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Une carrière en espaces de liberté

Une impasse, un goulot d’étranglement. Beaucoup de candidats et peu d’élus. L’idée de carrière telle qu’elle continue de se décliner dans notre univers professionnel actuel – c’est-à-dire conditionnée à une inextricable prise de responsabilité hiérarchique, obtention de poste et de titre sentencieux – semble davantage rimer avec frustration que satisfaction. A la façon de la saga cinématographique «Highlander»: there can be only one... Heureux les happy few et désolé pour les autres!

Il y a que les organisations verticales post-tayloriennes continuent d’avoir beaucoup de main-mise sur les aspirations à la réussite des cadres en activité, jeunes ou moins jeunes; et que ceux-ci, armés de nombreux diplômes et accréditations à l’emploi, ne se sont jamais sentis aussi légitimes dans leurs ambitions qu’aujourd’hui. Toutefois, le paradoxe est là: il y a inversement aussi peu d’opportunités de trajectoires managériales qu’il y a pléthore de candidats théoriquement aptes à la fonction.

Cette mécanique bien huilée pouvait fonctionner dans des systèmes éducatifs où seul un tiers des actifs accédait à l’enseignement supérieur, où le filtrage était disons «naturel»: les carrières aux universitaires, le reste pour les autres. Comme chacun sait, ce n’est plus le cas depuis belle lurette.

Les conditions historiques d’éligibilité à une carrière professionnelle ont en effet été bouleversées par l’élargissement progressif de l’accès à l’enseignement supérieur au cours de la seconde moitié du 20ème siècle. Les organisations traditionnelles, les grands groupes, les maisons familiales, ne se sont jamais réellement adaptés. On continue d’y promouvoir ouvertement ou implicitement des parcours, des filières internes, des perspectives ascensionnelles sous réserve de bonne conduite, d’obéissance au jeu sinueux de la gradation. Ce modèle – adoubé par les RH – est un cul-de-sac tant il laisse sur le bas-côté des profils à potentiel, tant il suscite d’éviction. Il commence d’ailleurs à mourir à petit feu, face notamment aux start-up qui offrent en alternative des schémas plus horizontaux et où la prise de responsabilité managériale n’est pas sanctuarisée comme graal de la réalisation de l’individu dans l’organisation.

La première réponse pratique à cet étiolement de l’idée de carrière est la transversalité: la mobilité latérale permet d’allonger le parcours interne, à défaut d’opportunités verticales. En ce sens, elle fait écho à une étymologie qui me paraît intéressante. Avant de prendre son acception contemporaine, c’est-à-dire comme un «chemin», une profession ponctuée d’étapes, la notion renvoie à l’époque de la Renaissance à l’univers équestre: l’espace où l’on fait galoper les chevaux. Donner «carrières, c’est donc conférer le territoire de liberté qui permet de «courir de tous côtés». Par extrapolation, on pourrait assimiler l’organisation moderne à un manège: l’endroit où l’on exerce, où l’on dresse; l’idée de manège, au sens figuré, renvoie aussi au fait de «manœuvrer avec habileté». Et voici dans une certaine mesure les contours de l’entreprise aujourd’hui: un huis clos où l’on s’emploie à grands renforts de dispositifs RH à débourrer les individus, leur apprendre à trottiner docilement; un espace fermé où ceux qui sauront manœuvrer avec le plus d’habilité seront les plus récompensés. Refusant ce petit manège – tourner en rond, porter des œillères, franchir des barrières chaque fois plus hautes – de plus en plus se cabrent. Rien d’étonnant: nous ne sommes pas tous des chevaux de course...

Il me semble opportun de repenser aujourd’hui le concept de carrière en termes d’espace de liberté. Une convention discutée entre l’employé et l’employeur sur les territoires à conquérir. Chacun a en la matière des besoins et des aspirations différentes: certains se contenteront d’un petit pré carré là où d’autres viseront de grands espaces. Offrir une carrière ne consisterait pas tant à faire miroiter un hypothétique poste à responsabilité, mais davantage à convenir au travers d’un dialogue concerté et continu des zones professionnelles susceptibles d’être parcourues par chacune et chacun. Renoncer à une certaine part de domestication intellectuelle pour réinvestir nos instincts de créativité, pour le dire
autrement!

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Raphaël Bennour, ancien cadre RH d’une grande banque privée de la place genevoise, dirige le groupe CAVEA (en­ seignes Rhônalia et Vinograf, actives dans la distribution de vins et spiritueux haut de gamme) qu'il a co­créé en 2009. Consultant indépendant depuis 2016, il accompagne aussi les entreprises du secteur bancaire dans les défis actuels de la filière (digitalisation, marketing de l'offre, conduite du changement).

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