Agence télégraphique suisse, à Berne. Depuis, elle travaille en indépendante pour une dizaine de journaux en Suisse, en France et en Belgique, avec une prédilection pour l’enquête.

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