Une fausse prise d’otages imaginée par un patron inspire une série TV
Quel rapport entre l’ex-dirigeant Monsieur X et la star du foot Éric Cantona? Une fausse prise d’otages organisée dans la vraie vie par le premier et portée à l’écran par le second.
Crédit: Aus der Spur ©arte
Côté pile, une Légion d’honneur et un titre de chevalier de l’ordre national du Mérite. Côté face, une condamnation pour complicité de violences volontaires aggravées, avec préméditation et usage ou menace d’une arme et séquestration. Voilà Monsieur X, ex-directeur général de l’une des plus grandes entreprises françaises de publicité.
Rappel des faits: un certain soir de l’automne 2005, un commando de neuf personnes en tenue d’assaut et lourdement armées débarque au milieu d’un séminaire organisé par Monsieur X dans un magnifique château de la région de l’Île-de-France. Sont présents une douzaine de ses cadres dirigeants. Le chef du groupe armé crie: «Tout le monde à terre, les mains dans le dos!»
Très vite, Monsieur X est évacué et ses collaborateurs se retrouvent au sol, face contre terre, menottés et cagoulés. Les téléphones portables sont saisis, les issues bloquées.
Les victimes témoigneront plus tard: «Nous paraissions tous particulièrement choqués et sans réaction», «J’ai pensé que le premier d’entre nous qui se manifesterait serait immédiatement traité avec une grande violence pour l’exemple, afin de terroriser le reste du groupe», «Il n’y avait pas la plus petite chance de réussir quelque action physique que ce soit», «Il devenait encore plus évident, à qui se donnait un peu le temps de réfléchir – et nous en disposions largement – que toute tentative d’évasion ou de coup de force serait immédiatement vouée à l’échec le plus certain».
Violence pédagogique
Ce que les participants ignorent, c’est que même si les armes sont réelles, il s’agit en fait d’un exercice destiné à apprendre aux participants à négocier sous stress. Une entreprise de sécurité employant d’anciens membres du GIGN a été mandatée pour cela par Monsieur X.
Le cahier des charges mentionne que les faux otages doivent, dès les premières minutes, comprendre que «le pouvoir est aux mains du commando qui a droit de vie et de mort [sur eux]». L’un des aspects les plus troublants de cette affaire est que Monsieur X autorise expressément le recours à la violence verbale et aux pressions psychologiques, mais prend soin de préciser que cette «action musclée» (c’est son expression) ne doit s’accompagner «d’aucune brutalité»; les participants «ne doivent pas être placés en situation d’échec, mais avoir le sentiment d’avoir vécu une épreuve qui les renforce»; ils devront «avoir compris et ressenti un certain nombre de mécanismes et pouvoir en tirer des enseignements utiles». Enfin, les états de stress «seront abordés et expliqués aux auditeurs pendant le débriefing autour d’une coupe de champagne».
D’après les comptes-rendus des tribunaux, tout ne s’est pas exactement déroulé comme prévu. L’exercice devait durer deux heures; il a été interrompu au bout d’une heure et quelques, car «la situation semblait sans issue», selon les Juges. Il y aurait eu des hurlements, des larmes, des manifestations de détresse et plusieurs tentatives d’évasion avortées. Une personne a dû être évacuée, en état de panique.
Dans les mois qui suivent, le climat de travail se dégrade: «Tous, sous des formes différentes, avions des séquelles: angoisses, sentiment d’être humiliés et en colère, de ne pas avoir été à la hauteur de la situation», dira un participant qui finira par appeler à l’aide la direction. Résultat, le lanceur d’alerte est licencié.
Le Canard enchaîné révèle l’affaire, qui est portée devant les tribunaux. Dans un premier temps, Monsieur X sort vainqueur, ainsi que l’entreprise de sécurité. La partie civile est condamnée à leur verser 13’000 euros de réparation pour préjudice moral et dommages-intérêts. Explication: une fausse prise d’otages n’est pas un délit, puisqu’elle est fausse. Il faudrait démontrer l’intention de nuire. Ce qui sera fait au bout de quatre années de procédure.
D’après le cahier des charges, l’effet recherché était de «placer les participants dans une situation de crise la plus réaliste possible»; le mot «traumatisme» est utilisé. Les Juges concluront que l’irruption du commando, «par sa brutalité, son caractère spectaculaire et son réalisme, était de nature à provoquer un choc émotionnel et des perturbations psychologiques pour les participants au séminaire, qui ignoraient leur implication dans ce jeu de rôles auquel ils n’avaient pas consenti.»
Privés de liberté, mis à terre, les mains dans le dos, menottés et cagoulés, les participants «ne pouvaient discerner le faux d’avec le vrai.» La qualification de violences volontaires est donc justifiée, «quand bien même l’auteur aurait agi par plaisanterie».
Interview-confession
Condamné définitivement au civil en 2010 à un euro symbolique, Monsieur X perd plus lourdement, aux prud’hommes, le procès intenté par le lanceur d’alerte pour licenciement abusif. Mais cela ne l’empêche pas de rester à la tête de l’entreprise pendant encore sept ans.
L’actualité le rattrape au mois d’avril de cette année, avec la diffusion, sur Arte, de la minisérie télévisée Dérapages. Ce feuilleton adapté d’un polar, Cadres noirs, lui-même librement inspiré des événements de 2005, peut être visionné sur arte.tv ou sur la plate-forme de streaming Netflix.
Jusque-là, Monsieur X s’était gardé de répondre aux journalistes. Il a fait une exception pour HR Today, en acceptant une interview de trente minutes via Google Meet. Mais huit heures plus tard, sur l’avis de ses conseillers, il se ravise et m’envoie un mail m’interdisant de faire la moindre allusion à notre entretien.
Malheureusement pour X, l’usage ne lui confère pas le droit absolu d’empêcher la publication d’une interview à laquelle il a consenti de son plein gré. Par gain de paix, je renonce à la publier. En revanche, je peux raconter ce que j’ai ressenti.
L’abord est agréable. La première question porte sur sa situation actuelle, mais Monsieur X dévie tout de suite pour m’expliquer que la fausse prise d’otages était dépourvue de malice et n’a entraîné aucun désagrément pour les participants. D’ailleurs, il a bu du champagne avec eux après. J’entends ce mot: gag.
De ce que je comprends, le but était de leur permettre, à travers une expérience ludique, de réaliser l’importance de rester maître de soi-même en situation de stress, car il est impossible d’analyser correctement ce qui se passe quand on panique.
J’en déduis que pour lui, si ses collaborateurs avaient fait preuve de sang-froid, ils auraient immédiatement eu conscience qu’il ne s’agissait pas d’une vraie prise d’otages. À l’entendre, tous ont réussi l’exercice. Sauf une personne qui a complètement perdu les pédales. Il a un peu de mal à m’expliquer pourquoi. Cette personne n’aurait de toute façon jamais supporté le stress, mais il n’est pas qualifié pour développer davantage, car cela entrerait dans le domaine de la psychanalyse. En fait, si je saisis bien, ce seraient les médias qui ont monté l’affaire en épingle.
Attaque subite
Une question va créer un léger hiatus à la vingtième minute: serait-il possible de contacter un participant qui confirmerait avoir tiré des enseignements utiles de cette expérience? Monsieur X change tout d’un coup. Il me dit que je l’ai trompé: je lui aurais fait croire que l’interview se bornerait au gentillet questionnaire de Proust que je lui ai envoyé la veille.
Je démonte l’accusation sans peine, car l’idée de ce questionnaire m’est venue très tardivement; ma demande d’interview remonte à plus de deux semaines, nous en avions discuté par téléphone puis par mail et, à aucun moment donné, il ne s’était dit opposé à revenir sur l’affaire.
D’ailleurs, lors de l’interview, c’est lui qui en reparle spontanément à la première question, qui ne porte pourtant pas là-dessus. Et sur l’enregistrement, à aucun moment donné non plus, Monsieur X n’exprime le désir que ses propos restent confidentiels.
L’échange se termine d’ailleurs par sa promesse de m’envoyer des photos-portrait, ainsi que les réponses au questionnaire de Proust. Mais un doute s’insinue dans mon esprit. Se peut-il qu’il ait saisi le premier prétexte venu pour m’attaquer parce qu’il s’est brusquement senti remis en question?